Suite à une immersion de plusieurs mois à Conakry malencontreusement stoppée par un virus Ebola trop virulent, j’ai eu l’occasion de décourvrir le football Guinée, au travers de ses clubs mythiques. Le Horoya et l’AS Kaloum étaient en pleine bourre à ce moment-là, et le Hafia encore présent dans la mémoire collective, malgré des résultats timides. Virée surprenante dans un pays où la passion du football est visible partout.

En cherchant la capitale du football mondial, des candidats évidents nous viennent à l’esprit : l’Angleterre, berceau de ce sport et hôte du championnat le plus médiatique, ou l’Amérique du sud, riche de ses icônes Maradona et Pelé et de ses stades enflammés. En Afrique sub-saharienne, le Cameroun s’adjuge souvent ce titre, Roger Milla et son mondial 90 y sont pour beaucoup. Pourtant, s’il y a un pays sur ce continent où la population respire football, c’est la Guinée. Un petit territoire ouest-africain de 11 millions d’habitants avec un sous-sol très riche, se transforme en stade géant les soirs et week-ends. Il faut remonter à l’indépendance pour comprendre cette folle romance.

Hafia : symbole de la résistance  d’un état libre

En 1958, le leader syndical et maire de Conakry, Ahmed Sékou Touré réserve un accueil singulier au président De Gaulle. Une foule toute de blanc vêtue accompagne le chef d’état français le long d’une parade ponctuée par le fameux : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à l’opulence dans l’esclavage ». Des mots que le Général ne digèrera jamais. Naturellement, lorsque l’indépendance devient officielle le 2 octobre, le nouveau président prend ses distances avec l’ancien régime colonisateur. Ses ressources minières attirent tous les capitaux de la planète, mais le chef d’état refuse de les vendre aux premiers venus et s’attache à créer une unité nationale dans une région où cohabitent Peuls, Malinkés, Soussou, Guerzés, Tomas, Kissiens….

Boycotté par la France, la Guinée est réduite au silence médiatique par le monde occidental. Il fallait trouver un moyen à ce pays non-aligné de rayonner sur la scène internationale au cœur de la guerre froide. Comme c’est souvent le cas avec les régimes à influence marxiste, le sport et la culture sont largement valorisés. Le football apolitique et égalitariste riche de sa toute nouvelle confédération africaine est apparu comme une solution évidente dès le début des années 60. Un championnat est organisé avec des équipes fédérales représentant les découpages administratifs de l’époque. Celle de la banlieue de Conakry, Conakry II, réussit à regrouper de nombreux joueurs locaux de grands talents. Cette équipe, composée principalement d’internationaux, règnera sans partage à l’échelle locale. En 1967, l’équipe sera rebaptisée Hafia, « Bonheur suprême » en langue Soussou. Une prémonition à l’aube de sa conquête continentale. Une aventure que vous retrouverez dans le premier numéro du magazine LO*.

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Foot de rue, les rois de l’organisation informelle

Les nombreuses déstabilisations internationales avérées, associées à la mort prématurée de Sékou Touré en 1984, vont laisser le pays dans une situation économique et sociale difficile. Aujourd’hui, le pays est classé 178ème (sur 187) au classement de l’Indice du développement humain réalisé par le PNUD. Il présente un déficit d’infrastructures important dans tous les domaines.

Côté football, un stade flambant neuf de 50 000 places, répondant aux normes FIFA, a été inauguré à Nongo en banlieue de Conakry. S’il a déjà accueilli des concerts géants de MHD ou Black M, il n’est pas encore opérationnel pour la pratique du football, et est déjà entrain de fortement se dégrader.  Pour le reste, un seul stade gazonné pour la capitale de 2,5 millions d’habitants. Le stade de Dixinn, le même qui a abrité les exploits du Hafia des années 70, est utilisé sans ménagement et est mis à rude épreuve plusieurs fois par semaines pour les championnats locaux de ligue 1 et ligue 2. Pour les non professionnels, un terrain par commune en latérite…ou pas.  Une absence de terrains qui aurait dû freiner la frénésie nationale pour le football. Il n’en est rien. L’attraction est trop forte. La « mutation culturelle » qui prédestine les compatriotes de Pascal Feindouno à taper dans la balle est maintenant inscrite dans leurs gènes.

C’est dans la rue, sur le goudron, la terre rouge ou le sable qu’on s’exprime. Souvent dans des 3-3 où des 5-5 en fonction de la place et de la circulation. Le samedi soir ou le dimanche, on condamne la route et on installe la musique. Un stade éphémère improvisé sur le bitume. Ce système permet l’organisation de compétitions qui donnent une fraîcheur et une intensité à ces parties informelles, et bien sûr, de déterminer qui sont les rois du quartier.

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Les rois du quartier

Habitués à dribbler les gravats et différents obstacles dès leur plus jeune âge, beaucoup de joueurs guinéens sont des “joueurs de rue”, à l’image des argentins et des brésiliens. Les passerelles entre la Guinée et l’Europe se sont beaucoup développées, grâce au travail d’anciens joueurs, devenu agents, promoteurs, dirigeants, formateurs, qui utilisent leurs contacts accumulés tout au long de leurs carrières pour leurs petits frères. Ils sont nombreux à avoir réussi à percer en France, en Espagne ou encore en Belgique. C’est par exemple les cas de Sadio Diallo (Turquie) et François Kamano (Bordeaux) partis à Bastia, ou encore de Naby “Déco” Keita (Leipzig) à Istres, Issyaga Sylla à Toulouse, Lass Bangoura au Rayo Vallecano, etc... Antonio Souaré, le nouveau président de la Fédération Guinéene et ancien président du Horoya AC, a construit un immense complexe pour son équipe à Dubreka, au nord de Conakry, qui contient un hôtel et un centre de formation qui abrite son académie. Il s’est inspire de ce qu’a fait l’ASEC Mimosa à Abidjan et dispose d’un complexe en pleine nature, capable d’accueillir des équipes professionnelles, pour des mises au vert tropicale qui pourrait être intéressantes. Le pari de la formation a sérieusement été pris en compte par les dirigeant du football, puisque quasiment chaque club de première division possède déjà des équipes de jeunes de différentes catégories d’âges. En plus du Horoya, l’ASK, Satellite FC ou encore le Hafia ont aussi un centre de formation opérationnel. Avec ou sans internement des académiciens.

L’éléphant national balle au pied

Côté sélection, le Sily national de Guinée (Eléphant en Soussou) ne tiens pas la comparaison avec son voisin ivoirien avec qui il partage pourtant le même emblème majestueux. Alors que l’un écrase le continent sous le poids de ses talents, l’autre a du mal à se faire une place au milieu des autres terreurs de la brousse actuelle, aigles, lions (indomptables, de la terenga et de l’atlas), étalons, pantères, léopards, éperviers et même écureuils. Une finale de CAN perdue en 1976 (en faisant match nul) contre le Maroc en Ethiopie. Trois quarts de finale de 2002 à 2008, puis plus rien. Une stagnation inquiétante que n’est pas parvenu à corriger l’une des légendes du pays, passée par Liverpool, Aboubacar Sidiki « Titi » Camara, passé par la fédération avant de se concentrer sur la formation dans son académie. Les dieux du foot tardent à récompenser la fidélité de cette population. Comme si la domination des années 70 devait se payer aujourd’hui.

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Le sélectionneur français, Michel Dussuyer a fait avec les moyens qu’on lui donnait et avait tenté de relever le niveau de la sélection grâce à l’apport de binationaux, tels Kevin Constant ou Ibrahima Touré. La tâche restait difficile même pour l’un des rares techniciens blancs à œuvrer sur le continent par passion. Après un premier flirt de 2002 à 2004, coach Dussuyer était revenu à Conakry en 2010. Il est resté jusqu’en 2015 et une défaite en quart de finale de la CAN (défaite face au Ghana, le futur finaliste). Puis ce fut le drame. Lorsque Dussuyer démissionne, il est remplacé par Luis Fernandez. Une erreur de casting monumentale qui a anéanti le travail de plusieurs années. Vivant en France et d'avantages préoccupés par ses activités médiatiques (il partait en sélection avec son studio mobile), il a laissé dégénérer la fracture dans le vestiaire entre locaux et binationaux. Une campagne catastrophique dans un groupe abordable privera la Guinée de la CAN 2017 et de la Coupe du monde 2018, même si la qualification au mondial Russe était un objectif très ambitieux. Au final, la sélection se reconstruit depuis plus d’un an avec Kanfory Lappé Bangoura, un professeur de géographie qui a commencé à entrainer les équipes de jeunes du Sily il y a plus de 20 ans et qui est passé par toutes les grandes équipes de Conakry avec pas mal de succès. Un choix à l’opposé du précédent, qui pour l’instant porte ses fruits, puisque l’ambiance et la cohésion sont revenus au sein d’une sélection à l’énorme potentiel (imaginez un milieu de terrain Naby "Déco" Keita associé à Amadou Diawara (Naples)). Il n’y a plus de temps à perdre, la Guinée va accueillir la CAN 2023. Un défi très important pour ce pays en retard niveau infrastructures. Surtout avec les nouvelles exigences de la CAF pour une CAN à 24. Mais il reste du temps pour tout finaliser, la présidence et la fédération semblent pousser dans le même sens pour que la Guinée puisse célébrer en apothéose les noces d’or d’une union commencée avec le fabuleux Hafia.

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Du côté du championnat local

Quintuple champion d’Afrique, le Horoya écrase le championnat de sa domination. Cette saison, les joueurs de Matam, entraînés par Victor Zvunka, ont été champions alors qu’ils avaient une petite dizaine de match de retard à jouer à cause de leur campagne continentale. Les Rouge et Blanc n’ont pas pu se qualifier en quart de finale de la Coupe de la Confédération, à cause d’une défaite fatidique à Lumbumbashi contre le TP Mazembe. Qualifiés tout au long de la phase de poule, cette défaite qui a permis au Supersport d’Afrique du Sud de les souffler sur la ligne. Mais les progrès de cette équipe sont notables et ils devraient prétendre à une participation à la phase de poule de la Ligue des Champions. C’est un objectif réaliste, surtout quand le championnat local est une formalité. La coupe elle a été remportée par le Hafia, qui a réussi à priver le Horoya d’un doublé. Un premier titre depuis 2002, signe du retour en forme tant attendu des Vert et Blanc.

L’AS Kaloum, qui s’est longtemps positionné en rival du Horoya a beaucoup de mal à suivre le rythme. Lancé dans la rénovation de son stade, les moyens ont été revus à la baisse et les résultats ont rapidement déclinés. Il faut dire qu’avec un nouvel entraîneur tous les 3 mois, Bouba Sampil fait passer Maurico Zamparrini pour un petit joueur. La stabilité est loin d’être de mise alors qu’on sait tous qu’un minimum permet d’obtenir les résultats, les trajectoires du Horoya et de l’ASK le prouvent.

Après des années de disette, les clubs locaux doivent reprendre le dessus dans les compétitions internationales et rappeler à la Terre entière que la Guinée est la capitale du football mondial. Pas pour le nombre de ses trophées, mais pour tous les amoureux qui n’ont pas perdu l’espoir qu’un jour leur pays pourra de nouveau être à la tête du foot continental, et qui sait…mondial. Cela tombe bien, le Hafia est qualifié pour la prochaine Coupe de la Confédération ! (pariez sur la Coupe des Confédération avec les offres promotionnelles)

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Par Pierre-Marie Gosselin à Conakry en 2014

*Dans le premier numéro du magazine LO, un article sera consacré à l’épopée politico-sportive du grand Hafia (sommaire).

Cet article est une réédition mise à jour d'un article paru sur mon blog Griot de la balle.

Pierre-Marie Gosselin
Pierre-Marie Gosselin
Amoureux du football et de ses tribunes, supporter inconditionnel des Girondins de Bordeaux et de ses ultramarines, je me suis pris d’une affection toute particulière pour le football africain. Là-bas le foot a pris le nom de « sport roi », et c’est un euphémisme tant il étend son royaume au-delà des ethnies, des classes sociales, des générations et des genres.