Après huit ans d’absence, le Campeonato Sudamericano revient à la vie et change de format et de nom. La Copa América voit le jour, sa première édition sacre une équipe de légende.

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Nouveau format, nouveau nom

Après trois éditions marquées par les forfaits et autres désistements, alors que l’instabilité politique est devenue monnaie courante aux quatre coins du continent, le Campeonato Sudamericano effectue une pause, incapable de trouver un consensus entre les désormais 10 fédérations participantes.

La CONMEBOL décide alors de redonner vie à son tournoi et pour convaincre toutes ses ouailles, change le format. Oublié le pays hôte qui a divisé ces dernières années (l’édition bolivienne de 1963 voit par exemple Uruguay refuser de se rendre à La Paz, l’Argentine et le Brésil envoyer les équipes réserves), il n’y aura plus de lieu fixe, les 10 équipes invités à participer sont ainsi réparties en trois groupes de trois, le 10ème, le tenant du titre, n’entrant en piste qu’en demi-finale. La première phase se déroule ainsi en trois groupes, chacun affrontant son adversaire en matchs aller – retour à l’issue desquels le vainqueur du groupe prend place dans le dernier carré. Pour la première fois, les 10 membres de la CONMEBOL vont ainsi prendre part à l’épreuve.

La nouvelle Argentine

La phase de groupe est une promenade de santé pour le Pérou dans le groupe A (avec Chili et Bolivie) ainsi que pour la Colombie dans le groupe C (qu’elle partage avec Paraguay et Equateur). Le groupe B voit deux géants se retrouver, Brésil et Argentine, retrouvailles d’une Coupe du Monde 1974 au cours de laquelle le champion du monde emmené notamment par Rivelino et Jairzinho a pris le dessus sur l’Albiceleste avant de subir la loin d’Oranges Mécaniques, les Pays-Bas de Cruyff.

Pour l’Argentine, cette Coupe du Monde est un échec, la leçon reçue face au futur finaliste de l’épreuve reste un traumatisme. Ainsi, en octobre 1974, César Luis Menotti est nommé sur le banc de la sélection. Le rosarino s’est fait connaître en emmenant Huracán vers son premier titre de champion l’année précédente ou, avec les Avallay, Basile, Houseman, Carrascosa, Larrossa, Brindisi et autres Babington, il a transformé Parque Patricios en Palacio del Gol, offrant au Globo le seul titre de son histoire professionnelle. A son arrivée, l’Argentine change de style, elle se construit pour l’objectif fixé, sa Coupe du Monde 1978. Après s’être imposée 5-1 au Venezuela (triplé de Luque, but d’un gamin nommé Kempes), l’Albiceleste tombe au Brésil après avoir mené au score avant de signer au Gigante de Arroyito l’un des plus gros cartons de l’histoire de la compétition, une victoire 11-0 face au Venezuela. C’est dans ce stade que trois ans plus tard, elle écrira l’une des plus belles pages de son histoire, en attendant, une dernière défaite face au Brésil et la nouvelle Argentine ne disputera pas les demi-finales. Son heure viendra.

Fugue, papier congelé et chalaca : la génération dorée du Pérou

En demi-finale, le Brésil se retrouve opposé au Pérou. La génération de 1975 est probablement l’une des plus belles de l’histoire du Pérou. Symbolisée par son duo Teófilo Cubillas – Hugo Sotil mais comptant aussi des joueurs comme Percy Rojas, Héctor Chumpitaz ou encore Juan Carlos Oblitas, l’homme qui va offrir une victoire face à l’ennemi chilien en poussant le vice en marquant d’une chalaca (que les chiliens appellent chilena – lire L’autre bataille du Pacifique), la génération des années 70 est bien décidée à entrer dans l’histoire après l’échec des qualifications à la Coupe du Monde 1974. A leur tête, l’entraîneur qui restera le technicien le plus titré de l’histoire du football péruvien, Marcos el Chueca Calderón, dont le destin sera brisé par la tragédie de l’Alianza Lima en 1987 (lire L’histoire d’un nom (14) : Alianza Lima).

Le 30 septembre 1975, Brésil et Pérou s’affrontent à Belo Horizonte devant plus de 100 000 personnes entassées au Mineirão. Face à la Seleção de Rivelino et Falcao, le Pérou réussit l’un des plus grands exploits de son histoire. « A chaque fois que j’y pense, j’ai envie de pleurer, » raconte depuis le héros de la soirée, Enrique Cassaretto, auteur d’un doublé qui permet à la Blanquirroja de s’imposer 3-1 au Brésil. Malheureusement pour les hommes de Calderón, le Brésil s’impose 2-0 à Lima au retour de sorte que les deux équipes se retrouvent à égalité parfaite (la règle du but à l’extérieur n’étant pas alors utilisée). Il faut donc déterminer le nom de finaliste par tirage au sort. Le 4 octobre, la main de Verónica Salinas fait du Pérou le finaliste de l’édition 1975. Fille de Teófilo Salinas, président de la Confederación Sudaméricana de Fútbol et accessoirement péruvien, elle devient l’héroïne de tout un pays. Elle qui n’a « jamais vu un match de football », est « la seule de la famille à ne pas être hincha d’Alianza Lima » est celle qui envoie le Pérou en finale. Le tirage se peuple de rumeurs et autres légendes suite aux mots de son père « il était impossible que l’on perde le tirage chez nous, » les théoriciens du complot ayant suggérés que le papier sur lequel était écrit « Perú » avait été précédemment passé au congélateur pour être plus facilement repérable.

Quelles que soient les légendes, le Pérou décroche sa place en finale et doit alors composer avec l’absence de ses stars, Teófilo Cubillas et Hugo Sotil, tous deux retenus par leurs clubs (respectivement Porto et le FC Barcelone). Après la défaite en Colombie et la victoire de Lima, un match d’appui doit départager les deux formations, il se déroulera à Caracas le 28 octobre 1975. Si Cubillas est là, pour el Cholo Sotil, impossible de ne pas y être. Il tente alors une folie. « Je jouais à Barcelone et j’ai dit à mon épouse d’aller m’acheter des billets d’avion pour Caracas, je voulais jouer avec la sélection, » a-t-il raconté sur Libero. « Rinus Michels ne voulait pas me libérer mais je suis parti. Je l’ai fait pour mon pays, c’était un voyage long. Je suis arrivé à Caracas à 19h00 et avant d’aller à l’hôtel, j’ai foncé au centre d’entraînement pour travailler. J’y suis allé sans avoir reçu le moindre ordre. Quand je suis arrivé, ils étaient surpris. Alfredo Quesada et José Navarro ont été les premiers à me voir arriver. ‘Que fais-tu là Cholo’ m’ont-ils dit. ‘Je suis venu pour vous voir’ ai-je répondu. Marcos Calderón est arrivé, il m’a dit ‘Cholo ta présence est une surprise. Va te changer, on t’attend.’ Il a été d’un grand soutien pour moi. » Ce 28 octobre 1975, à la 25e minute, une lourde frappe de Cubillas revient dans les pieds de Sotil, el Cholo contrôle et frappe, le Pérou s’impose 1-0 et décroche son deuxième titre, à ce jour son dernier.

Hugo Sotil ne sera pas des célébrations de Lima, de la réception avec le président Francisco Morales Bermúdez, revenu à Barcelone, il est appelé par ses dirigeants qui, plutôt que de le blâmer, vont le féliciter et lui donner deux jours de repos. Autres temps, autres mœurs. La nouvelle Copa América venait de naître, plus jamais elle n’allait s’interrompre.

 

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.