Le changement du format et du calendrier de la grande compétition sud-américaine commence à entraîner quelques dommages collatéraux. Premier d’entre tous, le possible abandon des clubs mexicains. Une situation qui pourrait bien arranger tout le monde.

C’est un énorme bras de fer qui oppose dirigeants de la Liga MX et dirigeants de la CONMEBOL. L’annonce du nouveau format et du nouveau calendrier de la Copa Libertadores (lire Nouvelles Libertadores et Sudamericana, l'hypocrisie sud-américaine), posait en effet un souci aux clubs mexicains. En faisant passer la compétition de février à novembre, la CONMEBOL vient directement percuter la fin de l’Apertura mexicain dont les finales ont lieu début décembre.

Après quelques menaces venues du Nord, fin octobre, Alejandro Domínguez, président de la CONMEBOL et Enrique Bonilla, président de la Liga MX s’étaient réunis à Luque afin de discuter de ce souci de calendriers, une réunion alors jugée « productive ». Quelques semaines plus tard, les voix discordantes se faisaient plus nombreuses et plus bruyantes au Mexique, certains présidents rappelant qu’il privilégieraient une finale de Liga MX à une finale de Libertadores. Au point désormais d’envisager directement un retrait de la Libertadores, piste aujourd’hui la plus probable devant le mutisme de la CONMEBOL et l’échec annoncé des négociations. Pire (ou mieux pour certains), le Mexique a déjà fait part de son intention de ne plus participer à la Copa América.

Le Mexique en AmSud : un vrai grand

De prime abord, la présence du Mexique dans les compétitions du Sud était une gageure, une mutation ponctuelle qui n’avait en théorie pas de raison d’être. Sauf que sportivement, le bilan des clubs mexicains au Sud est plus que positif. Le Mexique arrive en Libertadores en 1998. En 18 ans, ses représentants se placent en finale à trois reprises, la dernière en 2015 lorsque les Tigres de Gignac tombaient au Monumental (lire Copa Libertadores 2015 : la resurrección del mas grande), en demi-finale à cinq reprises. Un bilan ainsi bon que l’Uruguay ou encore le Chili. En Sudamericana, le bilan est encore plus positif. La compétition créée en 2002 invite pour la première fois les clubs mexicains en 2005. L’idylle va durer quatre éditions, le temps qu’une crise sur fond de grippe ravive les soucis d’un télescopage des compétitions du Nord et du Sud pour aboutir au retrait des clubs de la CONCACAF. En 2005, les Pumas sont en finale, l’année suivante Pachuca s’offre le titre, seul titre d’un club du Nord dans une compétition du Sud, quand Toluca chute en demi-finale, en 2007 América s’incline en finale pour un but face à l’Arsenal de Grondona, l’année suivante, Chivas coule en demie. En quatre saisons, un titre, deux finales, deux demi-finales, un bilan plus que positif, signe de la compétitivité des clubs du Nord. On mesure ainsi la perte sportive que constitue un départ des clubs mexicains de ces compétitions.

Droits télés et marchés du Nord

Il ne faut ainsi pas être dupe de la situation, la menace de retrait n’est finalement qu’une nouvelle étape dans un énorme bras de fer engagé par le football mexicain contre la CONMEBOL et que la dernière Copa América Centenario, délocalisée aux Etats-Unis et dont les bénéfices financiers ont été importants pour les sélections, ont ravivé. Les Mexicains veulent désormais plus compter au Sud (comprendre être considérés comme l’égal des grands du Sud et donc voir les bénéfices économiques augmenter). Pour cela, ils décident d’attaquer sur deux aspects : le sportif et le financier. Car il y a aussi un autre champ de bataille. Diffuseur exclusif de la compétition, Fox Deportes génère 45% de ses audiences latino-américaines au Mexique et recevrait ainsi un terrible coup dur en cas de retrait des équipes et sélections mexicaines de ces compétitions. Cela ajouté au fait qu’Enrique Bonilla est aussi un émissaire de Televisa, il n’en faut pas plus pour comprendre où se situe l’intérêt d’un tel conflit. Car du côté du Mexique, l’une des idées du moment est de s’ouvrir davantage au marché du Nord, celui des USA, bien plus porteur en termes financiers, que celui du Sud et probablement plus accessible à Televisa.

C’est ainsi qu’il y a quelques jours, le fantasque Jorge Vergara s’est exprimé auprès d’AS USA pour évoquer de nouveau un projet de Superligue du Nord qui mêlerait MLS et Liga MX. « La MLS s’est quelque peu améliorée avec l’arrivée de certains joueurs mais il manque encore beaucoup, du spectacle, des fans, » a-t-il ainsi déclaré avant d’affirmer « visualiser une superligue. » Un projet qui repose sur des problématiques de marchés, ceux des USA et les nombreux émigrés mexicains, bien plus porteurs et générateurs de revenus qu’un Sud qui semble ne pas vouloir du Mexique afin de mieux défendre les intérêts de son G14.

Gagnant-Gagnant ?

Car finalement, le retrait du Mexique pourrait bien arranger tout le monde. A l’image de certaines propositions venues de la Liga MX, la plus absurde ayant été celle d’envoyer les équipes u20 dans la plus prestigieuses des compétitions du continent, il semble finalement que ni d’un côté, ni de l’autre, on a envie de faire un effort dans le but d’une réconciliation.

Au Sud, un retrait des Mexicains aurait une conséquence : libérer trois places. Et d’imaginer tout de suite les conséquences positives au Sud où déjà, certains ne se privent pas de lorgner dessus. A commencer par les Argentins et notamment les géants. Sortis de la course à la Libertadores après sa défaite en Copa Argentina face à Central, Boca Juniors, l’un des meneurs du G14 sudam, se voit donné une chance d’aller chercher une inespérée place dans la grande compétition du continent. Après que l’AFA a offert le dernier ticket vacant à l’Atlético Tucumán, la dernière solutions un temps évoquée, inviter un club via le classement des clubs à la CONMEBOL, classement dominé par Boca, refait surface. Reste qu’il va falloir faire preuve de persuasion côté argentins. En théorie, aucune de ses trois places n’est promise à un Argentin ou un Brésilien, la logique voulant qu’elles soient offertes aux Equatoriens, Paraguayens et Uruguayens, jusqu’ici lésés. A l’heure où les principaux dirigeants argentins mettent la pression sur la CONMEBOL suite aux dernières sanctions de la FIFA qui coûtent cher à la sélection, à l’heure où certains, comme Daniel Angelici, président de Boca, en vienne à regretter l’époque Grondona, nul doute que les semaines qui viennent s’annoncent musclées en coulisses.  

Le possible (probable) retrait des Mexicains pourrait avoir d’autres conséquences et risque d’isoler le Sud. Alors que la CONMEBOL envisage sérieusement un rapprochement au niveau des sélections, faisant de sa Copa América une Copa de las Americas, une scission entre Nord et Sud orchestrée par le Mexique et un rapprochement entre les deux rivaux du Nord pourrait aussi enterrer définitivement les projets fous d’une Libertadores sur l’ensemble du continent. Rien n’est sûr. Récemment, certains médias brésiliens avaient rapporté le projet d’organiser la finale de la Libertadores à Miami, idée ensuite démentie. Un projet de développement vers le Nord de la part de la CONMEBOL qui elle aussi cherche à investir de nouveaux marchés générateurs de profits afin d’augmenter l’attractivité pour ses clubs et qui pouvaient alors trouver en les Mexicains des alliés de poids. Ceux-ci partis, une guerre commerciale pourrait ainsi naître, rien n’empêchant en effet la CONMEBOL d’inviter des clubs de MLS dont le calendrier se prête davantage à une compétition du même plan, eux qui sont souvent lésés par le calendrier de la CONCAChampions dont les tours finaux tombent alors que la saison américaine n’a pas encore débuté. Il y a deux jours, Andrés Fassi, vice-président de Pachuca, déclarait cependant que les portes n’étaient ni fermées, ni ouvertes. Un ni-ni qui semble aujourd’hui signifier la fin d’une époque. Et le début d'une grande bataille, une ruée vers l'or américain.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.