Pour ce quatrième match de mon périple argentin, il fallait s’éloigner quelque peu des grands stades d’Independiente et de Velez pour arriver dans du plus local, ancré dans les quartiers centraux de Buenos Aires. Et donc, direction Argentinos Juniors. Deux jours après un match bouillant de Libertadores entre le Corinthians et Independiente, l’ambiance, l’enjeu et le niveau allaient drastiquement changer.

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Ce n’était pas forcément le meilleur jour pour se rendre dans La Paternal, le quartier du club, neuvième au classement avant cette journée de championnat. Le climat était anglais, pour rester poli, et la pluie fine s’abattait depuis quelques heures sur la capitale argentine, en se transformant parfois en une réelle averse. De plus, l’adversaire Olimpo fait de ce match tout sauf une affiche particulière ; dernier de la Superliga, le club de Bahía Blanca dans la province de Buenos Aires n’est parvenu qu’à acquérir 13 petits points, avec une différence de buts de -29 et est déjà assuré d’être relégué.

Contrairement aux autres matches que j’ai pu aller voir jusque-là, je ne vois pas dans le bus que je prends ou dans les environs du stade beaucoup de maillots, voire aucun. C’est la question qui me vient directement à l’esprit : la folie argentine que j’ai pu voir dans des clubs plus populaires sera-t-elle la même, un vendredi à 19 heures sous une pluie battante ? Il faut croire que oui. Car, petit à petit, les rues adjacentes au stade se remplissent et même si du bar où je suis avec d’autres journalistes (pourtant à l’angle du stade), il y a peu de supporters qui s’abreuvent en bière, on en voit de plus en plus passer à quelques minutes du coup d’envoi, signe que l’horaire amène des hinchas qui sortent à peine du travail.

À quelques minutes du match, nous passons le petit contrôle policier puis nous dirigeons vers le stade, qui mérite bien un petit paragraphe d’explication. Vous verrez sûrement en ligne qu’il a été construit en 2003 et vous vous attendrez peut-être -comme je le pensais aussi- vous trouver devant une enceinte moderne et bien aménagée. C’est tout le contraire. L’Estadio Diego Armando Maradona, qui tire son nom de la légende argentine formée au club, est le fruit d’une longue lutte. Au début, le projet était d’utiliser le transfert de Diego à Barcelone pour construire un nouveau stade. Mais l’argent a été utilisé pour le complexe multisport du club et pour reconstruire l’équipe. Dans les années quatre-vingt-dix, il était envisagé de le financer par le transfert des meilleurs jeunes du club, mais les choses se sont un peu compliquées, notamment en raison d’une gestion souvent chaotique qui a vu le club lutter financièrement dans un pays qui a aussi connu le grand-huit économique. Sa construction commença en 1995, quand l’ancien stade fut détruit, mais n’aboutit que huit ans plus tard, obligeant son équipe à jouer dans divers stades de Buenos Aires, allant jusqu’à... Miami, pour la finale de la Supercopa Sudamericana, en 1995. Tout cela pour dire que la construction du stade fut longue et n’aboutit pas à grand-chose d’intéressant architecturalement, le stade est un dinosaure de béton, dont seulement quelques rangées, au nombre de trois, sont couvertes de la pluie – et encore, si on ne prend pas en compte les fuites venant du toit. Il reste cependant plus « confortable » que l’ancienne version qui avait valu le départ du club, un vieux stade totalement fait en bois.

Pour un Européen, l’organisation du club est aussi à l’image du stade, d’un autre temps. Mais il se distingue par son musée, le seul au pays entièrement dédié au football avec ceux de Boca et de River, où sont fièrement exhibés les trophées d’une autre époque, ce que l’on ressent vraiment c’est que le club est une véritable fabrique à talents, les photos des nombreux anciens passés en équipe nationale (Maradona, Cambiasso, Sorin, Riquelme) et l’un des surnoms du club, el Semillero del Mundo en attestent. Mais surtout, Argentinos Juniors est un club de quartier où l’on se rassemble pour voir du football. La boutique et la buvette sont minuscules, la tribune de presse inexistante, et les parapluies alignés dans les gradins donnent une ambiance champêtre au lieu.

Heureusement, les fans sont là pour réchauffer l’atmosphère, bien aidé par le club, qui fait commencer le match par une série de feux d’artifices, en diffusant la composition d’équipe, d’où sort un nom familier des Français, celui de Lucas Barrios. Les hinchas ne s’arrêteront pas de la partie, au rythme d’un groupe de trombones, trompettes et tambours qui auront jouer une heure et demi sans s’arrêter pour une note. Une autre musique qui ne s’arrête pas sera celle des fans, de tous âges et de toutes les parties du stade, qui lancent « la concha de tu madre » à l’entraîneur adverse, aux joueurs d’Olimpo, aux arbitres adverses et probablement même à la pluie battante. Sur le terrain d’ailleurs, certains de ces joueurs semblent chercher ces insultes, surtout dans la défense catastrophique d’Olimpo, qui se prendra l’unique but de la rencontre à la neuvième minute, sur un tir de Pisculichi, mais qui en auraient bien mérité plus d’un pendant le premier quart d’heure.

Le but déclenche plus d’ardeur de la part de la foule que de la part des joueurs eux-mêmes qui semblent attendre la mi-temps passée la demi-heure de jeu. La pause sera l’occasion d’enfin éviter la météo capricieuse, sous les gradins en bétons, une météo qui en fait rire plus d’un ; « tu as besoin d’un shampoing ? » me lance d’ailleurs un supporter qui devait être à l’abri pendant le match. En deuxième mi-temps, la pluie redouble d’intensité et les supporters, trempés, regagnent le peu de sièges abrités. Les prières de mon voisin -qui fait deux signes de croix- à l’entrée des joueurs ne sont pas exhaussées et le jeu reste très lent, si bien que c’est Olimpo qui force et se crée plusieurs occasions en fin de match. Sûrement trop tard -le terrain trempé n’aidant pas- et Argentinos sort du match avec les trois points, devant des fans qui ne se seront pas tus du match et qui, malgré la performance médiocre de l’équipe, iront saluer leurs idoles à la fin du match. Des joueurs qui ne le méritent pas tellement sur ce match mais qui continuent de rendre leurs hinchas heureux. Promu cette année, Argentinos s’approche d’une qualification en Copa Sudamericana 2019. 

 

Texte Antoine Latran, photos/vidéo Ken Fernandez, à Buenos Aires pour Lucarne Opposée

Antoine Latran
Antoine Latran
Rédacteur Etats-Unis pour @LucarneOpposee et @MLShocker, à suivre sur @AntoineLatran et @FrenchSounders