On avait annoncé une soirée qui pouvait être déjà décisive, elle le fut en partie. Pendant que le Brésil est passé en mode préparation de la Coupe du Monde, que l’Équateur se place, le Pérou a probablement enterré les derniers espoirs du voisin chilien.
Ce que tout un peuple redoutait est sans doute arrivé. Après deux Copas América, une Coupe du Monde 2014 des plus enthousiasmante et déjà un premier gros échec en 2018, la génération dorée chilienne, qui a offert un dernier baroud d’honneur lors des deux dernières Copas América, a sans doute tiré sa révérence et ne verra pas le Qatar, sauf incroyable – et improbable – retournement de situation. À Lima, le Chili de Martín Lasarte jouait aussi gros que le Pérou de Ricardo Gareca, le perdant enterrant probablement ses chances de voyager au Moyen Orient en novembre 2022. Ce perdant est donc le rival du Sud. Après un début de match intéressant dans l’engagement, mais déjà montrant quelques signes de maladresse voire de mauvais choix dans les derniers trente mètres – certains parleront de manque d’idées – le Chili a commencé à subir face à un Pérou mieux organisé, plus discipliné et surtout, plus sûr dans son collectif. La brigade du Tigre appuyait sur les côtés, utilisait parfaitement Paolo Guerrero dans l’axe. Mais surtout, la Blanquirroja possède ce que le Chili n’a pas : des certitudes. Celles-ci lui ont permis de laisser passer l’orage du début de match, de laisser le Chili espérer un temps. Alors que Lasarte pestait sur son banc devant les situations gâchées, Gareca, tranquille, replaçait ses hommes, leur donnait le calme nécessaire à frapper au bon moment. Le moment est arrivé à dix minutes de la pause, sur un ballon mal contrôlé par l’arrière garde chilienne et une frappe puissante de Paolo repoussée par Claudio Bravo. Christian Cueva suivait et faisait exploser Lima, le plus dur était fait, le Pérou virait en tête. La suite n’était alors qu’une évidence : un projet construit, bâti sur la durée, est toujours supérieur à l’improvisation. Les qualités de Martín Lasarte ne sont pas à remettre forcément en question, mais l’ensemble du projet chilien. Celui qui ne construit pas chez ses jeunes depuis des années et n’a jamais anticipé offrir un héritage, une continuité à sa génération dorée – chose jamais aisée –, celui qui ne parvient pas à installer une équipe technique sur la durée (en ce sens, le départ – trahison – de Reinaldo Rueda a fait bien plus de mal que certains le pensaient à l’époque). Et ce Chili n’a donc pas su/pu réagir, ne trouvant jamais de solution collective, d’animation permettant de déstabiliser un Pérou qui lui était supérieur, ne reposant que sur quelques fulgurances de ses cadres, à commencer par un Alexis toujours combatif mais dont les soixante-dix minutes de jeu toutes compétitions confondues avec l’Inter depuis août ne permettent pas d’arriver au mieux de sa forme. Le deuxième acte a été un contrôle total d’un Pérou tellement plus serein, tellement plus cohérent et équilibré à l’image de son trio du milieu Pedro Aquino, Yoshimar Yotún, Sergio Peña. Ce dernier pliait l’affaire peu après l’heure de jeu, le Pérou de Gareca s’impose enfin face au Chili, au meilleur des moments, celui qui, à huit matchs de la fin, permet de redonner l’espoir à tout un peuple pendant qu’il enterre celui des rivaux les plus féroces. Le Pérou revient en effet à trois points de la cinquième place pendant que le Chili en est désormais à sept points. Sept comme son total en dix journées, seuls la Bolivie et le Venezuela faisant pire. La Roja doit désormais prendre dix-neuf des vingt-quatre points restant pour envisager le Qatar. Le tout alors que sur ses douze derniers matchs, elle n’a connu que deux succès, à chaque fois contre la Bolivie…
Une Bolivie pour laquelle on a craint le pire à Guayaquil. Car une fois encore, César Farías nous avait joué la pièce du stage efficace, de la préparation idéale. Et une fois encore, sa Verde a explosé d’entrée. Trois buts en cinq minutes, dont un doublé d’Enner Valencia, muet depuis onze matchs en sélection, une terrible impression que rien n’était préparé sur le plan tactique côté Bolivie, Farías semblant se dire qu’empiler les défenseurs allait permettre de réduire les espaces et résister. Mais face à l’intensité, la vitesse et l’impact physique équatorien, l’affaire a donc rapidement mal tourné. Le match s’est ainsi joué en cinq minutes, les cinq suffisant à Michael Estrada et Enner Valencia pour faire passer le score à 3-0, la suite n’ayant été que contrôle d’une Tri largement supérieure. Byron Castillo et Pervis Estupiñán ont causé des dégâts par leur capacité à percuter, le trio Moisés Caicedo, Carlos Gruezo et Ángel Mena a totalement étouffé celui de la Verde dans lequel Leonel Justiniano, Boris Céspedes et Ramiro Vaca n’ont rien pu montrer. Et l’Équateur s’est ainsi offert un match de préparation assez tranquille, baissant le rythme en deuxième période tout en conservant le contrôle d’un match trop facile. La Tri prend ainsi la troisième place, s’économise avant le match au Venezuela, la lanterne rouge, et se rapproche à grands pas de la qualification.
Une qualification qui est l’obsession de l’Uruguay et de la Colombie qui s’affrontaient devant les caméras aériennes du Gran Parque Central. L’Uruguay est assez simple à lire depuis quelques mois déjà. La dernière défaite en éliminatoires est un match étrange contre le Brésil, au milieu d’une vague du fameux coronavirus avec de nombreux changements dans le onze, l’Uruguay avait perdu (0-2) contre le voisin nordiste. Depuis, l’Uruguay est invaincu en six matchs avec quelques belles performances mais surtout trois points centraux : une défense stable et assez imperméable, un milieu de base inamovible Valverde-Vecino-Bentancur, mais aussi une attaque parfois brouillonne sur laquelle le Maestro, pour différentes raisons, est obligé de faire de nombreuses expérimentations. Tout cela aurait pu être dit avant le match contre la Colombie, tout cela peut être dit après. L’Uruguay a dominé dans les grandes largeurs son adversaire du soir, avec quelques actions incroyablement manquées comme cette frappe de Luisito Suárez à six mètres qui part à droite du but ou cette frappe de De Arrascaeta de volée juste à côté à gauche… La première mi-temps a été un long mouvement de marteau-piqueur, l’attaque uruguayenne se fracassant sur la défense colombienne, loupant quelques occasions de si peu comme ce hors-jeu de Suárez… Mais les occasions ne font pas le match et la deuxième mi-temps s’avère plus difficile à cause tout d’abord notamment de la blessure de De Arrascaeta qui déséquilibre l’équipe, puis les entrées de Darwin Núñez et d’Edinson Cavani sans repères en attaque. Darwin a été assez bon, provoquant beaucoup, étant impeccable dans ce jeu physique imposé par la défense colombienne. Cavani a quant à lui semblé perdu, comme une âme en peine, restant trop en pointe pour peser dans le jeu. En seconde période, avec ces changements accentués par la blessure de Giménez, l’Uruguay a été brouillon et moins tranchant, jusqu’à même concéder la plus grosse occasion du match à la Colombie sur une frappe sur Muslera de Duván Zapata. Au final, tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. L’Uruguay va sans doute perdre Giménez et De Arrascaeta sur blessure, Bentancur pour suspension. C’est le plus problématique. La Celeste va certes jouer les deux leaders à trois reprises (Argentine, Brésil puis de nouveau Argentine) lors des trois prochains matchs, mais il est aussi à noter qu’elle va jouer les cinq derniers du classement actuel lors des cinq dernières journées, les cinq suivantes… Ce qui laisse quelques marges de manœuvre, le classement voulant quand même déjà dire quelque chose après dix journées.
Pour la Colombie, ce point est genre de points qui comptent, un point sur lequel il y a la possibilité de s’appuyer. Dans la fraicheur de Montevideo deux cadres ont tenu la barque au plus fort de la tempête. Année après année David Ospina montre pourquoi il est le joueur le plus capé en sélection S’il n’a presque pas eu de travail après la pause, ses arrêts déterminants en première période ont largement contribué à sauver le nul. L’autre cadre est bien moins capé, même pas cinquante sélections, mais depuis 2018 et la retraite de Carlos Sánchez il est la pierre angulaire au milieu. Sans Wilmar Barrios, la sélection cafetera aurait pris d’une part bien plus de vagues et d’autre part elle aurait bien moins su poser le pied sur le ballon et se donner de l’air. Le milieu formé au Deportes Tolima a bien largement compensé les performances en demi-teinte d’Uribe et surtout de Cuadrado. Un Juan Guillermo Cuadrado qui a livré sa pire prestation en sélection depuis bien longtemps et qui aurait dû être expulsé pour un coup de coude stupide alors qu’il n’y avait aucun danger. Sa prestation a d’ailleurs été très largement critiquée par toute la presse colombienne. Suspendu contre le Brésil, il sera attendu au tournant contre l’Équateur. Enfin, on l’avait dit, en l’absence de Borja, Radamel Falcao était le mieux placé pour démarrer en pointe. Si, avec Rafael Santos Borré, titulaire à ses côtés, ils n’ont pas eu l’occasion de se montrer, son remplaçant pourra lui s’en vouloir. Seul face au but vide, Duván Zapata a manqué l’occasion de faire le braquage de la soirée. Rageant mais difficile de faire la fine bouche. La Colombie devrait rejoindre dès demain Barranquilla et se préparer pour l’autre gros morceau de la semaine puisque ce sera le Brésil qui sera le prochain adversaire. Une équipe qui n’a toujours pas perdu le moindre point dans ces éliminatoires.
Reste enfin le cas des deux géants, les deux quasiment déjà qualifiés. Le leader brésilien a ajouté trois points de plus à son parcours parfait et compte désormais les fatidiques vingt-sept points synonymes de qualification (même si les mathématiques nous privent de quelconque officialisation). Un Brésil en mode expérimentation à Caracas, Tite se servant des éliminatoires comme laboratoire. Le technicien de la Seleção avait décidé de poser un jeu plus axial, utilisant moins la vélocité dans les couloirs, les faits lui ont donné tort. Car le Brésil n’a que trop peu été dangereux durant les quarante-cinq premières minutes, le trio Fabinho – Gerson – Lucas Paquetá éprouvant du mal à déstabiliser un Venezuela bien discipliné et qui savait saisir ses opportunités, emmené par un Yefferson Soteldo toujours aussi insaisissable. Le petit ailier de Toronto était ainsi le détonateur sur l’ouverture du score des locaux, son centre étant repris par Eric Ramírez qui profitait de la double glissade Marquinhos-Fabinho pour ajuster Alisson. La force de Tite est aussi sa capacité à analyser et réagir quand tout ne fonctionne pas. En ce sens, l’entrée de Raphina à la place d’Everton Ribeiro, le replacement de Gerson dans un double pivot avec Fabinho, puis l’arrivée des Vinícius Júnior et Antony au fil des minutes a permis au Brésil de reprendre totalement le contrôle mais surtout de se montrer véritablement dangereux, trouvant plus de présence et de capacité à déstabiliser sur les ailes. Comme souvent sonnée par Marquinhos, la révolte a donc commencé à l’entrée des vingt dernières minutes, elle s’est conclue par deux autres buts en fin de partie, un penalty de Gabi placé seul en pointe en deuxième période, et un but d’Antony. Suffisant donc pour continuer de préparer Qatar 2022, le grand objectif.
De son côté, l’Argentine a livré une rude bataille à Asunción face à un Paraguay qui a tenu ses promesses, celles de jouer, d’agresser, d’aller chercher à faire basculer le destin en sa faveur. Si la rencontre s’est conclue sur un résultat nul et vierge, c’est aussi en grande partie par la faute de deux gardiens héros du match, Dibu Martínez sauvant l’Argentine à quelques reprises, Antony Silva en faisant de même. Dans le jeu, l’Argentine a dominé le premier acte, offrant notamment vingt-cinq premières minutes intéressantes dans l’animation collective mais se montrant souvent maladroite dans le dernier geste, dans la dernière passe, ce qui explique aussi ses grandes difficultés à matérialiser la domination en buts. À la pause, Eduardo Berizzo a modifié ses plans, oubliant sa défense à trois centraux pour passer en 4-4-2 et l’on a alors pu voir le jeu s’équilibrer, les occasions naître de part et d’autre. Villasanti sauvait devant Correa, Dibu Martínez s’envolait devant Tonny Sanabria, qui manquait ensuite le cadre avant de voir son remplaçant, Carlos González manquer le cadre alors que seul face au but pendant que Papu Gómez permettait à Silva de s’envoler pour offrir l’une des parades de la soirée. Il n’y a donc pas eu de vainqueur au Defensores del Chaco, mais deux formations qui disposent d’arguments solides pour envisager être présentes au Qatar l’année prochaine.
Résultats

Classement

Avec Jérôme Lecigne et Pierre Gerbeaud
Photo : Fernando Sangama / GEC



