1er décembre 1994, l’Europe du foot découvre une bande d’argentin qu’elle ne connait pas et qui va réaliser devant ses yeux ébahis un coup d’anthologie : faire tomber le grand Milan AC. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que la grande histoire se joue devant elle.

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« Vamos Asad, vamos » les cris des commentateurs argentins accompagnent el Turco qui a surgi de nulle part sur cette passe en retrait mal assurée de Costacurta. Rossi est éliminé, Omar Asad enroule. Le National Stadium de Tokyo est abasourdi : le Milan AC de Savićević et Boban, celui qui avait balayé le Barça de Cruyff est KO. Vélez Sarsfield vient de faire le break, le Milan de Capello ne reviendra plus, il file vers son premier titre mondial. 20 ans plus tard, le premier (et unique) titre intercontinental du Fortín marque un tournant dans l’histoire du club, un tournant dans l’histoire du football argentin.

En tant que joueur, j’ai gagné des titres avec Vélez. En tant qu’entraîneur, je ne pensais jamais en gagner, l’expérience ayant montré à quel point il est difficile d’y parvenir

Bianchi rentre au pays pour y écrire sa légende

Liniers, à l’ouest de Buenos Aires. C’est dans ce quartier que le Club Atlético Vélez Sarsfield voit le jour au premier jour de l’année 1910. Modeste club dans le paysage argentin, celui que l’on surnomme el Fortín vit ses seules heures de gloire à la fin des années 60 ou, sous la conduite de Manuel Giúdice, le club du président José Amalfitani obtient son premier titre de champion d’Argentine. Dans ses rangs, un gamin fait ses débuts : Carlos Bianchi. Pendant six saisons, le jeune Bianchi se fait une solide réputation de buteur au sein de son club de cœur avant de s’envoler vers l’Europe. Devenu entraîneur, lorsqu’il s’installe sur le banc pour son deuxième retour au pays, le club n’a plus gagné le moindre titre depuis 25 ans.

Mon frère est supporter de Vélez. À l’intersaison, Mancuso est transféré à Boca, Gareca à Independiente. Un jour que nous sommes chez mon père, mon frère me le reproche violemment. Je lui explique que je n’y peux rien. Six mois plus tard, nous sommes champions. Dans la même maison, il s’est excusé.

Pendant trois saisons, Vélez va tout gagner. Première étape, le Clausura 1993 décroché devant Indpendiente qui lui ouvre les portes de sa deuxième présence en Libertadores après celle de 1980 (le club n’avait pas participé à celle de 1969 pour des raisons économiques). Il embarque alors son équipe dans une compétition pour laquelle il est loin d’être un outsider à l’image des clubs argentins, portés disparus au palmarès depuis le titre de River huit ans plus tôt.

Mais Vélez s’appuie sur une véritable colonne vertébrale : José Luis Chilavert, star absolue dans les buts, guerrier infranchissable, gardien tireur de coup-francs. Roberto Trotta, « le meilleur défenseur central que je n’ai jamais vu » d’après Bianchi, Marcelo Gómez infatigable récupérateur, véritable pitbull au milieu et Omar Asad, petit attaquant rapide, spécialisé dans le déblocage de situations. Vélez réalise un premier exploit au premier tout, sortant premier du groupe de la mort devant Cruzeiro et Palmeiras, contribuant à l’élimination de Boca avant de finir par se hisser jusqu’en finale où il y croise le São Paulo d’un certain Télé Santana, double tenant du titre. Vainqueur à l’aller (but d’Asad), le Fortín prend un but dès la demi-heure mais résiste, même réduit à 10 contre 11 à 25 minutes de la fin, emmène le Tricolor jusqu’aux tirs au but. L’heure est venue alors pour Chilavert d’éteindre le Morumbi. Chila sort le premier tir au but de Palhinha et lance la série de son équipe en transformant le sien dans la foulée. Ses coéquipiers ne craqueront pas. Tito Pompei nettoie la lucarne de Zetti, pour sa deuxième participation, Vélez s’offre un titre continental. Le plus beau est à venir.

J’ai dit à mes joueurs que même si Milan avait battu le Barça 4-0, il était à notre niveau

Tokyo, la consécration

Aucune chance de sortir vainqueur du duel face à Milan. Tel était le constat d’avant match. Le Milan de Capello, machine à victoire qui venait de balayer le Barça des Romario et autres Stoichkov en finale de Ligue des Champions. Ce que l’Europe ne savait pas, c’est que jamais le surnom de Fortín n’avait aussi bien collé à Vélez

J'ai dit à Jose Luis Chilavert qu'il était le meilleur gardien de but du monde. Sur ce match, il paraissait être un immeuble devant les cages, il était infranchissable.

Une défense de fer, un gardien impérial, aimant à ballon, le 4-4-2 de Bianchi était alors une impressionnante machine à épuiser un adversaire. A force de se casser les dents sur la muraille défensive, chaque adversaire finit par subir les contres du Fortín emmené notamment par le duo Pompei – Asad et par craquer. Comme d’autre Milan devait s’imposer, comme d’autres Milan va s’épuiser et se faire piéger sur deux banderilles argentines perdant petit à petit le contrôle du match.

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Au retour des vestiaires, une relance de 70 mètres de Chilavert sur Basualdo côté droit. Ce dernier centre, Flores plein axe est déséquilibré par Costacurta, la rencontre bascule. Trotta transforme le penalty. Six minutes plus tard, un contre argentin, Costacurta récupère le ballon et la donne en retrait sur Rossi. Il n’a pas vu Omar Asad. El Turco a senti le coup venir et s’est précipité vers le ballon. Il devance Rossi, l’élimine et, en pivot, enroule sa frappe du droit dans le petit filet opposé. 2-0, Tokyo est sonné, Vélez ne sera plus rejoint et file vers un premier titre mondial, le premier pour un club argentin depuis River en 1986. Fabio Capello furieux « nous avons perdu contre une équipe de troisième division ». Alors que l’Argentine sort d’une Coupe du Monde qui a marqué la fin de sa légende Maradona, son champion ramène un titre mondial qui fuyait le pays depuis 8 ans.

Qui aurait pu imaginer que Velez aller gagner un jour la Coupe du Monde des clubs ? Combien de grands clubs dans le monde n’y sont jamais parvenus ?

Le sixième grand

Vélez est champion du Monde, sa domination locale ne fait que commencer. Car dans la foulée, le club va connaître une période dorée rare : Apertura 1995, Clausura 1996, Copa Interamaricana, le Vélez de Bianchi enrichit un palmarès quasi-vide (un titre national en 1968) de six nouveaux trophées. Vainqueur au pays, vainqueur sur le continent et dans le monde, en trois saisons, Vélez frappe à la porte du club des cinq grands d’Argentine. Lorsque Bianchi quitte le club à l’été 1996 pour le confier à un autre argentin passé par la France, Oswaldo Piazza, le club a acquis une nouvelle renommée, il s’est durablement installé dans le paysage local. Piazza poursuit le travail d’el Virrey, Vélez remporte de nouveaux titres continentaux. L’héritage est immense : de l’anonymat, Vélez est devenu un club stable, une valeur sûre du championnat. Après quelques années de transition correspondant à la fin de cette formidable génération de joueurs, Vélez retrouve la gloire au milieu des années 2000. Depuis, el Fortín est devenu le cinquième club le plus titré de l’ère professionnelle (le sixième en combinant avec le palmarès amateur) et l’Estadio José Amalfitani est aujourd’hui l’une des places fortes et redoutées du championnat local (même en ces temps plus compliquées que le club traverse actuellement).

Ce 1er décembre 1994, si l’équipe de Bianchi n’a pas seulement surpris le monde en dominant le grand Milan AC, il a surtout a écrit une des plus belles pages de l’histoire du club, changeant définitivement l’histoire du football argentin en lui offrant un nouveau géant.

 

Les citations de Carlos Bianchi sont tirées du documentaire célébrant les 20 ans du titre mondial disponible ici.

Bonus : match complet

 
Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.