13 juillet 1930, France et Mexique ne le savent pas encore mais le match que les deux sélections vont disputer sera le premier d’une histoire devenu sommet mondial tous les quatre. Lorsque Lucien Laurent inscrit le premier but de l’histoire de la Coupe du Monde, il fait naître les premiers applaudissements dans un petit stade aujourd’hui disparu. Voyage à la recherche de l’Estadio Pocitos.

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Montevideo, à l’angle des calles Coronel Alegre et Charrúa se dresse un petit monument qui semble anodin. Au pied d’une blanchisserie, une sculpture, colonne de ciment pourrait ne pas parler au profane. Pour l’amateur de foot, elle est bien plus que cela. « Cero a Cero y Pelota al medio » n’est autre que la matérialisation du rond central d’un stade resté dans l’histoire comme celui dans lequel fut inscrit le premier but d’une phase finale de Coupe du Monde : l’Estadio Pocitos.

En attendant le Centenario

Au début du XXe siècle, le tramway était l’un des moyen de déplacement les plus pratiques dans Montevideo. Tirés par des chevaux, ce n’est qu’en 1906 que les trams de la ville deviennent électriques. Le passage à la propulsion mécanique laisse à la compagnie de tramway locale un terrain vague, jusqu’ici utilisé par les chevaux pour se reposer. Fondé par des cheminots, le CA Peñarol va alors hériter de ce terrain, cadeau de la compagnie. Le 6 novembre 1921, les Carboneros découvrent alors leur nouvelle enceinte et quittent Las Acacias (connu aussi sous le nom d’Estadio José Pedro Damiani où joue encore la réserve des Carbonero). Dessiné par  Juan Antonio Scasso, Pocitos est un précurseur : s’inspirant des anciens théâtres grecs, il est le premier stade de foot elliptique de l’histoire et servira de « maquette » au futur Centenario (qui n’est que sa version plus grande). Pendant plus de dix ans, Peñarol s'installe alors dans ce stade de 10 000 places qu’il a inauguré ce 6 novembre face à un adversaire particulier.

Le stade qui scelle une amitié

Lorsque les Carboneros inaugurent Las Acacias en 1916, le rival sur le terrain est tout naturellement le Nacional. Mais depuis 1916, les tensions entre les deux géants n’ont cessé de monter et les clásicos gagnent en intensité. En 1921, Nacional ne veut pas participer à l’inauguration de Pocitos, Peñarol se tourne alors vers son frère argentine : River Plate.  

Au début des années 1910, Peñarol et River Plate commencent à tisser des liens et s’affrontent régulièrement lors de rencontres amicales. Alors que le rival Nacional s’est rapproché du rival des millonarios Boca, les rencontres amicales se font de plus en plus fréquentes entre Peñarol et River. C’est ainsi que lorsque ce 6 novembre Juan Cat, gérant de la compagnie de tramways Sociedad Comercial de Montevideo (La Comercial) donne le coup d’envoi du match d’inauguration, ce sont les Millonarios qui font face aux Carboneros. Ce match marque le tournant de l’amitié entre les deux clubs. L’année suivante, les deux clubs sont ensemble frontistes au sein de leur fédérations respectives, Peñarol est ensuite de l’inauguration de l’Estadio Alvear y Tagle en 1923 (qui sera ensuite démoli pour faire place au Monumental que les Carboneros inaugureront également en 1938). Dans les années trente, River Plate utilise comme maillot de rechange un maillot rayé jaune et noir alors que Peñarol en fera de même en 1936 (la photo ci-contre). Depuis, le lien perdure.

Aller plus loin : Boca - Nacional, River - Peñarol : Les frères du Rio de la Plata

Un stade mondial

Neuf ans après son inauguration, Pocitos entre dans l’histoire du football. En 1929, l’Uruguay est désigné pays hôte de la première Coupe du Monde de football de l’histoire. Seul candidat ayant véritablement les moyens d’accueillir cette compétition, l’Uruguay se lance dans la construction de l’immense Centenario. Malheureusement, les travaux sont ralentis par d’importantes pluies et les organisateurs sont contraints alors à devoir trouver un autre stade pour les premiers matchs de l’épreuve dont le coup d'envoi est prévu le 13 juillet.

En cette fraiche après-midi d’hiver, à Montevideo, Français et Mexicains font rouler les premières balles d’une Coupe du Monde à Pocitos alors qu'au même moment, USA et Belgique s'affrontent au Gran Parque Central. Ce 13 juillet 1930, il neige, le match se déroule devant plus de 4000 personnes. Alexis dans les buts, Marcel et Etienne en défense, Tintin Chantrel, Marcel et le capitaine Alexandre Villaplane au milieu, Ernest, Edmond, André, Marcel et Laurent devant, la France ouvre son histoire mondiale avec une bande de gamins qui découvrent pour la plupart la sélection, seuls Alexis Thépot et Alexandre Villaplane ayant plus de dix sélections. 19e minute, Thépot intercepte le ballon, fait une longue relance sur Augustin Chantrel, qui trouve Liberati sur l’aile. Celui-ci déborde et centre en retrait sur Laurent qui reprend instantanément de volée du pied droit. Le jeune attaquant français vient d'inscrire le premier de l'histoire de la Coupe du Monde, il fait entrer Pocitos dans l'histoire. Puis Alexis Thépot se blesse, Tintin Chantrel, l'envoyé spécial (en l’absence d’envoyés spéciaux, il écrivait les comptes rendus publiés en France) termine dans les buts, mais finalement les Bleus s'imposent 4-1 avec d’autres buts de Langiller, qui jouait à Roubaix, et de Maschinot, auteur d’un doublé et qui, comme Lucien Laurent, porte le maillot de Sochaux. Le lendemain Roumanie et Pérou s’affrontent sur le même terrain, ce sera le dernier match mondial de Pocitos. Trois ans plus tard, Peñarol quitte définitivement le petit stade aux 10 000 places et part s’installer définitivement au Centenario.

Grignoté par l’urbanisation, il réapparait 70 ans plus tard

Avec l’expansion de la ville, dans un quartier de choix car proche de la Rambla, Pocitos, totalement délaissé est condamné. En 1937, les rues commencent recouvrir la pelouse. En 1940, il disparait complètement et finit, au fil des années par tomber dans l’oubli. Il faut attendre le début du XXIe siècle pour que Pocitos renaisse de ses cendres. Entre 2002 et 2006, Héctor Enrique Benech se lance dans un projet fou : retrouver les traces du stade disparu. Une longue enquête, à la recherche de témoignages (jusqu’à un couple voulant enterrer son chien mort qui retrouve un morceau du vieux stade enterré dans son terrain), de photographie. Un travail titanesque récompensé. Benech et son équipe s’appuient sur la topographie de certains terrains existant encore et finalement parviennent à situer Pocitos. Comme tous les pays sud-américain, l'Uruguay aime se rappeler l’histoire de son football., deux monuments sont alors construits : le premier pour le rond central, le second, image d’un but, rend hommage à la lucarne décrochée par Lucien Laurent plus de soixante-dix ans plus tôt. Et le petit Estadio Pocitos s’est ainsi retrouvé une place de choix dans la mémoire collective. Celui dans lequel l'une des plus grande histoire du football a écrit son premier chapitre.

 

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.