Après plus de vingt ans passés sur les terrains professionnels, el Chino Recoba a tiré sa révérence un soir de 2016 par une dernière partie de foot entre amis organisée au Parque Central, lieu de ses derniers exploits. Alors qu'on fête aujourd'hui son anniversaire, rendons un ultime hommage à l’último genio.

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Il est un peu plus de 20 heures lorsque le Gran Parque Central, plein comme un œuf, se prépare à rendre un dernier hommage à l’une de ses dernières grandes idoles. Dans les tribunes, les « olé, olé, olé, olé, Chino, Chino » résonnent. Sur le terrain, d’autres légendes d’Iván Alonso à Marcelo Gallardo en passant par Javier Chevantón, Francesco Toldo, Andrés D’Alessandro, Carlos Valderrama, Javier Zanetti, Iván Zamorano, Oscar Ruggieri et Juan Román Riquelme. Tous étaient venus passer un dernier instant aux côtés d’el Chino. Ce 31 mars 2016, el último genio, s’en est allé, jamais plus il ne foulera une pelouse en tant que footballeur. Sur une dernière ouverture pour son fils Jeremías, Álvaro Recoba a alors salué ses supporters et ses amis. « Ce n’est qu’un au revoir, je vous aime du fond du cœur », dit-il. Les derniers mots d’un footballeur d’un autre temps.

Car si le football glorifie les vainqueurs, il fait de ses artistes ses plus belles légendes. Le 11 janvier 1994, ils ne sont pas trois mille dans l’immense Centenario à assister au duel opposant Danubio et le Defensor Sporting, match de Liguilla Pré-Libertadores. Ce jour-là, un gamin de dix-sept ans fait ses premiers pas avec la Franja et s’il ne fait pas basculer la rencontre (qui se termine sur un 0-0), quinze jours plus tard, il inscrit ses deux premiers buts face au Cerro et permet à son club de se qualifier pour la Copa CONMEBOL, sorte d’ancêtre de l’actuelle Sudamericana. Ce que l’Uruguay ne sait pas encore, c’est que ce gamin commence alors l'écriture de l’un des plus beaux chapitres de son histoire.

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L’art du contrepied

Álvaro Recoba est né le 17 mars 1976, année historique en Uruguay puisque c’est celle du titre du Defensor Sporting, premier titre de l’ère professionnelle à ne pas être décroché par l’un des deux grands. Comme un symbole. Car l’histoire de Recoba est avant-tout celle d’un joueur qui a toujours cherché à se faire plaisir, toujours été là où personne ne voulait qu’il soit, un joueur qui voyait le football comme un jeu, le seul à la hauteur de son talent. Au final, un joueur d’un autre temps.

Il n’a donc que dix-sept ans quand il s’installe titulaire à Danubio et n’hésite pas à immédiatement délivrer son message : « À la mi-temps, mes coéquipiers m’ont reproché de préférer tenter un petit pont. Je leur ai expliqué que c’est ainsi que je voyais le football et qui si je ne pouvais pas faire ce que j’aime, autant ne pas jouer ». Alors el Chino fait ce qu’il aime, laisse parler son talent, ne se repose que sur celui-ci. Son pied gauche s’offre Nacional en trois minutes lors d’une victoire du Danubio qui élimine le Bolso de la course au titre, qui file chez le grand rival Peñarol, humilie un certain Fernando Hierro lors de sa première internationale disputée au Riazor face à l’Espagne en janvier 1995, jour où du haut de ses dix-huit ans, il entre à la place d’un certain Enzo Francescoli. Enfin, ce pied gauche marque les esprits en 1997 lorsque, alors passé à Nacional à la suite d'une dispute entre son agent et José Pedro Damiani président du Peñarol, il dirige un slalom maradonesque face aux Wanderers, l’un de ses chefs d’œuvre, l’un des derniers exploits avant l’envol européen.

Car le gamin né calle Osvaldo Cruz, dans le quartier de Flor de Maroñas, est doué au point qu’il ne perd pas de temps. Le temps d’une saison avec le Nacional (et deux tournois gagnés), il s’envole déjà pour l’Italie. Massimo Moratti, le président de l’Inter alors spécialiste en tirelires cassées sur les futures pépites, s’est agenouillé devant son talent. Comme toujours, cette grande capacité à frapper quand on ne l’attend pas. Alors que les yeux du monde sont braqués sur une merveille brésilienne nommée Ronaldo pour ses grands débuts en Serie A, l’Inter s’impose devant le Brescia de Pirlo sur deux coups de canon venus d’Uruguay. En brillant de la sorte, el Chino suscite des espoirs mais peine finalement avec les Nerazzurri.

L’année suivante, Ronaldo blessé, l’Inter repose sur le duo Baggio – Zamorano. En manque de temps de jeu, Recoba s’exile à Venise à mi-saison. Là encore, alors que tout le monde semble vouloir l’enterrer, imagine déjà un énième sud-américain à ranger dans la case talent sans lendemain, el Chino, libéré de toute pression, se lâche. Son pied gauche traumatise l’Italie. Toldo encaisse deux coups francs lors d’une déroute de la Fiorentina de Batistuta alors de retour après un mois d’arrêt, quelques semaines plus tard, Recoba mène Venise au maintien sur un dernier match parfait, celui qui fait tomber l’Inter. Onze buts et dix-neuf matchs plus tard, el Chino revient à Milan pour y briller enfin. Mais si Recoba décroche quelques titres au cours des huit saisons qu’il passe ensuite à Milan, il ne parvient jamais à trouver quelque régularité, oscillant entre les ratés mémorables, comme le penalty face à Helsingborg qui élimine l’Inter dès le tour préliminaire de la Ligue des Champions, et les vrais moments de génie, ceux qui enrichissent les compilations youtube. Jamais Recoba n’a été là où l'on voulait qu’il soit, sa décennie italienne a confirmé l’immense talent de ce gaucher qui n’a finalement eu qu’un seul tort, celui de voir le football comme un passe-temps, de ne pas se plier à la rigueur et aux exigences du monde professionnel, passant sans aucun doute à côté de quelque chose de plus grand, oscillant entre le brillant de ses fulgurances et l’obscurité de ses passages à vide. Mais tel était Recoba, ce joueur impossible à contraindre dans une position sur le terrain, celui qui ne pouvait s’exprimer que si totalement libéré de toute charge, laissé libre de tout mouvement. El Chino n’était pas un joueur de son époque alors trop contraignante pour lui. Au point d’être parfois un paria.

L’ombre celeste

C'est par exemple le cas avec la sélection nationale, seule véritable plaie béante dans l’histoire du footballeur Recoba. Car si Recoba fait ses débuts en sélection en 1995, il vit les pires heures de la Celeste. L’histoire d’el Chino en Celeste n'a finalement été qu’une longue succession de hauts et de bas. Les hauts d’un but inscrit face à l’Argentine, celui qui envoyait alors l’Uruguay vers un barrage australien, le bas de ce barrage lorsque, du banc, il assiste au cataclysme qu'est alors l’élimination de la sélection lors d’une séance de tirs au but au cours de laquelle son remplaçant d’alors, Marcelo Zalayeta, échoue. Les hauts et les bas d’une Copa América 2007 vécue sur le banc d’abord puis sur le terrain lors de la correction donnée au pays hôte, le Venezuela avant, une fois encore d’assister du banc de touche à l’élimination en demi-finale lors d’une séance de tirs au but à laquelle il ne participe pas, remplacé à la pause après avoir tenté deux Olimpico. Les hauts encore, d’une participation à une phase finale de Coupe du Monde immédiatement devenue bas lorsque, en conflit avec le vestiaire, et notamment Paolo Montero, el Chino se retrouve dans un groupe totalement divisé qui explose rapidement. Mais l’histoire qui voulait que Recoba ne gagne rien avec l’Uruguay, a choisi de le faire revenir au pays pour le faire entrer définitivement dans la légende.

Derniers exploits, l’idole du Bolso

Après une pige au Torino et un exil en Grèce, l’heure est en effet venue pour Recoba de revenir au pays. Annoncé partout en Amérique du Sud, il décide alors, comme toujours, de prendre tout le monde à contrepied en revenant là où tout a commencé, à Danubio. On pense alors le voir tranquillement terminer sa carrière, il a alors trente-quatre ans. Mais Recoba est un dribbleur de génie, une saison seulement et le revoilà à Nacional, comme s’il redémarrait sa carrière. C’est au cours de ses quatre saisons avec le Bolso qu'il écrit définitivement dans la légende. De ses Olimpicos en série aux buts décisifs dont l’apogée est le fameux coup-franc de la 94e minute lors du Clásico, el Chino fait ce qu’il sait faire de mieux, distiller son génie à petites doses. Devenu joker de luxe quand le besoin s’en fait sentir, meneur de jeu lorsqu’on lui demande, libre de tout mouvement, Recoba mène le Nacional sur les chemins du succès. À trente-neuf ans, il prend sa retraite sur une dernière offrande, un ballon déposé sur la tête de Santiago Romero pour offrir le titre à son Bolso. Et peut ainsi s'offrir une dernière joie, un simple match entre amis.

 « El Chino n’est pas devenu le meilleur joueur du monde uniquement parce qu’il ne l’a pas voulu » a dit Juan Sebastián Verón. Certes Recoba n’est pas devenu le meilleur du monde, mais il reste le dernier représentant d’un football romantique où seul le talent compte, où l’effort est remplacé par le culte du beau geste. Il est le dernier représentant d’un football devenu aujourd’hui celui de la nostalgie.

 

Initialement publié le 17 mars 2017, dernière mise à jour le 17 mars 2023

 

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.