Après six années de fâcheries qui ont suspendu la tenue du Campeonato Sudamericano, Uruguay et Argentine sont enfin de retour ensemble dans une compétition continentale. Elle marquera la naissance d’un nouvel Uruguay.

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Les années vingt : l’apogée du football total

Le début du XXème siècle est la période du football rioplatense. Argentine et Uruguay se partagent les titres, l’Argentine a remporté 4 Campeonatos Sudamericano quand l’Uruguay en a déjà décroché la moitié des 12 éditions (seul le Brésil, chez lui, est parvenu à s’insérer dans le palmarès). La Celeste domine le continent, sa traversée de l’océan lui permet de marquer les esprits, d’assoir son triomphe aux yeux du monde. 1924 à Paris, l’Europe découvre un autre football, fait de courtes passes, d’accélérations brutales, de technique. Pour de nombreux observateurs de l’histoire de ce sport, l’Uruguay est venu planter la graine du football total (lire Quand l’Uruguay apporte le football total en Europe) que reprendront à leur compte Hongrois puis, plus tard, les Pays-Bas de Cruyff. « Nous avons ici le vrai football. En comparaison avec celui-ci, celui que nous connaissions avant, celui que nous jouions, n’était rien d’autre qu’un jeu de cours d’école, » écrit ainsi Henry de Montherlant encore sous le choc des démonstrations infligées à la Yougoslavie (7-0), aux USA (3-0), au pays-hôte (5-1), aux Pays-Bas (2-1) puis à la Suisse (3-0) en finale. Alors que le football anglais est considéré supérieur, Gabriel Hanot résume d’une phrase « c’est comme comparer des purs sangs arabes à des chevaux de ferme ». Emmenée par Hector Scarone et la nouvelle star José Leandro Andrade (lire José Leandro Andrade : grandeur et déclin de la première star mondiale uruguayenne), l’Uruguay domine la planète football. La Celeste récidive en 1928 à Amsterdam avant de remporter sa Coupe du Monde, première de l’histoire en 1930.

La finale de 1930 met aux prises les deux frères du Rio de La Plata dans un Centenario en fusion et plein comme un œuf (68 000 selon la FIFA, 90 000 selon les organisateurs locaux). Elle représente l’apogée de leur rivalité. De la dispute pour le choix du ballon – qui se terminera avec un compromis, un ballon par mi-temps – à la leçon tactique donnée par la Celeste à sa voisine, la tension est palpable, les relations entre les deux fédérations sont rompues, l’Argentine clame haut et fort que sa sélection a subi des pressions à Montevideo, que ses joueurs ont même été physiquement menacés pendant la finale. Cette dispute n’est pas sans conséquences, Argentine et Uruguay refusant de se croiser de nouveau en compétition officielle, le Campeonato Sudamericano est suspendu.

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Qualification olympique et retrouvailles

Six après la dernière édition, le Campeonato Sudamericano va enfin renaître de ses cendres sous l’impulsion du Pérou. Le pays fête le centenaire de la fondation de Nuestra Señora de Lima, la capitale, et veut en profiter pour accueillir le tournoi. La fédération péruvienne se montre alors efficace, elle réussit à convaincre Argentine et Uruguay à y prendre part. Le tournoi débute le 6 janvier, ils ne sont que quatre engagés, le Chili complétant le casting. C’est un tournoi spécial par le fait qu’aucun trophée ne sera remis et qu’il sert de prétexte à une qualification olympique (pour les deux finalistes). L’Uruguay rejoint le Pérou au terme d’un voyage de 9 jours, débuté le 24 décembre, à travers l’Argentine, passant par Buenos Aires, Mendoza, traversant la Cordillère des Andes pour arriver à Valparaiso d’où la délégation prendra le bateau pour arriver à El Callao puis à Lima. Rapidement, les deux favoris se détachent, l’Argentine écrase le Chili et le Pérou sur le même score (4-1) quand l’Uruguay s’impose dans la douleur face aux deux voisins du Pacifique (1-0 et 2-1). A égalité de points à l’heure du dernier match, ils se disputeront le titre.

Le 27 janvier, l’Estadio Nacional est donc prêt pour accueillir les deux frères fâchés du Rio de La Plata. La brouille est telle qu’un accord est trouvé : aucune des deux équipes ne portera sa tenue officielle. L’Uruguay se présentera ainsi maillot rouge short blanc, l’Argentine jouera en blanc, short noir. L’Uruguay aligne sa « Génération Olympique » qui cumule l’âge avançant à une pluie de petits bobos. Le capitaine légendaire José Nasazzi passe des jours entiers avec le pied dans une bassine d’eau pour faire désenfler sa cheville droite, “Matucho” Fígoli tente de récupérer tant bien que mal et plus « grave », Enrique Ballestrero, le gardien, souffre d’une main gauche enflée qui le fait pleurer à chaque massage. L’Uruguay va alors mettre de côté ses principes de jeu léché qu’il avait exposé à la fin de la précédente décennie pour y substituer, circonstances obligent, un mélange de justesse technique et de courage. La justesse technique permet aux Celestes de couler l’Argentine en 18 minutes, au cœur de la première période, Castro, Taboada et Ciocca donnant trois buts d’avance à l’Uruguay. Dès lors, la bande à José Nasazzi se recroqueville, défend bec et ongle, au bout du courage pour résister aux assauts argentins. L’Argentine ne marquera pas, le tenant du titre tombe, le Campeonato Sudamericano 1935 est remporté par l’Uruguay, dernier titre de la « Génération Olympique » (anecdote, l’Uruguay décidera alors de faire de la tenue rouge son maillot extérieur à plusieurs reprises en hommage à ce titre). Pour la première fois, les valeurs de sacrifice et de courage ont pris le dessus sur le jeu léché, les journalistes de l’époque créent alors le terme garra pour décrire ce nouvel Uruguay. Ironie de l’histoire, aucune des deux équipes ne disputera les Jeux Olympiques de 1936 pour lesquels elles étaient qualifiées.

Ce 27 janvier 1935, à Santa Beatriz, qu’importe que l’expression est fausse au regard de l’histoire (aucun charrúa n’a jamais porté le maillot Celeste), certains lui préférant aujourd’hui le terme garra Celeste (lire Julio Osaba : « En Uruguay on se forge une identité soit avec la politique soit avec le football »), la garra venait de naître, elle deviendra adulte 15 ans plus tard lorsqu'elle éteindra le Maracana.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.