Alors que le Campeonato Sudamericano peine à rester officiel et doit lutter contre les querelles politiques entraînant quelques forfaits, l’année 1945 marque celle des débuts d’un petit nouveau, la Colombie. L’aventure sera épique.

Le football débarque en Colombie en même temps qu’il s’installe dans les autres pays du continent. A la fin du XIXème siècle, les marins anglais qui viennent garnir les ports colombiens apportent ce nouveau jeu qui se développe ainsi à partir de Barranquilla pour se disséminer aux autres régions du pays en même temps que les communications progressent. A la différence des autres pays du continent, cette dissémination est plus lente en Colombie et, alors que tous les autres membres du continent sud-américain, à l’exception du Venezuela, se disputent le Campeonato Sudamericano depuis 1916, le dernier arrivant étant l’Equateur en 1939, la Colombie n’a pas encore connu la moindre joute continentale.

Et pour cause, le football professionnel n’existe pas encore au pays, les différentes régions s’écharpent pour savoir laquelle est la plus puissante, la dispute ne cesse alors de diviser une fédération colombienne tout juste crée en 1936 lors que la Liga de Football del Atlántico, créée à Barranquilla en 1924 se réforme et affilie alors les clubs des villes de Medellín, Manizales, Cali, Bucaramanga et de Bogotá. La Asociación Colombiana de Fútbol (Adefútbol) voit le jour, elle est officiellement reconnue par la FIFA lors du congrès de Berlin organisé pendant les Jeux Olympiques de 1936. La première sélection colombienne peut alors véritablement voir le jour (même quelques ébauches de sélections se sont affrontées dans les années 20), elle attend les célébrations des 400 ans de la fondation de Cali pour disputer ses premiers matchs, nous sommes alors en 1938. En 1944, alors que la sélection colombienne n’a pas disputé le moindre match officiel depuis près de 6 ans, elle est enfin invitée à prendre part au Campeonato Sudamericano de 1945.

L’odyssée

Comme lors des éditons de 1935 et de 1941, la version 1945, 18e rendez-vous continental de l’histoire, ne mets pas en jeu de trophée officiel, elle ne sera reconnue Copa América que plus tard. La seule véritable coupe en jeu sera la Copa Mariscal Sucre qui n’oppose que les sélections de Bolivie, de Colombie et d’Equateur, les représentants bolivariens. L’organisation de l’évènement est confiée au Chili.

Bien avant de devoir gérer le voyage vers le Sud, la Colombie doit alors se trouver une sélection. Le choix de Barranquilla comme siège de la Asociación Colombiana de Fútbol ne finit pas de diviser le pays, les différentes régions cherchant à trouver leur place et les luttes de pouvoir n’ayant alors de cesse de générer des conflits. Lorsque l’Adefútbol accepte l’invitation lancée par la Confédération Sud-Américaine, elle se retrouve alors à devoir composer une sélection. Plusieurs joueurs issus des ligues existantes dans le pays sont appelés mais les réponses sont peu nombreuses, les ligues d’Antioquia et de Cundinamarca refusent par exemple d’y prendre part. C’est ainsi que la sélection composée par l’Adefútbol sera finalement essentiellement issue du club de Barranquilla, l’Atlético Junior, la meilleure équipe du pays (ou de la Ligue de Barranquilla, c’est selon) emmenée notamment dans les années 20 et 30 par le duo Roberto Meléndez - Romelio Martínez (Meléndez sera le sélectionneur de la Colombie au Chili).

Le voyage vers le Chili est une véritable odyssée. Afin de réunir les fonds nécessaire à son financement, l’Adefútbol organise une série d’évènements à Barranquilla en marge de matchs d’exhibition au cours desquels les joueurs sont invités à vendre tickets de loterie et autre nourriture sur les différents stands. L’obtention des passeports est un nouvel obstacle, au centre d’une bataille administrative, mais au final, le 19 décembre 1944, le voyage vers le Chili peut commencer. Il débute à Barranquilla, passe par Cali pour se diriger vers Buenaventura d’où les joueurs doivent partir en bateau vers le Sud. Malheureusement pour eux, une fois arrivés, ils constatent que leur bateau est parti sans eux. Le voyage vers le Chili se fera par la terre, il sera interminable. La sélection doit rejoindre Quito en bus, mais ce dernier tombe en panne à cinq kilomètres de la capitale équatorienne, forçant l’ensemble des joueurs et de l’encadrement à terminer à pied. Ils prennent alors le train vers Guayaquil pour trouver un bateau une fois encore absent. Les Cafeteros atteignent alors Lima par la voie terrestre et, grâce à l’aide du président Manuel Prado Ugarteche, ils peuvent alors embarquer direction Valparaiso (après avoir disputé trois matchs de baseball pour réunir les fonds nécessaires sur le port de Callao). Au bout de 25 jours de voyage, la Colombie est à Santiago le 14 janvier 1945, jour du coup d’envoi de l’épreuve (le Chili s’impose ce jour-là 6-3 face à l’Equateur). Exténuée, elle peut enfin se lancer dans son premier Campeonato Sudamericano, son premier match, initialement prévu face à l’Argentine étant reporté.

La Copa América des petits

Le 18 janvier, tout de blanc vêtue, une bande jaune, une bleu et rouge en guise de drapeau cousue sur le torse, la première sélection colombienne à participer à ce qui deviendra la Copa América débute sa compétition face au Brésil. Plus que la défaite (0-3), l’important est ailleurs, la Colombie est enfin présente dans une compétition continentale. Pourtant, au pays, cette défaite ne manque pas d’attirer les railleries des autres régions qui en profitent pour critiquer vertement le niveau d’une sélection vue comme unique représentant de Barranquilla. Les deux matchs face aux frères de La Plata sont un calvaire pour l’excellent Andrés Acosta, gardien surnommé Penicilina pour sa capacité à enchaîner les miracles dans ses buts. La Colombie en prend 7 face à l’Uruguay, 9 face à l’Argentine. Même si la lourde défaite face à l’Argentine fait mal, elle reste celle du premier but inscrit par la sélection, œuvre de Roberto ‘Guarapo’ Mendoza. Alors que le Campeonato Sudamericano pourrait tourner au désastre, il va cependant permettre aux Cafeteros de décrocher un titre.

Les deux derniers matchs prévus pour la Colombie lui offrent deux nations que la sélection connait bien, l’Equateur etla Bolivie. González Rubio, Gámez et Berdugo entrent dans l’histoire du football cafetero en offrant à la sélection sa première victoire, les trois récidivent trois jours plus tard face à la Bolivie pour permettre d’obtenir un résultat nul synonyme de cinquième place. La Colombie termine devant les deux autres équipes bolivariennes, le seul trophée remis lors de ce Campeonato, la Copa Mariscal Sucre est pour eux. Pour sa première, elle a remporté la Copa América des petits, l’histoire ne fait que commencer.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.