Annoncé dans les petits papiers de l’Olympique de Marseille, Darío Benedetto est le genre d’avant-centre qui fait toujours parler. De son arrivée surprise au Mexique à celle plus discutée à Boca, Pipa a su se transformer à chaque fois. Pour devenir l’un des meilleurs spécialistes au poste en Argentine.

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La vie du petit Darío Benedetto bascule lorsqu’il a 12 ans. Alors occupé à vivre ses passions, faire trembler les filets adverses et jouer de la musique, le gamin du barrio El Pato, perd sa maman, victime d’une crise cardiaque en plein match de son enfant. Le coup est si dur pour le jeune Darío, qu’il décide alors de ne plus jouer au football et quitte les terrains, lui qui était alors chez les jeunes d’Independiente. Il se resserre avec sa famille, son papa Hugo, ses frères et sœurs Lucas, Yesica et Adriana, travaille un temps comme maçon, se lance dans la cumbia avec son frère, mais va renaître une première fois sur les terrains.

Tombé du ciel

À seize ans, il part alors du côté de Sarandí pour passer un essai avec Arsenal. René Gómez raconte son arrivée quelques années plus tard : « Il ne restait que huit jours avant la fin du marché et j’avais deux places de disponibles. Sergio Módica m’a dit qu’il y avait un gamin qui était venu avec son père ou son oncle et qui était attaquant ». Celui qui allait devenir Pipa fait plus que ses preuves, Gómez pousse pour qu’il soit incorporé à la Séptima División. Pour Gómez « ce gamin est tombé du ciel, il faut l’incorporer au groupe ». Alors, lorsque les dirigeants demandent une liste de douze jeunes à incorporer à la réserve, Pipa est l’un des premiers noms aux côtés de joueurs tels que Nicolás Aguirre ou Iván Marcone. Le jeune Benedetto impressionne, il frappe fort des deux pieds, possède un bon jeu aérien et voit le jeu comme personne. « Nous ne lui avons rien appris ici, il avait déjà tout », diront de lui ses entraîneurs chez les jeunes. Parfois absent des entraînements, il continue de travailler comme maçon avec son père, il lui arrive aussi de venir s’entraîner sans avoir mangé. Mais sur le terrain, Benedetto franchit rapidement les paliers. Il débute chez les pros en 2008, lors d’un match face à Boca, marque son premier but l’année suivante face à Lanús (qu’il dédie évidemment à sa maman) passe par des prêts à Defensa y Justicia, au Gimnasia de Jujuy, où, alors surnommé El Diablo, il claque onze buts en dix-neuf matchs, et revient au club au meilleur des moments. Champion sans trop jouer en 2012, il attend l’arrivée de Gustavo Alfaro pour s’installer, décrocher un troisième titre avec le club et commencer à enfiler les buts. Ses performances suffisent à attirer les regards venus du Nord et plus précisément du Mexique. Son agent entretenant des liens étroits avec les Xolos (nous en reparlerons), chez qui il place la plupart des joueurs de son écurie, Pipa débarque à Tijuana en 2013.

Le Mexique pour décoller

La greffe prend immédiatement. Benedetto s’offre un triplé pour son premier match face à l’Atlas. S’il attend la fin du tournoi pour marquer de nouveau (un doublé face à Atlante), il monte progressivement en puissance avec le jeune club du Nord-Ouest du pays et explose véritablement lors de l’Apertura 2014 qu’il termine au pied du podium des goleadores du tournoi. Ses performances sont remarquées au sein de la Liga MX. Au sein d’un club qui n’a pas dix ans d’âge, en une cinquantaine de matchs, Pipa grimpe sur le podium des meilleurs buteurs historiques. Mais il faut plus, autre chose que les Xolos pour véritablement se faire un nom. Ce plus se trouve du côté de Mexico, il se nomme América.

Le géant mexicain veut se construire une machine de guerre. Gustavo Matosas, qui a décroché quatre titres avec León se pose sur le banc, Cristian Pellerano, Miguel Samudio, Darwin Quintero et Darío Benedetto renforcent le groupe. L’objectif est double, le championnat et la CONCAChampions. Rapidement, Benedetto s’installe sur l’aile gauche, l’axe étant occupé par Oribe Peralta. La complémentarité entre les deux buteurs semble possible, elle se manifeste dès le premier match, face à León (doublé d’el Hermoso dont un but sur une offrande de Benedetto), l’Argentin enchaînant ensuite en claquant quatre buts lors des six matchs suivants. Mais elle ne dure qu’un temps. En Liga MX, Pipa est muet, il attend la CONCAChampions pour se rappeler aux mémoires collectives. Un quadruplé en vingt-trois minutes face à Herediano en demi-finale retour lors d’une folle remontada (0-3 au Costa Rica, 6-0 à l’Azteca), un triplé au retour en finale face à l’Impact, Benedetto inscrit sept buts en trois matchs de CONCAChampions et offre quasiment à lui seul le titre aux Águilas. De quoi relancer une machine totalement grippée au pays (sept matchs sans marquer) ? Pas vraiment. Même si Matosas saute rapidement (à la fin du tournoi), l’arrivée de Nacho Ambriz ne change pas la donne pour l’Argentin. Excentré à gauche dans le 4-3-3 mis en place par le coach de l’América, il s’adapte en se muant passeur et voit progressivement sa quantité de buts diminuer pour finir par rester muet pendant près de trois mois début 2016, n’inscrivant finalement qu’un seul but lors du Clausura. Un départ semble inéluctable pour un buteur qui semble alors avoir perdu confiance et qui n’a finalement jamais donné totale satisfaction même si certains envisageaient déjà d’en faire un international mexicain quelques mois auparavant. La porte de sortie est celle d’un rêve pour l’hincha qu’il est : elle se nomme Boca Juniors.

Boca pour s’envoler

Dire que son arrivée chez les Xeneizes est vue d’un bon œil serait mentir. Nombreuses sont les voix à s’élever contre un tel transfert, à l’image du toujours posé et précis Alejandro Fantino qui se montre excessif (comme toujours) lorsqu’il s’agit de critiquer le choix de Boca de faire de Benedetto son nouveau membre de l’attaque pour venir en alternative à Tevez (les couloirs étant alors occupés par Pavón et Lodeiro dans le 4-3-3 de Barros Schelotto) : « J’ai vécu trois mois en Colombie, j’ai consommé du football mexicain. Cruz Azul ou l’América sont une chose, mais jouer contre des équipes telles que les Rayados de Sinaloa (sic) ou je ne sais comment elles s’appellent, qui posent le bus pour ne pas prendre de buts et font jouer des joueurs venus des divisions inférieures du Pérou ou de Bolivie, rend ce championnat horrible ». La hinchada xeneize est tout aussi dubitative, d’autant que depuis la retraite de Martín Palermo, le club n’a cessé de consommer des avant-centres, parfois confirmés. Mais Boca ne peut se refuser pour celui qui a un tatouage du club sur le corps et paye de sa poche une partie de son transfert (1M USD sur les 6 du prix du transfert). Pipa va alors s’attacher à prouver aux dirigeants qu’ils ont eu raison de lui faire confiance et retourner supporters et journalistes.

Après avoir fait ses débuts lors de l’élimination en demi-finale de la Copa Libertadores et marqué son premier but en Copa Argentina, Benedetto s’offre un triplé en championnat face à Quilmes puis se blesse quelques semaines plus tard. À son retour, les filets vont trembler. Sept buts en cinq matchs officiels pour clore 2016 et lancer une année 2017 totalement folle. Quatorze buts en dix-sept matchs pour terminer le championnat par un titre de champion et un titre individuel de meilleur buteur du tournoi (21 buts en 25 apparitions), Darío Benedetto est alors ce qui se fait de mieux en Argentine à ce poste, intègre équipe de l'année et est naturellement appelé par Jorge Sampaoli (il terminera l’année avec quatre sélections). Et continue d’affoler les défenses du pays jusqu’au 19 novembre. Après avoir inscrit neuf buts en autant d’apparitions, Benedetto se fait les croisés face au Racing de Lautaro Martínez. On ne le reverra plus sur un terrain avant le mois d’août de l’année suivante, son retour étant retardé par d’autres pépins, les rêves mondiaux s’envolent pour Pipa mais surtout, rien ne sera plus jamais comme avant.

S’il ne marque plus en championnat, Pipa sait être encore décisif dans les grands rendez-vous. Deux passes décisives en quarts de Libertadores face à Libertad, deux buts face à Palmeiras en demi-finale aller, un autre au retour au Brésil, il est l’homme qui offre à Boca sa onzième finale de Libertadores. Une finale où il brille encore, marquant à l’aller et au retour à Madrid. Son but et sa célébration lors de la fameuse finale de Bernabéu sont depuis devenus des mèmes sur l’internet du rival, le fait est que Benedetto est, comme le dira el Pollo Vignolo, « passé à vingt minutes de devenir une idole à Boca ». Mais comme lors de la fin de son histoire avec l’América un ressort semble cassé. Benedetto n’est plus autant efficace, plus en confiance. Deux petits buts en onze sorties en championnat, lui qui tournait à une moyenne de 0.83 but par match avant sa blessure, clôt le premier semestre 2019 sur un bilan famélique de 0.28 but par match. Un bilan qui s’explique aussi par un temps de jeu réduit (depuis septembre dernier, Pipa n’a terminé que deux de ses quinze matchs de Superliga). Certaines voix commencent à déjà enterrer un garçon en qui personne ne croyait et qui avait pourtant été le seul à parvenir à endosser le terrible numéro 9 xeneize. Ingratitude du football.

Un neuf et bien plus

Car devenir le numéro 9 de Boca n’est pas une chose simple. Demandez aux Viatri, Blandi, Cvitanich, Calleri et autre Gigliotti, tous sacrifiés sur l’autel de l’héritage trop lourd à assumer. Pourtant, s’il est un homme qui, par ses performances, a su se montrer capable de devenir le véritable héritier de Palermo, c’est bien Darío Benedetto. Pour preuve, à l’issue de ses 51 premiers matchs avec Boca, Pipa comptait un but d’avance sur el Titán, poussant le vice de la similitude jusqu’à se rompre les ligaments à peu près à la même période de l’année que son illustre ancêtre. On a beau pouvoir faire dire ce que l’on veut aux chiffres, lorsqu’il s’agit d’un avant-centre à Boca, ils ne sont pas anodins. Les éloges qui sont tombés lors de sa meilleure période le traduisent, Juan Román Riquelme disait ainsi de Pipa, « il est le meilleur joueur de notre équipe ». Reste que la similitude avec son idole s’arrête aux chiffres. Si Benedetto, comme Palermo, comme n’importe quel grand buteur, est un danger permanent, son profil est bien différent du Titán.

Plus véloce, plus rapide, plus technique, Benedetto pèse moins par son physique sur les défenses adverses que son illustre modèle. Capable de jouer en pur neuf, guettant le bon ballon au bon moment, Benedetto parait plus complet, plus fin dans le jeu même si parfois moins létal que le Titán. Il aime décrocher et créer son propre but (sur les vingt-et-un buts qu’il inscrit lors du tournoi 2017, il s’en « fabrique » sept). « J’aime sortir de ma position de 9 », disait-il à El Grafico, sans doute aussi un héritage de son temps passé à tourner autour d’un autre avant-centre, notamment à l’América. Reste que sur et en dehors du terrain, il est le coéquipier modèle, celui qui peut mettre son égo de côté pour le bien de l’équipe comme lorsqu’il s’agit de laisser un penalty à Fernando Gago « parce qu’il me l’a demandé », ou de célébrer les buts avec Wanchope Ábila, son concurrent direct au poste et qui se montre plus efficace dans le schéma d’Alfaro.

« C’est un garçon très professionnel, avec une idée bien précise de ce qu’exige cette profession, de ce qu’il doit faire », disait de lui Gustavo Alfaro durant la dernière Coupe du Monde. Reste un écueil, Benedetto semble parfois plus fragile mentalement qu’un Palermo, sa crise de confiance des derniers mois le suggérant. « Il a besoin de se sentir apprécié » disait Christian Bragarnik, son agent. Il a aussi besoin de se sentir prêt physiquement, ce qui semble être l’un des soucis depuis quelques mois avec les petits pépins physiques qui s’accumulent. Reste que si Pipa retrouve l’intégralité de ses moyens, et là est bien la grande interrogation qui se pose à son sujet, eu égard au prix du transfert annoncé, il a tout pour devenir le numéro 9 qui l’OM attend depuis des années. Un soir de but face à Huracán, on l’a vu crier « donnez-moi le ballon, je le mettrai au fond ». C’est tout ce que les supporters olympiens attendent de lui. Histoire encore de vaincre une autre malédiction.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.