Dissoute en mars 1961 après les incidents consécutifs au quart de finale de Coupe de Tunisie perdu contre l’Espérance de Tunis, l’Étoile du Sahel traverse quatorze mois sans exister. Mais elle ne disparaît pas de l’actualité, vu que la plupart de ses joueurs, qui ont renforcé le temps d’une saison les rangs du club voisin, le Stade Soussien, passent tout près d’un doublé historique Championnat-Coupe avec leurs couleurs d’emprunt. Avant de réaliser ce même doublé, la saison suivante sous leurs couleurs originelles, une fois la dissolution de l’ESS annulée.

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Cette histoire débute le 5 mars 1961, à Sousse, au Stade Mohamed Maarouf (appelé Stade Cachelou à l’époque de l’occupation française), où cohabitaient tous les clubs de la ville avant que l’Étoile ne s’installe au Stade Olympique inauguré en 1973. Ce jour-là, l’Étoile accueille l’Espérance de Tunis pour ce qui est le sommet des quarts de finale de la Coupe de Tunisie, sommet qui héritera des décennies plus tard du surnom de « Clásico » du football tunisien.

La rivalité sportive déjà bien présente entre l’ESS et l’EST s’intensifie dans un chassé-croisé pour les trophées dès l’indépendance du pays en 1956 et jusqu’à cette année 1961, avec en guise de troisième larron qui s’octroie sa part du butin, le club du Bardo, le Stade Tunisien, emmené par l’attaquant international Noureddine Diwa. Les premières saisons footballistiques tunisiennes voient les cadres de l’ESS, Béji Abdou, le « géomètre du jeu »1, Abdelmajid Chetali, « l’emblème »2, Habib Mougou, « tête d’or »3, croiser le fer avec leur vis-à-vis espérantistes Tasco, Naji, Hadj Ali, Tlemçani : championne de Tunisie 1957/58, l’Étoile finit par rafler la coupe en 1959 après deux finales perdues, sur cette même période l’Espérance remporte deux championnats et une coupe. Le chassé-croisé se prolonge même jusqu’au classement des buteurs, puisqu’aux quatre-vingt-six pions en quatre saisons de Mougou avec les Sahéliens (en comptant la saison 1955/56 pas nécessairement toujours prise en compte, année pré-indépendance oblige) succèdent les cinquante-quatre buts de Tlemçani avec les Sang et Or en deux saisons, double meilleur buteur en 1958/59 et 1959/60.

Si le bilan global à ce moment-là est équilibré, la confrontation du 5 mars 1961 ne l’est pas : Tlemçani et Meddeb inscrivent un but chacun dans le premier quart d’heure, permettant à une Espérance nettement supérieure de plier le match d’entrée et de ramener la qualification de Sousse (0-2), dans des circonstances houleuses : à l’entrée du stade Maarouf, les supporters locaux s’attaquent aux voitures des supporters adverses et au car de l’EST après le match en jetant divers projectiles, causant des dommages matériels conséquents.

Les sanctions pleuvent dans les jours qui suivent : le 9 mars 1961, un communiqué de la Direction Tunisienne de la Jeunesse et des Sports décide l’arrêt de toute participation de l’Étoile du Sahel aux compétitions (le championnat de Tunisie se termine à onze équipes). Quelques jours plus tard, c’est la dissolution pure et simple du club qui est décidée. L’ESS n’existe plus, mais les joueurs sont autorisés à signer dans le club de leur choix pour la saison suivante. À la fin de l’été 1961, le buteur Mougou et Lamine se rendent dans une autre ville de la région du Sahel, Mahdia (à soixante kilomètres de Sousse) pour prêter main forte au club local, l’EMM, El Makarem de Mahdia, qui a évité la relégation en seconde division de justesse lors de la saison 1960/61, et reparti pour une mission maintien dans l’élite. Une grande partie de l’effectif effectue sur la même période un chemin beaucoup plus court.

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Le Stade Soussien, un doublé manqué de peu

C’est en effet à l’un de leurs voisins dans la ville et colocataires du stade Maarouf, le Stade Soussien, que les Étoilés viennent prêter main forte. Promus en Division 1 à l’issue de la première saison complète de l’histoire de la Tunisie indépendante, les Verts du SS se stabilisent dans le milieu de tableau et bâtissent une équipe solide, qui signe une belle sixième place lors de la saison 1960/61.

Sans surprise, quand plus d’une dizaine de joueurs de l’Étoile et son entraîneur yougoslave Božidar Drenovac (ancien joueur de l’Étoile Rouge et du Partizan Belgrade) se proposent de renforcer les rangs de leur voisin, le club change de dimension. Ce qui sera appelé officieusement une « fusion » entre les Verts et les Rouges de la perle du Sahel est de fait la transformation du Stade Soussien de trouble-fête du championnat à candidat au titre. Le trio Braham-Khouaja-Meziane, cadre du Stade Soussien version 1960/61, s’impose dans le onze-type de ce nouveau super-effectif et sont ainsi considérés comme les garants de l’identité de l’équipe initiale. Les autres postes de joueurs de champ sont occupés par les Étoilés, notamment Chetali, les frères Habacha (Mohsen et Mohieddine), Rouatbi, Jelassi, Mahfoudh, et Chaouech. Dans les cages, la concurrence et l’alternance seront de mise durant toute la saison entre le gardien des Verts, Ayachi, et son cadet de l’ESS Kanoun, tous deux internationaux tunisiens mais à des époques différentes : Ayachi au moment de la participation de la Tunisie aux Jeux Panarabes 1957 et aux Jeux Olympiques 1960, Kanoun en Coupe Arabe 1963. Ce renfort de luxe a tout de même une conséquence : les jeunes pousses du club, championnes de Tunisie Juniors 1961 (dont Meziane faisait partie) n’ont pas le temps de jeu espéré en Seniors la saison suivant leur triomphe, la présence d’une grande partie de l’effectif de l’ESS constituant une concurrence avec laquelle il était difficile de composer.

Grâce à un parcours quasi-parfait à domicile (dix victoires en onze rencontres) et le soutien local qui voit cette équipe comme un porte-drapeau de la ville, le Stade Soussien croit au titre de champion de Tunisie 1961/62 jusqu’au bout, mais est battu de peu, à deux petits points près, par le Stade Tunisien. Sur la lancée de sa saison précédente (champion en titre, finaliste de la Coupe) le club du Bardo mené par Noureddine Diwa ne flanche pas. Les deux formations n’en restent pas là, et se retrouvent en finale de Coupe de Tunisie, le 13 mai 1962. Vainqueurs de l’Espérance en demi-finale après deux cent quarante longues minutes de suspense et un départage grâce au premier but marqué dans le replay (2-2 au premier match, 2-2 au second, mais le SS qui a ouvert le score dans la deuxième rencontre se qualifie), les Soussiens s’offrent une seconde occasion de remporter un premier trophée à leur palmarès, en plus de symboliquement porter la revanche de l’Étoile du Sahel, disparue du paysage footballistique depuis près d’un an.

À l’issue d’un combat âpre qui s’éternise jusqu’en prolongations, le Stade Tunisien et le Stade Soussien se quittent dos à dos (1-1) l’inévitable Diwa ayant répliqué rapidement à l’ouverture du score de Meziane. Quelques jours plus tard, le monde du football et la ville de Sousse vivent une grande tragédie avec le décès d’une grave maladie de l’un des protagonistes de cette finale côté Stade Soussien, le jeune attaquant de dix-huit ans Mohieddine Habacha. Formé à l’Étoile, Habacha avait inscrit sept buts en championnat avec le SS cette saison-là, et avait été titularisé en pointe de l’attaque lors de la finale du 13 mai.

Le replay de la finale le 10 juin 1962 donne un nouveau bras de fer acharné, mais comme en championnat c’est le Stade Tunisien qui a le dernier mot, Cherif inscrivant l’unique but de la rencontre en prolongation. Le ST prive donc les Soussiens d’un doublé d’un cheveu dans chacune des deux compétitions.

L’Étoile du Sahel, dissolution levée et doublé

esssixtiesLe 28 mai 1962, soit deux semaines avant que la finale de Coupe de Tunisie soit rejouée, la Direction Tunisienne de la Jeunesse et des Sports fait paraître un communiqué : « À l’occasion de la Fête de la Victoire (NDLR : jour férié en Tunisie qui commémorait le retour d’exil, moins d’un an avant l’indépendance, du président de la République Tunisienne Habib Bourguiba) et eu égard à l’esprit sportif dont a fait preuve le public de Sousse durant la saison sportive écoulée, Monsieur le Président de la République a décidé d’annuler la décision du 22 mars 1961 portant dissolution de l’Association dénommée « Étoile Sportive du Sahel » […] À partir du 1er juin 1962, cette association se retrouve rétablie dans tous ses droits préexistants sur les plan juridique, administratif et sportif. »4

L’Étoile du Sahel existe donc de nouveau à compter du 1er juin. Sous la direction de Drenovac, l’ESS va faire un retour éclatant sur la scène nationale, et accomplir une saison historique : invaincus en championnat (quatorze victoires, huit matchs nuls) les Sahéliens terminent champions lors de la saison 1962/63, avec neuf points d’avance sur l’Avenir Musulman (ancien nom de l’Avenir Sportif de la Marsa) et cerise sur le gâteau remportent la Coupe de Tunisie en battant le Club Africain en finale, s’adjugeant ainsi le premier (et à ce jour le seul) doublé de l’histoire du club.

Pour sa part, le Stade Soussien conserve encore l’espace d’un an l’élan de la saison précédente : de nouveaux sixièmes du championnat, les Verts vont croiser le fer en demi-finale de la Coupe contre leurs coéquipiers de la saison précédente, cette fois-ci revenus sous les couleurs rouges. Avant de triompher en finale face au CA, l’Étoile élimine son voisin après un nouveau duel long de deux cent-dix minutes (0-0 après prolongation, 3-2 lors du replay). Par la suite, le club rentre dans le rang progressivement, est relégué trois saisons plus tard. Il ne réintégrera l’élite qu’en de rares occurrences, sa dernière apparition en Première Division datant de la saison 1996/97.

 

Références

  • 1, 2 et 3 extraits de « Mémoire de football : l’histoire du football tunisien à travers les portraits de ses gloires », Mohamed Kilani, 1998
  • 4 : extrait de « L’Étoile Sportive du Sahel, 1925-1975 », Moncef Charfeddine, 1975

 

Farouk Abdou
Farouk Abdou
Actuellement à E-management, passé par Echosciences Grenoble, Le Dauphiné Libéré, Sport Translations et Tunisie foot, Africain volant pour Lucarne Opposee