En novembre 2017, le CA Bizertin se retrouve sans entraîneur à la suite de la démission de Lassaad Dridi. Plutôt qu’une nomination « classique » de l’heureux élu parmi les membres d’une short-list, la direction du CAB préfère laisser le choix aux supporters en leur proposant de voter, parmi les noms de cette short-list.

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Deux mois après le début de la saison 2017/18 du championnat de Tunisie, les observateurs et consultants sportifs sont unanimes : le CA Bizertin présente un niveau de jeu parmi les plus plaisants et efficaces de la Ligue Pro I, porté par un groupe stable par rapport à la saison passée, un onze bien rôdé sous la houlette de Lassaad Dridi et des éléments qui semblent marcher sur l’eau : l’arrière latéral Mohamed Habib Yeken vole dans son couloir droit et claque un début de saison canon à vingt-trois ans, le double verrou Jelassi-Saïdani devant la défense apporte un équilibre parfait, et la bonne pioche au poste de 9, l’Ivoirien Ouattara, a tout le loisir de profiter du rendement du milieu offensif Hamdouni et des fulgurances de deux feux-follets qui vont enchaîner les buts spectaculaires et s’illustrer en tant qu’artificiers à suivre pour la saison : les deux petits gabarits toniques et techniques Firas Belarbi er Zied Ounalli. Les deux défaites encourageantes contre l’Espérance et l’Étoile après trois journées ne freinent en rien l’enthousiasme du CAB, qui remporte tous les autres matchs en proposant des séquences de jeu de qualité, se retrouve virtuellement leader du championnat après sept journées (avant mise à jour du calendrier) et s’impose comme un candidat sérieux au podium en fin de saison au même titre que les quatre cadors habituels.

Lassaad Dridi jette l’éponge, les supporters votent

Seule ombre (conséquente) au tableau, les problèmes financiers du club et des dettes antérieures à éponger entraînent une situation pesante, en dépit des efforts de la direction qui hérite de ces dettes et de l’appel du président Abdessalem Saïdani en marge du succès des Bizertins à Kairouan (0-2, sixième journée) à « une solidarité collective sans que tout le monde se rejette la faute ». L’entraîneur Lassaad Dridi, évoquant sans entrer dans le détail dans les médias une « situation difficile » et laissant entendre que les conditions dans ce contexte ne sont pas favorables, quitte le club le 9 novembre. Alors qu’une short-list se constitue, et que parallèlement les rumeurs vont bon train dans les médias autour des entraîneurs libres pouvant potentiellement prendre le poste, Abdessalem Saïdani décide d’innover dans le processus de nomination : c’est les supporters du CAB qui vont choisir.

Dans le but de « faire participer le public cabiste dans la prise de décisions importantes concernant le club » (dixit un communiqué officiel) un sondage est mis en ligne sur le site web du club permettant aux supporters de choisir parmi six entraîneurs : le jeune Walid Ben Thabet, qui a assuré l’intérim après le départ de Dridi (USMO-CAB 1-1, dixième journée) ; l’ancien sélectionneur de la Tunisie en 2010 et vainqueur de la C1 Africaine avec l’Étoile du Sahel en 2007, le français Bertrand Marchand ; Khaled Ben Yahia, vingt-cinq ans d’expérience comme entraîneur et vainqueur du doublé avec l’Espérance de Tunis en 2006 ; Hmaied Romdhana, ancien joueur et entraîneur (en 2015) du CAB ; Adel Sellimi, ex-attaquant international tunisien (passé par le FC Nantes notamment) et actuel sélectionneur adjoint de la Tunisie ; et le Serbe Ratko Dostanić, également passé par Bizerte en 2015 et qui avait exercé plus de quinze ans entre la Grèce, la Serbie et la Bulgarie. En se basant sur les aspects CV, vécu et palmarès, Walid Ben Thabet ne partait pas favori, mais il bénéficie d’un soutien populaire local important et quelques jours avant la clôture de ce vote (prévue le dimanche 26 novembre) les Cabistes remportent le choc de la onzième journée face au Club Africain (3-1) avec la manière et une belle prestation, dans un stade rempli d’allégresse. Un résultat fortement favorable à Ben Thabet, qui remporte le sondage populaire avec 41% des votes validés, loin devant le plus proche poursuivant (19,5% pour Ben Yahia) et passe donc d’intérimaire à entraîneur en poste d’une équipe appelée à jouer les premiers rôles.

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L’expérience tourne court

Malheureusement, la dynamique ébouriffante s’arrête là. Le CAB conclut la phase aller par trois défaites en quatre matchs et décroche du peloton de tête. Moins dominatrice, moins réaliste sur ses phases de domination, l’équipe est émoussée et en perte de confiance. Elle perd de nouveau sans démériter face à l’Étoile et l’Espérance, mais ne retrouve pas l’allant de l’automne et plonge définitivement au classement après six défaites en huit rencontres. Walid Ben Thabet, qui ne trouve pas les solutions pour relancer ses hommes, démissionne en mars 2018. La fin de saison à toute allure après l’arrivée de Jalel Kadri (cinq victoires pour conclure la saison) ne change rien, les Bizertins finissent cinquièmes, à dix points du podium et des regrets après leur entame canon.

Les raisons ? Elles sont multiples : l’effet nocif du mercato hivernal, qui selon l’analyse de l’ancien joueur Abdelkrim Nafti devenu consultant pour l’émission-phare du football tunisien Dimanche Sport est un facteur qui déstabilise fortement un groupe et des jeunes joueurs ; le départ lors de ce même mercato de Hamdouni au CS Sfaxien en janvier 2018 ; la méforme et le coup de moins bien des deux moteurs offensifs que sont Belarbi et Ounalli ; et surtout, cette persistance des problèmes financiers du club avec pour point d’orgue la sanction prononcée par la FIFA et entérinée en février 2018 du retrait de six points au CAB au classement du championnat 2017/18, en raison des impayés de salaire non réglés à un ancien joueur, le Nigérian Aliyu, et qui s’élevaient à près d’un demi-million de dinars (185 mille euros au taux de change de l’époque). Pour autant, à aucun moment de la saison la dégradation des résultats ne fait de vague ou provoque la colère des supporters, comme il est de coutume de le voir dans la quasi-totalité des crises de résultats que subissent des clubs de football en Tunisie. Même au cœur de la spirale de défaites, les supporters affluent, principalement pour alimenter la billetterie et soutenir financièrement le club, en particulier après le retrait des six points au classement. Ils ne se plaindront ni des défaites, ni des joueurs, ni de l’entraîneur. Il est permis de penser qu’ayant été impliqués dans une prise de décision importante pour le volet sportif et ayant choisi eux-mêmes qui serait l’entraîneur, les supporters n’avaient de fait aucun grief sur ce plan-là, en dépit de la série de défaites.

Cette première expérience de participation directe des supporters dans la stratégie sportive d’un club de football en Tunisie n’a pas été une réussite d’un point de vue résultats, mais il est intéressant de voir l’effet bénéfique que cette initiative a potentiellement eu sur l’ambiance autour du club, loin des pressions et du caractère pesant qu’un climat de crise peut avoir dans les coulisses, même si dans le contexte précis du CA Bizertin le mouvement de solidarité pour le soutien financier a aussi joué dans l’apaisement et la sérénité. Voir le même type d’initiative dans d’autres contextes, d’autres pays, dans des clubs jouant le titre ou des clubs jouant le maintien, serait certainement riche en enseignements.

Farouk Abdou
Farouk Abdou
Actuellement à E-management, passé par Echosciences Grenoble, Le Dauphiné Libéré, Sport Translations et Tunisie foot, Africain volant pour Lucarne Opposee