Le 6 juin 1973, trois mois après une nouvelle désillusion en qualifications pour la Coupe du Monde, la Tunisie accueille le champion du monde en titre brésilien à Tunis pour un match amical de prestige. La défaite, dont l’ampleur ne se dessine qu’en toute fin de rencontre (1-4) constitue le point de départ d’une longue phase d’évolution de la sélection tunisienne, qui aboutira à l’avènement de la génération dorée qui arrache la qualification historique au Mondial 78 en Argentine.

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À deux ans près, El Menzah aurait pu voir le Roi. Mais au moment où la Seleção débarque à Tunis à l’orée de l’été 1973, trois cents soixante-douze jours avant son entrée en lice pour défendre son titre au Mondial 74 en Allemagne de l’Ouest, le mythique Pelé n’est plus là. Seuls trois protagonistes de la finale triomphale du stade Azteca face à l’Italie (4-1) sont présents : Clodoaldo, Piazza et Rivelino. Paolo Cesar « Caju » qui avait eu beaucoup de temps de jeu en phase de groupes en 1970 a pris du galon, de même que les autres jeunes ayant peu joué au Mexique, comme Edu et Zé Maria. Cette rencontre face aux Tunisiens était la seconde d’une tournée estivale entamée trois jours plus tôt à Alger (victoire 2-0 face à l’Algérie le 3 juin 1973) et qui a par la suite vu le Brésil entamer un long périple européen en moins d’un mois : Italie, Autriche, RFA, Russie, Suède, et l’Écosse pour conclure, le 30 juin.

Attouga en grande forme, mais la Tunisie toujours pas mondialiste

Dans un contexte continental extrêmement sélectif et concurrentiel (un seul représentant africain en Coupe du Monde), la Tunisie aborde le virage années soixante/soixante-dix avec deux phases éliminatoires successives au destin similaire : une première marche passée avec succès, une cruelle désillusion au second tour de qualifications. C’est une pièce retombant du mauvais côté à Marseille face au Maroc qui barre la route de la Coupe du Monde 1970 aux Aigles de Carthage (0-0 à Tunis, 0-0 à Casablanca, 2-2 à Marseille, le Maroc vainqueur au tirage au sort) ; c’est un pénalty concédé en fin de match en Côte d’Ivoire qui met fin au parcours qualificatif au Mondial 1974 pour les Tunisiens (1-1 à Tunis, 2-1 à Abidjan le 25 février 1973). S’ensuivent trois mois sans aucun match pour ruminer cette nouvelle déconvenue et donc l’accueil du champion du monde en titre avec un effectif en transition. Du thriller de Marseille en 1969, il ne reste que deux joueurs de champ : le virevoltant milieu offensif Abdesslem Chemmam (AS Marsa) et l’attaquant de pointe Azzedine Chakroun (Sfax Railway Sports). Parmi les futurs héros mondialistes de 1978, seuls trois joueurs de champ sont déjà là : le virevoltant Temime Lahzemi, futur joueur de l’OM à la fin de la décennie, le solide défenseur Khaled Gasmi, et Mokthar Dhouib, qui scellera face au Mexique (3-1) la première victoire de l’histoire du pays en Coupe du Monde à Rosario.

Le cas du légendaire gardien de but Sadok Sassi « Attouga » est particulier : rempart inamovible de la sélection depuis 1965, il a connu la désillusion de Marseille, celle d’Abidjan, été l’artisan de la qualification de 1978 mais perd sa place au pire moment, à quelques mois du Mondial Argentin. C’est néanmoins avec un gardien qui a le vent en poupe que la Seleção va devoir composer ce 6 juin 1973, un gardien qui a brillé récemment sur les terres de l’adversaire, lors de la Taça Independencia 1972 (la mini-coupe du monde au Brésil célébrant les cent cinquante ans de l’indépendance du pays) ; Attouga était alors le représentant tunisien de la sélection africaine ayant disputé la compétition, aux côtés notamment du buteur ivoirien Laurent Pokou. Malheureusement, les retrouvailles avec ce dernier ont abouti au même constat : dans le parcours de combattant pour être le porte-drapeau du continent à la Coupe du Monde, la Tunisie trébuchait une nouvelle fois sur la seconde marche.

Arrêt spectaculaire et blessure de Attouga, addition corsée en fin de match

Face à la ribambelle de stars brésiliennes, la Tunisie tient bon et ne cède qu’une seule fois en première mi-temps, sur un coup-franc en force du droit de Paolo César. En début de seconde mi-temps, Rivelino tente sa chance lui aussi en force sur coup-franc, mais Attouga s’interpose brillamment, se blessant malheureusement à la retombée il doit céder sa place au gardien du CA Bizertin Ben Ghazi. Quelques minutes après que Paolo César a inscrit un doublé, toujours en force mais cette fois-ci du gauche, la Tunisie réduit l’écart et inscrit un but historique à la 71e minute : sur un centre de l’attaquant de l’Étoile du Sahel Abdesslem Adhouma, Chakroun en appui tente de trouver le buteur du COT (Club Olympique des Transports) Mohieddine Habita, sur un cafouillage le ballon rebondit sur Chakroun dans la course de Habita qui bat Wendel de près. Un accomplissement dans un stade d’El Menzah en liesse, qui ne sera pas terni par les buts de Rivelino et Valdomiro en fin de match qui viennent corser l’addition finale (1-4).

Le point de départ vers la mission Mondial 78

Après ces deux rencontres en Afrique du Nord, le Brésil enchaîne avec l’Europe et rentre au pays début juillet 1973 avec un bilan de cinq victoires, un nul (face à l’Autriche) et deux défaites (Italie et Suède). La Tunisie, plutôt rassurée par cette prestation encourageante face au champions du monde, remporte la Coupe de Palestine la même année, multiplie les matchs amicaux, arrache le bronze aux Jeux Méditerranéens, bute sur les qualifs JO et CAN mais continue à emmagasiner du vécu, et progressivement les autres cadres de la future génération triomphante émergent : Ghommidh, Akid (qui avait fait de premières apparitions dans le onze dès 1972), Dhiab, Kaabi, Agrebi, et c’est une formation déterminée qui croise de nouveau le fer avec le Maroc en décembre 1976, pour lancer la route vers le Mondial 1978. La suite, on la connait : Attouga décisif lors de la séance de tirs au but de Tunis permet aux Tunisiens de prendre leur revanche sur les Lions de l’Atlas, puis les autres grands du continent sont écartés (Algérie, puis Guinée, Nigeria et Égypte) et enfin les Aigles de Carthage accèdent à la Coupe du Monde et compostent leur billet pour l’Argentine.

Feuille de match

Tunisie-Brésil 1-4 le 6 Juin 1973.
Buteurs : Mohieddine Habita 71’ pour la Tunisie ; Paolo César 33’ 65’, Valdomiro 84’ Rivelino 88’ pour le Brésil.

Tunisie : Attouga (Ben Ghazi), Gasmi, Zitouni, Malki, Dhouib, Bezdah, Témime (Karoui), Chemmam, Mohieddine, Adhouma, Chakroun.

Brésil : Wendel, Piazza, Luis Pereira, Zé Maria, Clodoaldo, Marco Antonio, Rivelino, Valdomiro, Levinha, Paolo César, Edu.

Farouk Abdou
Farouk Abdou
Actuellement à E-management, passé par Echosciences Grenoble, Le Dauphiné Libéré, Sport Translations et Tunisie foot, Africain volant pour Lucarne Opposee