Le football est une puissante arme sociale quand il est vécu avec passion. Dans les pays latins et en Afrique, c’est le cas. Le stade demeure un endroit unique où le peuple communie dans une manifestation de joie et de frustration. Le football accomplira toujours sa mission de liberté et de paix, car il ne restera toujours qu’un jeu, quelle que soit la démesure qu’il peut prendre.

Football et politique, version Tchadienne

Au Tchad, le football a construit son histoire derrière les grands clubs de la capitale. Qu’ils s’appellent Renaissance FC, Gazelle FC, Tourbillon FC, Elect Sport ou AS Cotton Tchad, ils ont tous contribué à un moment ou à un autre au développement du football local. Même si ils n’avaient pas d’importants moyens, les clubs pouvaient compter sur le soutien d’entreprises ou d’administrations pour les accompagner au quotidien. Au prix d’épopées victorieuses conduites par des joueurs de légende, ils ont bâti l’histoire des clubs dont persistent encore aujourd’hui quelques photos d’instants mémorables. Les rivalités ont commencé à se forger, et les derbies entre Renaissance, Tourbillon et Gazelle remplissaient le stade National. Des souvenirs encore bien ancrés dans les esprits des contemporains de l’âge d’or du football local, dans les années 60, 70 et 80. 

À l’époque, les meilleurs joueurs partaient rarement. Premièrement, car ils pouvaient profiter du confort d’une carrière dans l’administration et de la vie paisible en famille au bord du fleuve Charri. Surtout, à cette époque l’arrêt Bosman n’était pas encore d’actualité, et il n’était pas venu modifier les règles de la libre-circulation des joueurs dans l’eldorado du football qu’est l’Europe. Preuve, s’il en fallait une, du talent local : Toko Nambatingue qui a activement participé à écrire l’histoire du PSG sous l’ère Borelli en prenant part à la première campagne européenne du PSG. Puis, bien sûr, Japhet N’Doram s’est imposé comme un des meilleurs joueurs du championnat de France du milieu des années 90 et comme le maître à jouer du fameux FCNA de Coco Suaudeau.

Arrivée au pouvoir en décembre 1990 suite à un coup d’état militaire qui a renversé Hissène Habré, le président Idriss Deby Itno n’a jamais eu la volonté de s’appuyer sur le sport pour asseoir la domination de son pays et renforcer le lien social. Originaire du Nord du Pays, le chef de l’état est un fils de berger Zaghawa qui a suivi un parcours militaire. Il reste peu sensible aux exploits sportifs et privilégie d’avantages les armes aux Ballons. La mondialisation a ensuite fait son travail, et ce sont maintenant les vedettes de la FIFA emmenées par Messi et CR7 qui plongent le pays dans une rivalité Real/Barça, démesurée à plusieurs milliers de kilomètres de l’Espagne.

Halte-là! Gare aux voleurs !

Malgré le déclin du sport local, le football reste le sport n°1, grâce aux tournois organisés dans les quartiers, et donc au classico à la TV.

La Fédération Tchadienne de Football  Association (FTFA) est la fédération la plus importante dans le milieu associatif sportif et culturel tchadien. C’est elle qui brasse le plus d’argent grâce à ses associations internationales d’affiliations (FIFA et CAF), mais aussi grâce à des fonds de l’état (Ministère des Sports) et une taxe sur la téléphonie mobile. À l’initiative du gouvernement, cette taxe prélevée sur chaque appel téléphonique alimente le Fonds National de Développement du Sport (FNDS). Cette institution est un modèle de gouvernance très intéressant, mais elle devient un bailleur suffisamment important pour influer sur la gestion du football national et ne fonctionne pas dans une transparence qui la rendrait efficace.

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Malgré l’absence d’intérêts du chef de l’état pour la cause, il sait que le football fait partie de « l’opium du peuple ». Et comme pour chaque poste stratégique dans la gestion et le contrôle du pays, c’est un Zaghawa qui le dirige. Pour le football et sa Fédération tchadienne, il s’agit de Moctar Mahamoud. Élu lors de la dernière assemblée générale élective en 2012, il gère la destinée des fonds entouré par un cercle restreint d’administrateurs, le vice-président Brahim Foullah et le Secrétaire général Djibrine Mahamat Dembele. Un comité réduit qui brasse pourtant plusieurs millions de dollars destinés au développement du football sans rendre de compte à personne. Une impunité qui aurait été garantie si la fédération n’avait pas l’habitude de faire dans le scandale.

Avion militaire, conjoncture économique mondiale et Tribunal Arbitral du Sport

Ces derniers temps, en termes de football, le Tchad a plus fait rire qu’il n’a surpris. Car malgré une ascension fulgurante dans le classement FIFA, une victoire en Coupe de la CEMAC (coupe qui oppose les pays de la zone économique d’Afrique Centrale), c’est d’avantage les faits divers qui font la « une » des articles des sites spécialisés et de la presse locale. Petit florilège.

Après avoir réussi l’exploit de battre les Pharaons égyptiens à domicile (1-0) pour le match aller des qualifications du mondial 2018, la fédération gâche tout espoir pour le match retour suite à une logistique désastreuse. Pour le match disputé quelques jours plus tard à Alexandrie, les SAO sont arrivés au stade à quelques minutes du coup d’envoi et ont débuté la rencontre sans échauffement. La double confrontation était pourtant prévue de longues dates par la FIFA. Mais la fédé, qui règne en maître dans la procrastination, a attendu le dernier moment pour réserver le voyage. Au vu des finances, la seule solution envisageable était donc de prendre un avion militaire affrété par l’Etat. Solution refusée à juste titre par les joueurs. Après une rude partie de poker menteur, un compromis a été trouvé le matin du match seulement. Bien trop tard, quand on prétend à la participation à une compétition internationale de haut niveau… Le score est sans appel, avec un 4-0 infligé en une mi-temps.

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À la rentrée 2014, les responsables du football local appuyés par la FIFA ont décidé de relancer un championnat national en sommeil depuis une décennie. La distance entre les villes, les infrastructures de transport et l’hébergement constituent la principale contrainte budgétaire qu’un expert français de la FIFA a imaginé surmonter en proposant de grouper les matchs contre toutes les équipes d’une même ville pour réduire les déplacements... En parallèle, une ligue de football nationale indépendante (LINAFOOT) est créée pour gérer le championnat et son enveloppe de 250 000$. Mais rapidement, les intérêts du directoire de la FTFA sont apparus et ils usent de leur pouvoir pour court-circuiter la ligue. Pour gérer les possibles retombées du Marketing d’abord, puis pour aider les intérêts de leurs clubs. Car contrairement aux statuts de la FIFA et de la fédération, le directoire continue d’exercer ses activités de présidence de clubs : Renaissance FC pour le président de la FTFA et Foullah Edifice pour le vice–président de la FTFA. Au final, le championnat s’est joué sur plus qu’une année civile et a connu de multiples arrêts et reports. Le champion Gazelle FC reconnu par la ligue est destitué par la fédération dans la foulée pour une histoire administrative pourtant jugée par la juridiction compétente désignée dans le règlement. L’affaire est partie devant le TAS à Genève, qui tardent à donner son avis, malgré l’exorbitance des indemnités demandées pour pouvoir traiter le dossier. Sans être juge, une chose est sure : en renouvelant ce genre de malveillance déloyale, la fédération va décourager l’ensemble de ses dirigeants animés d’une volonté d’évolution et de loyauté envers la jeunesse du pays.

Mais l’apothéose est survenue quelques mois plus tard ! Car le coup de grâce est tombé le 27 mars 2016, comme un retour de Karma. La sélection Tchadienne emmenée par le duo Ezequiel N’Gar et Casimir Ninga est officiellement suspendue par la CAF jusqu’en 2019, suite au forfait des SAO pour le match retour contre la Tanzanie pour les qualifications de la CAN 2017. La même histoire que contre l’Egypte s’est reproduite, sauf que cette fois-ci, la fédé décide de se tirer une balle dans le pied en déclarant forfait. Une situation rare, quand on sait que la raison invoquée est la « conjoncture économique mondiale », et que le voisin centrafricain en pleine  guerre civile continuait de participer aux compétitions officielles. Il n’y aura plus de match officiel pour les SAO avant la fin de la CAN 2019. Soit près de 3 ans sans compétition, soit une nouvelle génération de sacrifiée.

Le football de quartier pour continuer à exister

Si on veut voir du football au Tchad, il ne reste plus trente-six solutions. Le championnat national et son lot de magouilles ? Les gens savent... Les championnats organisés par les ligues régionales ? Oui, ok, mais ça manque de grands clubs... Le football féminin ? Bon, vu les problèmes de considération pour le foot masculin local, imaginez pour les femmes... Même si ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de footballeuses, bien au contraire...

La solution la plus intéressante se trouve alors au niveau du football informel. Que ce soit dans la cour d’une école, sur les terrains autour de la place de la Nation (l’équivalent des Champs-Elysées à N’Djamena), ou simplement sur une surface plane suffisamment grande, on est loin des préoccupations réglementaires sur la taille des buts et du terrain tant qu’il y a deux équipes et un ballon. Le soir après les cours, quand la chaleur commence à baisser, un créneau de 2h est favorable à la pratique du football avant la nuit. La plupart du temps, on s’entraîne en perspective d’un tournoi ou d’un championnat organisé par de petits promoteurs. Eux-mêmes héritiers de ce travail fait auparavant par leurs grands frères. Ils s’organisent autour des maigres frais de participation pour créer un semblant de formalisme. Licence, règlement, tirage au sort, arbitre, etc...

Dans le quartier d’Ambasatna, à quelques encablures du grand marché central de  N’Djamena, c’est à l’intérieur du collège de la concorde qu’Idriss, Brahim et ses amis organisent deux fois dans l’année un tournoi. Cette fois-ci, 16 équipes se sont inscrites, dans une formule avec 3 matchs de poules pour chacun et un play-off. Le FC Otto,  FC Clando, FC Azad et les autres s’affrontent sur un terrain en sable où il n’y a pas de marquage au sol. Entouré de deux grands bâtiments qui font partie intégrante de l’aire de jeu, les touches ne sont sifflées que quand le ballon passe derrière les spectateurs ou sur le toit. Derrière les buts démontables, ce sont les dizaines de motos alignées qui délimitent la sortie de but. Sur le terrain, les 18 joueurs de tout âge ne disposent pas de beaucoup d’espace et les imperfections du terrain ne facilitent pas un jeu fluide en tiki-taka. Les défenses sont bien en place, et le plus souvent,  on a droit à beaucoup de duels et de jeu long. Mais le public trouve toujours une raison de s’enflammer : gestes techniques, penalties, grosse frappes, bagarre... tentatives pour aller chercher le ballon sur le toit, etc... La preuve, durant toute la durée du tournoi, le « stade » affiche quasiment complet, et quelques éclairs de génie permettent de célébrer ses champions éphémères.

Ce style de football de rue est très singulier, et caractérise bien le Tchad qui est un pays calme qui fait peu de vagues, mais qui doit affronter les rudesses de son climat et de son enclavement. Cela est aussi une preuve que le Tchad s’est approprié le football, et en a dessiné un à sa sauce : douce, pas trop sucrée, avec quelques piments pour te donner un coup de chaud.

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Democracia Corinthiana

Le football n’est pas mort au Tchad, et il ne le sera jamais. Le plaisir de ce sport collectif animera toujours une partie de la jeunesse. Idriss Deby Itno entame un 5ème mandat obtenu une nouvelle fois dès le premier tour, il doit être informé que le football est un outil unique. Il est dommage de ne pas pouvoir utiliser d’avantages ses vertus sociales dans une région ou les migrations de populations provoquées par les innombrables guerres sont une réalité quotidienne ; dans un pays où l’on parle du « Nord » pour les Musulmans et du « Sud » pour les Chrétiens ; dans une ville qui est balayée par le souffle d’une révolution sociale. À moins qu’il connaisse bien l’histoire de l’Amérique Latine ? Virtuose milieu de terrain et capitaine d’une des plus belles équipes du Brésil, le Docteur Socrates était également un philosophe du football comme son patronyme le prédestinait. Il a activement participé à la mise en place d’un système démocratique dans son club des Corinthians de São Paulo. Pourtant il n’était qu’un joueur de foot doté de convictions politiques et sociétales, sous le régime d’une junte militaire. Il a rappelé, accompagné de ses coéquipiers, que le stade est un support symbolique pour une révolution sociale pacifique, et qu’il permet de pouvoir afficher ses convictions librement.

L’Afrique doit se réapproprier cette liberté et sortir le football de l’emprise de ses dirigeants malveillants, qui se passionnent plus par l’argent que par le jeu. Au Tchad, la résistance s’organise. Une page Facebook nommée Alternance Foot a été créée pour sortir de l’omerta et dénoncer les actes malveillants des dirigeants. Le stade est un poumon dans une révolution : « Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie ».

 

Pierre-Marie GOSSELIN à N’Djamena pour Lucarne Opposée

Pierre-Marie Gosselin
Pierre-Marie Gosselin
Amoureux du football et de ses tribunes, supporter inconditionnel des Girondins de Bordeaux et de ses ultramarines, je me suis pris d’une affection toute particulière pour le football africain. Là-bas le foot a pris le nom de « sport roi », et c’est un euphémisme tant il étend son royaume au-delà des ethnies, des classes sociales, des générations et des genres.