Les instituts de statistiques avancent un chiffre de 180 millions de téléspectateurs pour les dernières finales de ligue des champions. Difficile de vérifier comment ils font leurs calculs, car le chiffre ne paraît pas si élevé. Ici à N’Djamena des dizaines de ciné-clubs situés dans chaque quartier rassemble chacun plusieurs centaines de « télésupporteurs », oui supporteur pas spectateur, car ici on vit le match comme au stade, même à plusieurs milliers de kilomètres de San Siro.

Le rendez-vous est pris pour suivre la finale dans un ciné–club à Ambasatna, dans un des plus anciens quartiers de la capitale Tchadienne. Les ciné-clubs sont des salles situées un peu partout dans la ville et le pays qui peuvent accueillir plusieurs centaines de personnes. Ils fonctionnent aussi bien pour les films que pour les grandes affiches de football. Ici à Ambasatna, l’équipement est minimaliste, mais largement suffisant : des bancs dans le fond et sur les côtés, un rétroprojecteur, un peu de sable sur le sol et un grand mur blanc. Pour l’entrée, c’est comme au stade. D’abord, la fouille pour être sûr qu’aucune arme ne rentre à l’intérieur, (le Tchad est reconnu pour être le « Texas » Africain), puis, le guichet où l’on achète son ticket à 250 FCFA (0,4€,). Les tarifs peuvent monter jusqu’à 2000 FCFA (3€) pour le grand cinéma de la capitale. Dans tous les cas, l’ambiance est garantie.

Pour cette finale, c’est l’affluence des grands soirs qui est annoncée. Car au Tchad, on est soit Barça, soit Real. Ce n’est pas un hasard quand on connaît la volonté affichée par la FIFA de renforcer la rivalité Real/Barça, et de faire du Clásico, le match de football référence. Quand on donne les Ballons d’or uniquement à Messi et Ronaldo, ne prenant plus compte des résultats obtenus par leurs équipes et sélection respective, on encourage cette hégémonie. Du coup, les Barcelonais encourageront les joueurs du Cholo Simeone, dans l’espoir d’une saison blanche du rival madrilène.

Le placement est libre, et les premiers arrivés peuvent choisir leurs places, de préférence sur un banc et sous un ventilo. Seule certitude, les jeunes enfants s’assoient par terre devant l’écran. Ils seront d’ailleurs les seuls témoins du pathétique show inspiration Superbowl d’Alicia Keys. Sérieusement messieurs les pontes du football, faites confiance aux supporteurs pour assurer l’ambiance dans nos stades, nous ne sommes pas aux USA. (Fin de l’aparté)

Avec 1h de décalage horaire par rapport à Milan, et un ciné-club situé dans un quartier musulman, le coup d’envoi est prévu à 19h45, soit 15 minutes après le début de la dernière prière de la journée. Cela nous donne droit à une arrivée massive de dernières minutes, une longue queue avant la fouille et au guichet. Mais peu de temps après le coup d’envoi, il n’y a plus une place de libre. On se serre sur les bancs, et on utilise tous les espaces disponibles par terre. La chaleur augmente, et les ventilateurs ne semblent plus si efficaces.

L’ambiance monte rapidement avec le bon début de match du Real et à l’applaudimètre, c’est Zidane qui reçoit les faveurs du public Tchadien, même devant Cristiano! On peut d’ores et déjà dire que la salle est à majorité Real, même si les supporteurs Colchoneros (ou du Barça donc) donnent la réplique et scandent le nom de Simeone.

Les premières offensives du Real permettent de s’enthousiasmer et de manifester ses encouragements que seuls les commentaires en Arabe de la chaîne Bein Sport parviennent à suppléer. Le but de Sergio Ramos ne souffrira ici d’aucune contestation et provoquera une première explosion de joie, laissant présager d’une soirée tranquille. Mais la mi-temps marque un changement radical d’ambiance. Les madrilènes ont bien compris que l’entrée de Ferreira Carrasco a changé la donne et ils subissent la pression imposée par les Colchoneros. Le pénalty sur la barre de Griezman est célébré comme un but, mais petit à petit, on se met à entendre les chants des supporteurs de l’Atlético depuis San Siro qui sortent des enceintes, signe du stress qui s’est installée dans le cinéma et du silence qui commence à faire son apparition.

La sortie de Benzema est fortement applaudie, le français est coupable d’avoir manqué son face-à-face avec Oblak qui aurait mis un terme au suspense. Puis c’est au tour d’Isco d’être acclamé et accueilli comme le sauveur providentiel de la Casa Blanca. Car de toute façon au Tchad on préfèrera toujours les jolies gestes techniques, et avec Isco, ils sont sur de ne pas être déçus ! Vient alors cette 79ème minute et l’égalisation du belge. Les supporteurs du Barça, pardon, de l’Atlético, exultent et chambrent leurs compatriotes.

Avant la fin du match, on voit déjà partir les âmes les plus sensibles qui ne sont pas prêtes à assister à une défaite de leurs favoris. Bien sûr, ici, la faute de Sergio Ramos est « bien jouée » et ne mérite qu’un carton jaune « au maximum » car de toute façon, il n’est ni complètement par derrière, ni le dernier défenseur...La prolongation plus équilibrée que la seconde mi-temps fait remonter un peu l’ambiance et l’on commence à demander à CR7 de mettre un terme au suspense en encourageant chacune de ses prises de balle.

Arrive alors la séance de tirs au but. Un Vuvuzela fait son apparition et accompagne chaque action favorable. Au poteau de Juanfran tout le monde se lève pour pouvoir exploser sur le tir de l’idole CR7. À peine CR7 hôte son maillot que la lumière s’allume pour la première fois de la soirée. Les Barcelonais sont déjà partis, et les supporteurs du Real peuvent enfin se lâcher et manifester toute leur joie. Les madrilènes en sont à 11 coupes, et CR7 file vers un nouveau ballon d’Or. Messi et le Barça vont devoir continuer à cravacher pour rattraper le retard !

Une bonne moitié de la population masculine s’est enjaillé ce soir, et il ne serait pas étrange qu’une vague de petit « zizou » naisse dans les hôpitaux tchadiens d’ici 9 mois... Nous on repart le t-shirt trempé de sueur après plus de 2h30 dans la salle, comme si l’on avait dansé toute la nuit en discothèque. La chaleur sans doute, le nombre aussi probablement, puis surtout l’envie de prendre rendez-vous pour le prochain Clásico. Ce serait la promesse d’une ambiance survoltée, grâce à cette passion débridée pour ces équipes espagnoles dans lesquelles on ne retrouve pourtant aucun joueur africain, mais auquel on s’identifie facilement derrière ses stars MSN ou BBC!

 

Pierre-Marie GOSSELIN à N’Djamena pour Lucarne Opposée

Photo : Clive Rose/Getty Images

Pierre-Marie Gosselin
Pierre-Marie Gosselin
Amoureux du football et de ses tribunes, supporter inconditionnel des Girondins de Bordeaux et de ses ultramarines, je me suis pris d’une affection toute particulière pour le football africain. Là-bas le foot a pris le nom de « sport roi », et c’est un euphémisme tant il étend son royaume au-delà des ethnies, des classes sociales, des générations et des genres.