Plus que jamais au cœur de l’Afrique et de son football, Pierre-Marie est désormais basé au Bénin où il s’occupe d’une académie de football. Et participe aussi aux rencontres internationales pour les médias locaux. Immersion dans le football béninois.

Habituellement, quand j’ai la chance d’assister à un bon match sur le continent africain, c’est en observateur attentif et passionné que je me rends dans les tribunes. Mais cette fois-ci, la donne est différente, c’est dans la position de consultant pour la télévision nationale béninoise que j’ai la chance de participer au match amical entre les Écureuils du Bénin et les Taïfa Stars de Tanzanie. Il y aura donc beaucoup de « je » dans cette inside, n’y voyez surtout pas une soif de gloire personnelle derrière !

Prise de poste au stade de l’amitié

Le rendez-vous est pris à 14h au Stade de l’Amitié Général Matthieu Kérékou situé dans le centre de ville de Cotonou. Le trajet en Zemidjan (taxi-moto très rependus dans le pays) sous la chaleur du soleil à son zénith un dimanche, laisse présager d’une circulation plutôt tranquille. Pas besoin de partir 2 heures avant, pas de stress, pas d’intoxication aux gaz d’échappement. Ces 30 minutes de transport sont déjà l’occasion de me plonger dans le match et de me préparer à l’honneur qui m’est donné de pouvoir réaliser ce rêve de gosse. En plus, c’est la Tanzanie en face, un pays dont je suis tombé amoureux.  Pas à cause des safaris et de Zanzibar (même si quand même Zanzibar je recommande!). Ils sont une nation mineure du football mondial, seulement 136e au classement FIFA, mais ils disposent d’un championnat local très fort qui passionne les foules derrière deux clubs bientôt centenaire capables de remplir un stade de 60000 places régulièrement (Simba SC et Young Africans). Surtout, les Tanzaniens jouent au football. Leur style de jeu n’est pas forcément efficace pour remporter des matchs, mais terriblement visuel. Avec moi dans les tribunes, ce sont 3 victoires : 1-0 contre le Cameroun, 3-1 contre le Maroc dans un match où les joueurs sont entrés en transe avec le public (5 minutes de folie à Dar-Es-Salaam durant lesquelles ils auraient pu marcher sur l’eau) et enfin une victoire 1-0 au Tchad dans un match que je vous avais déjà fait vivre sur LO. Cela me rassure grandement quant à la probabilité de voir un match ouvert pour mon baptême du feu. Seule ombre au tableau, la blessure de Mbwana Samatta le week-end dernier, contraint à passer sur le billard. Dommage, le public béninois rate l’occasion de découvrir un magnifique joueur.

Me voilà déjà sur le parvis du stade. Ce n’est pas encore la grande foule, mais tout est déjà en place pour accueillir le public, une nouvelle fois invité au stade par le ministère des Sports. En ces temps de réformes sociales et économiques où le peuple fait beaucoup de sacrifice, le président Talon qui a donné une place forte au sport dans son programme, ne souhaite pas priver son peuple de sa plus belle vitrine. Puis de toute façon, une affiche contre la Tanzanie n’aurait pas fait recette. Les brochettes, sont en train de griller et les tables des nombreux maquis du stade sont déjà recouvertes de bouteilles de bières.

Je récupère mon accréditation et m’engouffre dans un stade que je commence à bien connaître. Les cabines de presse sont sous le toit de la tribune d’honneur qui fait face à une aire de jeu omnisport très grande, pas optimale pour la proximité avec le public durant les matchs de foot. Fruit de la coopération sino-africaine, le stade de l’amitié inauguré en 1982, vit ses dernières heures avant une rénovation d’envergure. Pour être plus proche de l’ambiance, Hugues Zinsou Zounon préfère positionner la table de commentateur à l’entrée de la partie « présidentielle » de la tribune. C’est donc à quelques mètres du ministre des sports et du président de la fédération béninoise qu’on commentera le match. Plusieurs personnalités sont présentes dans la tribune, il faut dire que c’est le premier match amical joué au Bénin depuis 2010 (!), et que les Écureuils sont réputés pour « bien jouer quand il n’y a pas d’enjeux » dixit un ancien ministre des Sports venu en passionné.

Les 12 Écureuils

Les compos tombent. Oumar Tchomogo, ancien capitaine devenu sélectionneur depuis plus de deux ans, décide d’aligner Steve Mounié en pointe entouré de Jodel Dossou (« étoile filante » passé par l’Espérance de Tunis, le Red Bull Salzbourg et qui s’est un peu perdu en D2 autrichienne à l’Austria Lustenau), David Djigla (ailier qui peine à s’imposer à Niort passé de  « onze créateur » en D2 béninoise à la CFA des Girondins de Bordeaux, alors qu’il était déjà devenu international sous les ordres de Manu Amoros), et de la star de l’équipe Stéphane Sessegnon. Le joueur de Montpellier est le capitaine emblématique et le symbole de cette sélection. La preuve, il n’est qu’à un but du record de Razak Omotoyossi. Pour la défense, il peut compter sur Khaled Adénon, le capitaine d’Amiens, Cédric Houtoundji, le joueur du Gazelec Ajaccio formé au Stade Rennais, Davidi Kiki (Brest). La paire de milieu est très défensive avec Djiman Koukou (Lens) et Olivier Verdon (jeune joueur de 20 ans né en île de France que Bordeaux avait recruté pour sa réserve alors qu’il jouait à Angoulême en CFA 2, il a signé cet été un contrat pro d’un an). Le seul « local » du starting eleven est le latéral droit Rodrigue Fassinou qui joue en première division dans l’équipe du Port Autonome (ASPAC). Dans les buts, Fabien Farnolle, qui a passé pas mal de temps aux Girondins, mais dont il se murmure qu’on cherche encore le lien de parenté avec le Bénin (info ou intox, l’anecdote est drôle). Il est en concurrence avec Saturnin Allagbe, qui a suivi le même parcours que Djigla, sans réussir à convaincre Dominique Dropsy et le staff de l’époque lorsqu’il est passé par la case Bordeaux et est aujourd’hui le titulaire indiscutable dans les buts de Niort. Sur le banc, Mickaêl Poté, récemment buteur en ligue des champions avec l’APOEL Nicosie, et les deux « jeunes » espoirs offensif qui ont fait leurs classes avec la sélection des locaux dans les compétitions régionales et le CHAN : Charbel Gomez et Marcelin Koukpo.

Côté Tanzanie, l’équipe est très jeune. Je note tout de suite les deux excentrés au format « haut comme trois pommes », Shiza Kichuya Ramdhani (20 ans, Simba) et Simon Msuva (25 ans Difaa El Jeddida ex-Yanga), comme un pressentiment qu’ils auront leur mot à dire durant le match. Pour Msuva, la feuille de match nous a gratifié de son somptueux deuxième prénom « Happygod », qui a raisonné tout le match sur les ondes de la radio nationale. Pour trouver la plus grosse surprise, il faut aller dans la partie des officiels de la feuille de match, avec un trio arbitral 100% Béninois conduit par Rafiou Ligali. En espérant que cela ne fâche pas les dieux du foot.

Début à l’antenne et pluie tropicale

Le match approche à grand pas, mais les nuages commencent à menacer sérieusement au loin. Le direct a commencé dans les studios de l’ORTB et je commence à appréhender la prise de parole. J’ai bien préparé la partie, mais je sais que même si on est trois mon temps de parole sera important. La sélection est un peu boudée par le public et Oumar Tchomogo est décrié par les médias pour son incapacité à gagner les matchs importants (défaite 5-0 à Bamako qui les prive de la CAN à la différence de buts, élimination contre le Nigeria au CHAN, élimination par le Burkina pour les qualifs au mondial russe (2-1 0-2)). Je suis habitué à un rôle de consultant dans des émissions aussi bien à la TV qu’à la radio, même à commenter un match en Studio, mais là ce sont les Écureuils ! Même s’il n’y a pas d’enjeu, le match sera suivi par une grande partie de la population. Je sais que les commentateurs ont un rôle décisif dans la manière de vivre le match, ils font partis de ceux qui retransmettent les émotions, mais aussi influencent l’opinion du téléspectateur, au même titre que le réalisateur. En aucun cas, je ne dois rentrer dans cette bataille d’influence médiatique, même si je dois rester juste et honnête dans mes propos, je ne veux pas être le donneur de leçons blanc, où la marionnette d’un système.

Les tribunes se remplissent timidement, mais il est l’heure. Le protocole commence et le jeune ministre des Sport, de la jeunesse et de la culture descend sur la pelouse pour saluer les acteurs. Hugues démarre le direct, let’s get ready to rumble.... Mes premières interventions sont hésitantes, mais la pause des hymnes me permet de faire retomber la pression. Ce n’est qu’un match de foot ! Rapidement, le Bénin prend le dessus avec un Stéphane Sessegnon qui organise le jeu à merveille. De grosses goûtes commencent à tomber sur l’écran de mon ordi que je garde sous la main, pour pouvoir décrire le parcours des joueurs tanzaniens si l’occasion se présente, car je pourrai dire deux mots sur leur championnat. Cela permettra au téléspectateur de le mettre en perspective avec leur championnat local qui patauge dans les abysses depuis trop longtemps. Le public commence à remonter dans la tribune et à nous masquer la vue dans l’angle d’attaque des Écureuils. C’est maintenant un déluge qui s’abat pendant quelques minutes. Il nous oblige même à reculer notre table pour protéger le matériel. Heureusement, sur le terrain aussi le jeu ralentit à cause de la pelouse qui est rapidement gorgée d’eau. Le temps s’écoule, la pression béninoise s’intensifie et la pluie s’arrête. On peut reprendre nos places initiales et profiter d’une vue à nouveau dégagée.

À l’épreuve de l’arbitrage à l’Africaine !

On approche de la demi-heure de jeu quand Rafiou Ligali siffle un pénalty pour le Béninois. Quelques secondes plus tard, Hugues me tend le micro au moment même où le ralenti passe sur notre écran, ça tombe bien, parce que dans le direct il me semble y avoir une main, mais je suis bien trop loin pour pouvoir l’affirmer avec certitude. L’image arrive pile au bon moment alors que j’avais déjà commencé mon intervention. Au final, il s’avère que c’est Olivier Verdon qui contre la balle de sa main devant le défenseur tanzanien. L’image n’est passée qu’une fois, il fallait être attentif. Sessegnon marque d’un contre-pied tout en maitrise un but qui lui permet de devenir co-meilleur buteur de l’histoire. Dans la foulée, le débat est ouvert sur l’arbitrage alors que le jeu reprend déjà. J’espère avoir été mesuré dans mes propos, même si je me souviens avoir mis un ton ironique en conclusion ! L’erreur est humaine et remettre l’intégrité professionnelle d’un homme n’est pas de mon ressort, pas sans preuves. Olivier Verdon fait un très bon match malgré ce fait de jeu. Ça tombe bien, j’avais bien étudié son cas, et c’était l’occasion de présenter son parcours au grand public Béninois. Au final, la Tanzanie a subi une bonne partie de la première mi-temps et concédé beaucoup de coups de pied arrêtés. La seule opportunité que j’ai eue pour parler d’eux arrive alors que l’arbitre est déjà sur le point de siffler la mi-temps. Tellement obsédé de placer leur championnat local, je vois les joueurs regagner le vestiaire alors que je suis en plein milieu de ma description ! Oumar Tchomogo se rapproche de l’homme de terrain, je conclus à l’emporte-pièce, mais je suis soulagé de lui laisser la parole. La première mi-temps s’est bien passé pour moi. Il faut dire que les joueurs m’ont rendu la tâche facile en utilisant une animation offensive claire et cohérente, avec plusieurs situations dangereuses à commenter.

Une deuxième mi-temps pour attaquer le coach

Les joueurs béninois reviennent très vite sur le terrain et on reprend l’antenne après un petit détour par les studios. Dès l’entame, la Tanzanie retrouve le football que je lui connais, avec Yahya Muadthiri aux manettes, et Elias Maguri qu’ils arrivent enfin à trouver dans les pieds devant. Les 5 premières minutes les vagues tanzaniennes déferlent, et les Taïfa Stars égalisent sur un centre de Kichuya repris par Elias dans les 6 mètres. Les Béninois sont méconnaissable après une très belle première mi-temps, et j’y vais de ma punchline gratuite : « ils sont revenus tôt sur le terrain, mais ils ont laissé leurs jambes et leur état d’esprit au vestiaire ». Mes collègues me pincent en souriant, il ne faut pas que j’oublie que je suis sur la télévision nationale ! Le coaching commence et forcément les questions s’orientent autour d’Oumar Tchomogo. Ce n’est pas avec mon expérience de coach U-13 sans victoire que j’ai la crédibilité nécessaire pour juger un sélectionneur national, mais pourtant, il faut que je donne une analyse juste. À ce moment du match, je pense qu’il fallait trouver un moyen de relancer Sessegnon au milieu du terrain qui est complètement éteint. Tchomogo se contente de remplacement poste pour poste. Des choix qui ont du mal à impacter l’équipe. Steve Mounié par Poté d’abord, puis Verdon par Mama Seibou, un autre « local » de l’ASPAC, ensuite. Le Bénin est sans solution et la Tanzanie se montre dangereuse dès que les Écureuils laissent des espaces. La possession de balle est stérile, et les Écureuils ne sont plus une menace. À 10 minutes de la fin, Tchomogo se décide enfin à lancer celui dont le public attend monts et merveilles, Charbel Gomez. Il m’est facile de parler et d’anticiper sur ses qualités puisque mon entourage footballistique ici au Bénin le connaît très bien. Je n’attends que de pouvoir m’extasier sur une de ses actions, pour pouvoir conclure mon match. Ce moment intervient à la 92e minute. Arrêté à l’entrée de la surface pas loin du poteau de corner, il élimine son adversaire dans un dribble où il déploie ses longues jambes pour empêcher le ballon de sortir, avant de centrer pour Sessegnon. Obnubilé par sa capacité à éviter la sortie de jeu, je ne m’aperçois même pas que c’est à Sessegnon qu’il avait offert la balle de match et que ça aurait été un symbole magnifique pour le but qui aurait permis au capitaine de battre le record. Tant pis, j’en resterais sur sa jambe élastique ! Les gens commencent à quitter leurs sièges, les Tanzaniens gardent la balle et notre direct se conclut aussi vite qu’il a commencé.

Je profite de mon accréditation pour aller en conférence de presse. Le capitaine et l’assistant  tanzaniens arrivent rapidement et répondent avec le sourire aux quelques questions qui leur sont posées. Ils sont satisfaits de ce résultat à l’extérieur qui leur permettra de remonter un peu au classement FIFA, malgré l’absence de leurs cadres. Côté Béninois, Oumar Tchomogo est directement renvoyé vers son nouveau démon : Didier Six. L’ancien sélectionneur du Togo est fortement pressenti pour lui succéder à la fin de son contrat en décembre. Sessegnon lui est déçu par son résultat, mais quand même content de voir des jeunes joueurs en mesure de pouvoir l’aider à croire à une dernière CAN, pourquoi pas au Cameroun dans 2 ans. Pour ça, il faudra éliminer le Togo et/ou l’Algérie et la Gambie, ce ne sera pas facile, mais avec les qualités de cet effectif ce n’est pas impossible.

La nuit tombe et je dois abandonner mes collègues Hugues, Ospice, Albert, Rolando que je remercie chaleureusement pour cette expérience. Je dois déjà me replonger dans le quotidien de mon académie qui prépare un tournoi au Ghana, mais c’est avec un grand sourire que je me suis endormi cette nuit-là.

Pierre-Marie Gosselin à Cotonou

BONUS : le match en quasi intégralité

Pierre-Marie Gosselin
Pierre-Marie Gosselin
Amoureux du football et de ses tribunes, supporter inconditionnel des Girondins de Bordeaux et de ses ultramarines, je me suis pris d’une affection toute particulière pour le football africain. Là-bas le foot a pris le nom de « sport roi », et c’est un euphémisme tant il étend son royaume au-delà des ethnies, des classes sociales, des générations et des genres.