Depuis plusieurs années, le footballeur japonais a envahi l’Europe. Utilisant d’abord l’Allemagne comme porte d’entrée, il a désormais conquis l’ensemble des pays de l’UEFA et s’impose comme une valeur sûre. Un effet qui n’est pas le fruit du hasard.
Le Japon, une nouvelle terre de football pour les Européens ? Cet été, le FC Barcelone a recruté Hiroki Abe (19 ans, pépite de Kashima Antlers), tandis que le Real de Madrid fait signer le « Messi » japonais, le phénomène déjà attendu comme le meilleur joueur de l’histoire du Japon, Takefusa Kubo (18 ans). La pépite était pressentie à Barcelone, où elle a été formée mais le club catalan a été doublé par son club rival sur le dossier. Ces deux signatures simultanées montrent que le football japonais est en plein essor, que les qualités des joueurs japonais sont courtisées jusqu’aux plus grands clubs européens. D’autant plus que les joueurs japonais sont de plus en plus nombreux à rejoindre des clubs du top 5 européen.
Il y a actuellement douze joueurs japonais évoluant dans les premières divisions du Top 5 européen, sept de plus évoluant à l’échelon inférieur. Depuis Yasuhiko Okudera arrivé à l’été 1977 à Cologne, l’Allemagne a toujours été la destination favorite des joueurs nippons, trente-et-un joueurs japonais ayant évolué depuis en Bundesliga 1 (ils étaient douze rien qu’en 2014, sans compter la Bundesliga 2 qui a souvent servie de tremplin, comme le démontrent les parcours de Takashi Inui, passé par Bochum avant de filer à l’Eintracht ou Yuya Osako, passé par Munich 1860 avant de filer à Cologne. La France n’est pas en reste puisque cette saison, ils sont trois à évoluer dans l’élite (Sakai à l’OM, Kawashima à Metz et Shōji à Toulouse). Autre preuve de la forte croissance de l’exportation de joueurs japonais, si en 1998, pour la première participation du Japon à une phase finale de Coupe du Monde, les vingt-trois joueurs évoluaient au pays, vingt ans plus tard, alors que les Samuraï Blue ont quitté la Russie sur une élimination sur le fil face à la Belgique, quatorze évoluaient en Europe.
Les jeunes comme levier du développement
Les arrivées de joueurs japonais sont-elles des coïncidences ? La réponse est non, il s’agit des fruits récoltés d’un projet rondement mené par la Fédération Japonaise de Football dans les années quatre-vingt-dix. L’objectif d’alors est de pouvoir bâtir une équipe capable de remporter la Coupe du Monde 2050, et d’avoir une ligue nationale en mesure de produire des équipes de haut niveau capables d’être compétitives avec celles des ligues européennes d’ici 2030.
Pour atteindre ses objectifs, tous les clubs de J1 League sont obligés de développer leur propre « académie » (on rappelle que les centres de formations n’existent pas encore au Japon) et d’avoir un minimum de deux équipes de jeunes (une U15, une U18). Doucement mais sûrement, les clubs professionnels sont ainsi structurés. Les meilleures académies de J.League commencent même à dominer les championnats nationaux, longtemps sous la coupe des équipes de lycées, et rivalisent même avec les meilleures écuries européennes comme l’ont par exemple fait les U17 de Kashiwa Reysol au tournoi AlKass International Cup au Qatar où il sont parvenus à surprendre le Real Madrid, Benfica, ou encore Tottenham. Une bonne opportunité pour se confronter aux meilleures académies et éventuellement de signer un contrat à l’étranger comme ce fut le cas pour certains joueurs de Reysol partis pour le Portugal.
Parallèlement aux politiques de jeunes, le Japon a également poursuivi son développement de la J.League. Depuis sa refondation en 1993, la J.League est passée de dix à cinquante-cinq clubs (et d’une à trois divisions). Elle s’est imposé comme l’un des grands championnats de la zone (si ce n’est le meilleurs) et ne cache pas ses ambitions d’aller plus haut comme l’a déclaré Mitsuru Marai, son président, lors du World Football Summit Asia 2019 qui s’est tenu à Kuala Lumpur en avril derniers : « Nous avons une vision à long terme et d’ici 2030, nous serons parmi les quatre plus grands championnat du monde », ajoutant que les récentes venues de stars européennes telles qu’Andres Iniesta, Fernando Torres ou David Villa n’était que la partie visible de l’iceberg. Pour cela, Marai dévoile une stratégie qui repose sur trois leviers : les politiques de management des clubs, qui doivent avoir « une vision à long terme qui ne changera pas », une stratégie digitale efficace, mais surtout les politiques de formation et de développement des jeunes. Au-delà du simple fait de former les jeunes talents de demain, les clubs sont ainsi contraints de les faire jouer. En J1.League, chaque club doit désormais aligner au moins un joueur de moins de 21 ans issu de son académie dans le onze de départ et deux joueurs formé sur le sol national. Une prime est même donnée aux meilleurs clubs formateurs, plus il a de succès à développer les jeunes talents, plus il touche de subventions (rappelons qu’en 2016, la J.League a signé un deal de dix ans avec DAZN pour plus de 2 milliards de dollars).
Conséquence, si le Japon exporte davantage ses talents, la sélection nationale en bénéficie également. Et lorsque les Samurai Blue enchaînent une sixième participation consécutive à une phase finale de Coupe du Monde, celle-ci n’est non seulement plus hasard mais probablement un début.