Le football en Argentine a cette incroyable faculté à vous happer, à vous faire vivre des émotions, de toujours vous surprendre. Démonstration avec une plongée au cœur des hinchas d’un club qui joue alors sa survie alors qu’il accueille le futur champion.

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À l'occasion de mon premier voyage pour l'Argentine, je découvre ce magnifique pays et je me suis promis de profiter de mon passage dans la capitale pour voir une rencontre de football argentin. Une occasion se présentait : River accueillait les chiliens de Palestino pour le compte de la deuxième journée de la Copa Libertadores. En route pour le stade, le chauffeur me dit que le match se déroule à huis-clos (sin público) en raison des incidents ayant émaillés la dernière rocambolesque finale. Raté... Ce n'est que partie remise. Je pars visiter les coins les plus incroyables du pays, la Patagonie, les chutes d'Iguazú et la région de Salta-Jujuy, mais je retenterai ma chance dans la capitale.

De retour à Buenos Aires en ce dimanche 31 mars, je sens la ferveur footballistique monter avec la possibilité pour le Racing de remporter le championnat de Superliga lors de l'avant dernière journée. Juste avant d'atterrir en ville, j'aperçois au loin le stade rouge et bleu de Tigre depuis mon siège à travers le hublot. C'est décidé, je ferais tout pour rejoindre cet endroit. Il reste deux heures avant le début de la rencontre. L'idée de voir Licha López gagner ce championnat me réjouit énormément. Je suis ce joueur exceptionnel depuis son passage à l'Olympique Lyonnais. Adoré pour son talent footballistique mais surtout pour son état d'esprit, meilleur buteur à 36 ans et se donnant à fond sur chaque action, il est difficile de trouver un meilleur exemple pour tout jeune footballeur.

De Tigre, je ne connais que très peu hormis les couleurs azul y rojo du club et le buteur légendaire Luna. Le taxi me dépose dans Victoria à cinq-cents mètres de l’Estadio José Dellagiovanna, la route étant bloquée par la parade des hinchas de Tigre. Je me joins à eux et l'idée de supporter le Racing s'éloigne de minutes en minutes au fil des rencontres. Je ne m'attendais pas à connaitre cette ferveur pour une équipe qui lutte pour le maintien dans un classement mêlant les résultats des trois derniers exercices, assez obscur pour un néophyte comme moi. En effet malgré une très belle neuvième place dans ce championnat, les deux précédents exercices étaient moins réussis et l'avenir immédiat du club se joue avec deux rencontres contre des mastodontes du football argentin, Racing et River Plate. Espérant un bon résultat contre le grandissime favori au titre cette année, le Matador va également devoir jouer sa place dans l'élite au Monumental dans une semaine pour l'ultime journée. Tigre n'est plus maître de son destin, à la lutte avec San Martín de San Juan, Belgrano et Patronato.

Sur la route menant au stade, la température ne cesse de grimper. Je rencontre Hernan et ses amis, qui éclatent de rire quand je leur demande où je vais pouvoir me procurer un précieux sésame. Après une bonne cerveza, ils me proposent de les accompagner dans l'enceinte. Arborant fièrement un maillot du club, il fait partie des meubles dans ce stade, il a participé à la rénovation de certaines parties. On peut même voir sa silhouette et son nom sur les murs de l'enceinte. On arrive enfin dans le bouillant Estadio José Dellagiovanna, enceinte de 25 000 places plutôt vétuste mais tellement authentique. Je me fraye un chemin à travers les coursives où l'odeur de grillade se mêle aux chants des supporters. Il fait beau et chaud en ce dimanche soir à Buenos Aires et l'ambiance est festive. Les familles sont de sortie. Toutes les générations sont là, même des animaux de compagnie. Certains pères sont fiers de transmettre leur passion à leurs enfants, qui scandent les noms des joueurs locaux. Personne ne vient sans la tunique locale. Outre les couleurs azul y rojo, on trouve également des tenues tigrées plus originales. On est bien loin des préjugés sur la violence et l'insécurité des stades argentins décriés après le fiasco de la dernière finale de Libertadores. La fanfare ne cesse de faire vibrer le stade que quelques instants pour commémorer les vétérans et les combattants tombés pendant la guerre des Malouines. Les acteurs sortent du tunnel et les stars sont au rendez-vous avec l'attaque bien connue de la ligue 1 Darío Cvitanich et Lisandro López, accompagnés de la pépite Zaracho. Néstor Pitana, l'arbitre au charisme qui rappelle Pierluigi Collina, est au sifflet, et il fait partie des meilleurs actuellement. D'ailleurs c'est lui qui officiait lors de la dernière finale de Coupe de Monde.

La légende locale de 37 ans, Claudio "El Chino" Luna débute sur le banc. Le coup de sifflet retentit et je me sens privilégié d'assister à ce match. Bien installé dans la tribune latérale la vue est idéale pour le spectacle. Mais Hernan me propose de le suivre vers la tribune la plus chaude du stade et la température va encore monter d'un cran. Il prend le temps de me présenter à ses amis et on sent que le match sera décisif. Ils sont gonflés à bloc. Au son des tambours, les locos sont debout sur les rambardes et sautent en agitant des longues banderoles au couleurs du club. Le Racing domine légèrement les débats sans être exceptionnel, peut-être un peu tétanisé par l'enjeu. Malgré cela, Solari va ouvrir le score à l'heure de jeu, profitant d'une erreur du jeune gardien local (0-1). Le stade ne s'éteint pas pour autant. Au contraire les supporters redonnent de la voix. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Ils vont être récompensés. Dans les ultimes instants de la partie, Lucas Rodríguez entretient la flamme en égalisant d'un coup-franc plein axe. L'ambiance devint alors surréaliste mêlant pleurs et cris de joie. Tout ça pour du football... On m'avait parlé de la Locura autour du ballon rond mais il faut le vivre pour bien la cerner. Le Racing est champion. Un beau champion mais je n'ai eu d’yeux que pour ces hinchas de Tigre.

 

Par Régis Schaeffer

Régis Schaeffer
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