Six mois après la date prévue et dans un contexte encore bien particulier, l’Amérique du Sud lance sa course à Qatar 2022. Avec des sélections dans des états bien différents. Tour d’horizon.

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Alors que la crise sanitaire continue de faire des victimes dans les divers pays de la zone, l’Amérique du Sud lance donc sa course pour la Coupe du Monde 2022. Une course qui voit sept sélectionneurs faire leurs débuts dans ce processus mais surtout dix nations placées face à des situations bien différentes. Car si pour certains tout semble revenir petit à petit à la « normale », pour d’autre, les premières foulées vont se faire dans un contexte bien pesant.

Comme si de rien n’était

Parmi les dix membres de la CONMEBOL, quatre nations abordent les éliminatoires dans des conditions presque « normales » dans le sens où leurs expatriés jouent et leur championnat local aussi. En Uruguay, au Paraguay et au Pérou, les protocoles sanitaires mis en place dans la société civile et ceux adoptés par le football local ont ainsi permis la reprise du championnat avec un processus de réathlétisation cohérent. C’est ainsi que Paraguay et Pérou ont pu terminer leur tournoi d’ouverture, remporté respectivement par Cerro Porteño et Universitario, alors que le tournoi uruguayen suit son cours. Au niveau des sélections, pas de casse-tête donc avec les joueurs locaux. Côté Paraguay, à l’exception de Santiago Arzamendia et Jorge Morel, écartés par un test positif à la COVID-19, le reste de la délégation est au complet et a pu travailler quelques jours avec Eduardo Berizzo qui va donc pouvoir poursuivre son chemin. Même son de cloche pour l’adversaire du match d’ouverture, le Pérou. Au pays, tout a été fait en ordre et en temps, le championnat s’est bien déroulé, Ricardo Gareca a pu observer et travailler sereinement. Jusqu’aux convocations et aux surprises venues de la MLS où DC United (qui ne joue rien) et New York City ont décidé de ne pas libérer les Péruviens appelés par le Tigre, au prétexte de la quarantaine obligatoire (quand Seattle a laissé partir Raúl Ruidíaz par exemple). Ajouté à cela quelques blessures qui écartent ou laissent planer le doute sur la présence de certains. Mais au final, de la gestion habituelle de veille de rencontre internationale.

Gestion habituelle chez les deux géants que sont Brésil et Uruguay. Du côté de la Celeste, le (dernier ?) proceso Tabárez se poursuit, le championnat a repris depuis plusieurs semaines et la plupart des internationaux jouent également régulièrement dans leurs championnats européens. Tous sauf Edinson Cavani, non convoqué car sans club au moment de la publication de la liste, ou encore José Maria Giménez et Marcelo Saracchi blessés. Cela devrait ainsi donner lieu à ouvrir de nouvelles portes, donner de nouvelles chances : à Agustín Oliveros, qui reste sur deux bons mois avec Nacional, ou à Nico de la Cruz et Darwin Núñez devant. Du côté de la Seleção, on ne s’étendra pas sur la gestion locale de la crise sanitaire, footballistiquement, les joueurs locaux ont tous repris. Si certains sont en quarantaine, cela ne perturbe pas vraiment un Tite qui peut toujours s’appuyer sur ses Européens (dix-neuf des vingt-trois convoqués) et s’offrir le luxe d’une petite surprise, celle de la convocation de Gabriel Menino, destiné à devenir le Dani Alves des Auriverdes. De quoi rester serein ? Attention tout de même car blessé au dos, Neymar est très incertain pour les deux rencontres prévues (Bolivie et Pérou). On l’avoue, c’est bien peu pour venir déstabiliser un Brésil grandissime favori de ces éliminatoires.

Retour à la normale

Le retour à la vie normale est en cours en Colombie et en Argentine. Chez les Cafeteros, le championnat local a repris il y a désormais près d’un mois, quatre journées ont été disputées et les Européens jouent également de manière régulière. Rien donc de bien alarmant pour Carlos Queiroz, si ce n’est un contexte local assez lourd car miné ces dernières semaines par plusieurs conflits entre fédération et ligue professionnelle notamment. Mais sur le terrain, si la COVID-19 prive le Portugais de David Ospina, Mateus Uribe et Luis Díaz, elle lui a aussi permis d’initier les éliminatoires avec un James Rodríguez revenu dans une lumière dont il était bien loin en mars dernier. Le joyau colombien sera évidemment celui sur qui tout va reposer, comme Messi sera celui qui, une fois encore, devra porter l’Albiceleste sur ses épaules. Passée la crise au Barça, Leo Messi retrouve ainsi une sélection qui n’a plus joué depuis près d’un an ! Et avec eux reviennent les débats tout en nuance au pays « l’Argentine n’a pas de gardiens », l’absence de Di María, « il n’y a qu’un Messi »,… Bref, le retour du football alors que dans quelques semaines, les clubs qui ne participent pas à la Libertadores, pourront de nouveau fouler les pelouses locales d'ici la fin du mois. Et là est forcément la meilleure des nouvelles. Car comme l’affirme Messi en personne : « prenez-moi tout, mais laissez-moi jouer au football. Car le football est espoir, est joie ». Et l’Argentine en a bien besoin.

Sortir de la crise

L’espoir est encore loin pour les trois pour lesquels la situation au pays est plus que chaotique. Premier d’entre eux, le Chili. Nous avons déjà largement discuté sur ces pages et dans nos podcasts des soucis qui touchent les championnats locaux, crise accentuée par les mouvements sociaux de fin d’année 2019 et la pandémie de 2020. Le contexte est ainsi pesant et les résultats continentaux des locomotives chiliennes n’incitent pas à de grandes espérances. Reste que la Roja est différente, sa génération dorée entame probablement son dernier cycle avec la ferme intention de ne pas perdre aussi bêtement des points que lors des précédents éliminatoires qui l’a vu rester à la maison pour suivre la Coupe du Monde russe. Rien de mieux que la sélection pour faire oublier la crise au peuple chilien et la bande à Alexis Sánchez, qui portera le brassard en l’absence de Gary Medel, arrive donc comme bien d’autres, sans aucune préparation en commun, mais avec la ferme intention de confirmer son retour entrevu lors de la dernière Copa América.

Oublier les coulisses, tel est aussi le mot d’ordre au Venezuela qui a mis brutalement fin à l’ère Dudamel en février dernier, et a nommé le Portugais José Peseiro (ancien adjoint de Carlos Queiroz, son premier adversaire) pour lui succéder. Le technicien de soixante ans a pour mission non seulement de réussir ce que personne dans l’histoire n’est parvenu à faire, se qualifier pour un Mondial, mais aussi et surtout ramener la sérénité en coulisses. Délicate mission dans un contexte où le football est à l’arrêt complet sur le plan local et où la fédération est placée sous tutelle de la FIFA depuis un mois et qui a placé Laureano González à la tête d’un comité de normalisation chargé d’organiser les nouvelles élections début 2021 mais aussi de remettre le football local en état de marche (alors que ses représentants en Libertadores jouent…). Un championnat qui reprendra le lendemain du deuxième match des éliminatoires de la sélection.

Cinquante-deux jours. Il ne s’agit pas de la durée de la pause vécue par le football local en raison de la COVID-19 – le championnat n’a pas repris nous allons y revenir – mais la durée du stage de préparation de la sélection bolivienne en vue des deux rencontres de cette session d’octobre. Il faut dire que le menu est solide, déplacement au Brésil, accueil de l’Argentine, et qu’il y avait du travail. Car la crise de la COVID-19 n’a fait qu’exposer et exploser un football local comme toujours gangréné par les conflits internes. Certes le choc que fut le décès de César Salinas, emporté par ce maudit coronavirus, n’a pas aidé, mais la suite a tourné à la farce. On aura ainsi eu d’un côté César Farías qui a mis en place un plan de préparation et une approche en deux temps de ces rencontres, de l’autre les clubs et la fédération qui s’écharpent et dont les conflits rejaillissent sur la Verde. La fédération se retrouve désormais prise au milieu d’un conflit mêlant deux hommes, Marco Rodríguez et Robert Blanco, chacun s’affirmant président de celle-ci et ayant évidemment divers soutiens. Une situation « honteuse » pour reprendre les termes de certains joueurs, qui a provoqué l’intervention du vice-ministre des sports, Augusto Chávez, qui s’est réuni avec les deux hommes et la Fabol (le syndicat des joueurs), mais qui voit aussi émerger un troisième homme, Fernando Costa, candidat au poste et qui se veut l’homme du consensus…

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Une Fabol qui entretemps a dénoncé aussi les actes du sélectionneur César Farías, accusé de faire chanter les joueurs et les extorquer. Ajouté à cela donc un championnat qui n’a pas de date de reprise arrêtée (la Superliga était initialement désirée pour reprendre après les élections du 18 octobre), des clubs au bord du gouffre pour certains sur le plan économique (quand d’autres ont déjà repris via la Libertadores). Rien de quoi travailler sereinement pour la Verde qui s’est pourtant isolée pendant près de deux mois afin de préparer ces deux rendez-vous. Sur le terrain, le Vénézuélien se retrouve privé des joueurs de Bolívar, Wilstermann et Oriente Petrolero, les clubs n’ayant pas souhaité les libérer (Ronald Raldes, ancien capitaine de la sélection et dirigent d’Oriente poussant le vice jusqu’à rappeler ses propres joueurs, s’attirant les foudres de ses anciens coéquipiers mais ayant le soutien d’autres clubs et de la Fabol), et a divisé son groupe en deux : ceux qui iront au Brésil, emmenés par Carlos Lampe comme homme d’expérience dans les buts (et un groupe qui n’a plus joué le moindre match depuis six mois avec près de la moitié qui n’ont même jamais joué en sélection) et ceux qui accueilleront l’Argentine à La Paz (et ne sont donc même pas du voyage à São Paulo). L’objectif est clairement affiché, c’est le moment où jamais de battre l’Argentine tout en n’espérant pas grand-chose du choc face à la Seleção. Reste à voir dans quel état seront ces hommes isolés depuis près de deux mois pour certains, sans aucun match dans les jambes pour d’autres. Mais aussi de voir si les énormes turbulences qui secouent le football local ne vont pas finir par perturber une Verde loin d’être annoncée parmi les candidats à une qualification.

Ce statut, l’Équateur veut y prétendre. Mais lui aussi sort d’une crise profonde. On se souvient de la fastueuse conférence de presse au cours de laquelle le président de la fédération Francisco Egas avait présenté Jordi Cruyff, l’homme au cœur d’un projet fou. Sauf que ce projet est mort-né, tué par les premières semaines de crise sanitaire et a donné surtout lieu à une profonde guerre interne au sein de la fédération. Quelques mois plus tard, tout est oublié. Un temps viré, Egas est donc revenu à la tête de la FEF, réélu par les siens et ses opposants, et conduit un nouveau projet à base de déclarations assez folles lorsqu’il insiste notamment sur le problème des joueurs équatoriens qui ne parviennent pas à s’imposer en Europe, le nouveau but de la fédération (sic), et met en cause le travail des clubs (rappelons au passage que Francisco Egas, président de la fédération, et Miguel Ángel Loor, président de la LigaPro – la LFP équatorienne – ne se parlent pas). Point de vue intéressant quand on voit les performances des Independiente del Valle et autre LDU dont le travail repose sur l’éclosion de jeunes formés dans leur académie… C’est donc dans ce contexte tout aussi particulier (mais sans doute moins chaotique qu’en Bolivie), que Gustavo Alfaro a débarqué pour conduire sa première sélection dans laquelle figure un joueur naturalisé, Hernán Galíndez, le sélectionneur n’ayant pas hésité à évoquer la possibilité de naturaliser d’autres joueurs pour muscler la sélection (on voit mieux la cohérence des discours des uns et des autres…). L’ancien entraîneur de Boca n’a pas un mois à la tête de la Tri, ne connait pas encore « le contexte local, ni les joueurs » pour reprendre les propos d’Alex Aguinaga, ancien de la sélection, mais doit se préparer à jouer Argentine à la Bombonera, et Uruguay à la maison. Le tout avec des absents de longue date comme Felipe Caicedo, qui ne veut plus revenir en sélection, ou plus récents comme Christian Noboa, qui n’a pu rejoindre Quito à temps pour être prêt. Le tout donc avec aucun match de préparation, un groupe qui n’a pas de vécu avec son sélectionneur. Difficile dans ces conditions de voir dans quelle direction va l’Équateur au moment où il pourrait surfer sur la dynamique de ses clubs (neuf joueurs parmi les vingt-trois représentent ainsi LDU et Independiente del Valle).

Le programme de la nuit

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Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.