Alors que les Anglais continuent de vouloir torpiller le premier tournoi mondial de football, des sélections se préparent partout entre sélection des joueurs, rencontres internationales et plan d’entraînement. Devant le succès de ce tournoi, l’Italie propose d’ores et déjà de l’organiser tous les deux ans. Mars 1924, et le monde du football est en ébullition.

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Le tournoi de football aura-t’il bien lieu ? La presse anglaise bruisse en ce mois de mars d’une rumeur venue d’Amsterdam que le Comité Olympique Français est obligé de démentir par communiqué : « Le Comité Olympique Français se doit d'opposer le démenti le plus formel. Cette information dit, en effet, que le Comité International Olympique retirerait le football du programme des Jeux Olympiques. Cette suppression n'a jamais été envisagée un seul instant par le C.I.O. Le Comité Olympique Français, qui serait le premier à connaître les décisions de ce Comité et à les communiquer, met en garde l'opinion publique contre ces informations qui sont vraisemblablement le commencement d'une campagne analogue et de même origine que celle menée à l'occasion des Jeux d'Hiver de Chamonix. Aucune modification ne peut être apportée aux décisions prises à Lausanne en 1921 ». Cette rumeur malveillante est une énième tentative des Anglais de torpiller une compétition à laquelle non seulement ils ne veulent pas participer, mais qu’ils veulent en plus rendre insignifiante. Il y a bien un débat dans les pages de L’Auto demandant à des experts, « quels sont les sports qui devraient figurer au programme olympique ? », mais personne ne compte supprimer le football association en 1924. Pierre de Coubertin répond à ce débat : « Les Jeux Olympiques doivent comprendre obligatoirement les catégories suivantes : sports athlétiques, sports gymniques, sports de combat, sports nautiques, sports équestres, pentathlons, concours d'art.  Vous remarquerez que les jeux (football, tennis) n'y figurent pas, mais, pour le reste, la suppression d'une catégorie n'entre pas en discussion. Alors à quoi bon revenir toujours sur cette question ? ». De Coubertin a toujours défendu les sports collectifs, dont « son » rugby, qui disparaîtra du programme dès son retrait. Quant à la question de savoir quel sport doit apparaître au programme des Jeux, le débat continue.

Préparation et voyages

Pendant ce temps-là, l’Europe continentale et le Monde se préparent avec joie. La FIFA est embêtée qu’une association brésilienne non-reconnue par l’organisme recteur veuille participer. Une réunion d’urgence se tient le 15 mars pour savoir si des équipes non-reconnues par la FIFA peuvent participer. La réponse est négative. Un problème se pose aussi avec l’Argentine et avec l’Uruguay : les équipes reconnues par la FIFA, mais en désaccord avec leur comité olympique local peuvent-elles participer ? Le débat est profond en Amérique du Sud entre les Associations « amateuristes », proches des Anglais, et les Associations que l’on pourrait qualifier de « professionnalistes », mais qui sont dans les faits des Associations « réalistes », c’est à dire acceptant un fait déjà établi : les joueurs de football reçoivent déjà, depuis très longtemps, des compensations, qui sont de plus en plus élevées.

Ce duel entre les associations affiliées à Londres et celles affiliées à Amsterdam a entraîné de nombreux schismes que ce soit en Argentine, en Uruguay, au Paraguay, au Brésil (ou sévissent en plus des conflits régionaux). En Argentine, la fédération s’adresse le 29 mars au CIO pour savoir sur quel pied danser, mais il est déjà trop tard. À cause de ces conflits, l’Argentine ne participe pas, comme le Brésil. Côté Uruguay, l’équipe part à bord du Désirade vers l’Europe sans savoir avec certitude si elle participera aux Jeux. Début mars, l’AUF (la fédération réaliste par opposition à la FUF, Fédération Uruguayenne de Football, amateuriste) avait dû acheter vingt-trois billets aller-retour pour aller à Vigo via la compagnie maritime Chargeurs Réunis. Sans les fonds nécessaires, le Docteur Atilio Narancio, pédiatre de profession, avait sorti le titre de propriété de sa maison de campagne de son coffre personnel et proposé l’hypothèque sur cette résidence de Maroñas, pour acheter les vingt-trois billets en classe économique. L’information de cet achat avait eu l’impact d’une nouvelle inespérée. Le 16 mars, le Désirade, un transatlantique de bon niveau, 18 000 tonnes, quittait donc Montevideo. Une centaine de personne étaient venues sur les quais pour saluer l’équipe. Un toast fut porté avec le capitaine du bateau, un Français, Jules Martin. Mais le 26, le Comité Olympique Uruguayen, composé notamment de partisans de la FUF, ordonne le retrait de l’équipe nationale des Jeux ! Ce comité publie un communiqué indiquant : «  1/ Considérant que l’Association Uruguayenne de Football refuse d’accepter les joueurs demandés par le Comité Olympique ; 2/ Considérant que le Comité Olympique Français, répondant à l’une de nos questions, s’il était admis des joueurs affiliés et non-affiliés, a seulement confirmé l’amateurisme ; 3/ Sachant que l’Association refuse la certification d’amateur aux joueurs proposés […] ; 4/ Considérant que l’équipe proposée est loin d’être le véritable représentant du football amateur uruguayen, le Comité résout : ne pas accorder à l’équipe de l’association le statut de représentant du football uruguayen aux Olympiades de Paris ». L’AUF envoie immédiatement Martínez Laguarda à Paris pour maintenir le lien avec Jules Rimet et lui écrit personnellement : « [à]  Jules Rimet – Paris – L’Association Uruguayenne souhaite envoyer son équipe championne sud-américaine, déjà en voyage, le COU [Comité Olympique Uruguayen] ne souhaite pas donner son accord, contre l’opinion du délégué olympique, parce que le Comité souhaite imposer la constitution d’une équipe avec joueurs affiliés et non-affiliés. Je vous demande de défendre nos droits ». Rimet reçoit ensuite Martínez Laguarda avec Jean Lacome à Paris et lui indique connaître et comprendre la situation. Il explique au délégué uruguayen qu’il a le même type de problème avec l’association amateure de Buenos Aires qui fait obstacle à la participation d’une sélection de l’association argentine de football au tournoi olympique. Rimet montre un long câble reçu d’Adrián Beccar Varela, refusant à l’association argentine l’autorité et la capacité de représenter l’Argentine. Il attribue aux dissidents des deux pays les mêmes intentions. Rimet répond par câble que l’équipe de l’AUF peut participer et que « le titre de Champion d’Amérique du Sud des affiliés de la FIFA paraît plus que suffisant pour justifier leur présence ». Le 31 mars, la sélection uruguayenne arrive à Dakar après être passée par Rio. Elle apprend alors que leur participation aux Jeux est confirmée. Enfin.

L’Europe se prépare aussi

Côté européen, on se prépare aussi avec des sélections de joueurs et des rencontres internationales comme les Pays-Bas qui annoncent le 5 mars que trois joueurs sont retenus par poste pour préparer les Jeux. Le 9, la Roumanie confirme sa participation. Le 12, l’Irlande lance une souscription publique pour obtenir les fonds pour participer. Le 14, la Turquie informe d’un « plan d’entraînement sévère ». Le 22, c’est au tour de l’Égypte de confirmer sa participation au tournoi. De nombreuses rencontres internationales sont également organisés comme un Italie - Espagne, un Suisse - France ou encore un Belgique - Pays-Bas joué annuellement. L’Espagne et l’Italie ne le savent pas encore, mais ils rejoueront le même match en entrée du tournoi.

Entre le compte rendu de ces matchs, L’Auto publie une complainte indiquant que « le football ne remue pas les foules. Une rencontre internationale de rugby est un événement dont on parle longtemps à l'avance. Les grands quotidiens d'informations ouvrent largement leurs colonnes au compte rendu d’un match France - Ecosse de rugby ; ils commentent assez longuement les parties de Championnat de ballon ovale ; et, par contre, leurs rédacteurs sportifs doivent quelquefois batailler pour obtenir la place indispensable que nécessitent une rencontre internationale et les matches de la Coupe de football ». Les choses sont sur le point de changer.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba