En 1989, le Brésil et le Chili s’affrontent en éliminatoires de la Coupe du Monde dans un contexte très tendu, avec un final qui dépasse l’imaginable.

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La victoire de l’Argentine à la Coupe du Monde 1986 remet l’Amérique du Sud sur le toit du monde alors qu’au même moment, le football brésilien entre en crise. Après deux échecs en Coupe du Monde, le « futebol arte » de Telê Santana est définitivement enterré et Carlos Alberto Silva est nommé sélectionneur. Le Brésil est sorti dès le premier tour de la Copa América 1987 après une lourde défaite 4-0 contre le Chili et la crise devient même institutionnelle lorsque la CBF annonce qu’elle n’est pas en capacité financière d’organiser le championnat national. Le nouveau sélectionneur est Sebastião Lazaroni, vainqueur du championnat carioca avec Flamengo et Vasco, met en place le « futebol força » avec notamment un 3-5-2 très défensif.

Au Brésil, Sebastião Lazaroni est très critiqué pour ses idées de jeu, à base « d’intention synergique » ou de « losange fluctuant », des termes aussi confus que le jeu proposé par la Seleção. Lazaroni s’offre cependant un bol d’air frais en remportant la Copa América 1989 au Maracanã, Romário marquant le seul but de la finale face à l’Uruguay. Deux semaines plus tard, les qualifications pour la Coupe du Monde 1990 débutent. L’Argentine déjà qualifiée en tant que tenante du titre, la CONMEBOL met en place trois groupes de trois, avec les deux meilleurs premiers qui se qualifient directement alors que l’autre vainqueur de groupe doit passer par un barrage face à l’Océanie. Le Brésil hérite du Groupe 2, en compagnie du Venezuela et du Chili.

Un match aller déjà très tendu

Toujours en 3-5-2, le Brésil débute les éliminatoires par une victoire 4-0 face au Venezuela à Caracas, où le Venezuela est à nouveau défait une semaine plus tard par le Chili. Le Brésil et le Chili s’affrontent une première fois dans ces éliminatoires le 13 août 1989, match connu sous le nom de la « Bataille de Santiago ». Avant même le début du match, le milieu défensif Raúl Ormeño met son doigt de l’œil de Romário. Ormeño reçoit un carton jaune dès la première minute pour un tacle au niveau de genou sur Branco qui oblige le latéral brésilien à sortir, puis est expulsé au quart d’heure de jeu pour un coup de pied par-derrière sur Valdo. Entre-temps, Romário est également expulsé pour avoir agressé Hisis, qui venait de le mordre. Après de nombreuses fautes, les deux équipes se séparent finalement sur un match nul 1-1, avec deux actions confuses, le Chili égalisant sur un coup franc indirect dans la surface alors que les joueurs brésiliens n’étaient pas placés. Le sélectionneur Sebastião Lazaroni doit être contenu par la police et est même frappé par l’un d’entre eux.

Devant les débordements et l’absence du contrôle anti-dopage par la fédération chilienne, la FIFA condamne le Chili à jouer son match suivant à l’étranger, ce qui ne sera pas un problème pour la Roja, qui écrase le Venezuela 5-0 à Mendoza. Un peu plus tôt dans le mois, le Venezuela subit une défaite 6-0 au Morumbi, Careca profitant de la suspension de Romário pour inscrire un quadruplé pour le Brésil. Avec cinq points chacun, le match entre le Brésil et le Chili est décisif, le vainqueur sera qualifié pour la Coupe du Monde en Italie alors que le perdant sera éliminé. Le 3 septembre 1989, la Seleção et la Roja s’affrontent au Maracanã, devant 141 072 spectateurs payants, pour un ticket en Coupe du Monde.

Sebastião Lazaroni aligne à nouveau un 3-5-2 malgré l’absence de Carlos Mozer, retenu par en Europe par son club, l’Olympique de Marseille, alors que du côté chilien, Iván Zamorano est absent pour les mêmes raisons. Le Chili dispose tout de même de joueurs intéressants, notamment son gardien Roberto Rojas, qui connaît bien le Brésil pour évoluer au São Paulo FC depuis 1987 et qui déclare avant la rencontre : « Le Brésil est une équipe complète, mais la campagne hostile qu’ils ont menée contre nous montre qu’ils nous respectent ». L’hymne chilien est copieusement sifflé par le Maracanã, et Roberto Rojas est décisif en première période, détournant les tentatives de Valdo, Careca ou encore Branco. À la mi-temps, le score est de 0-0 malgré la large domination du Brésil, qui a tiré quinze fois au but contre une seule fois pour le Chili, qui répète la violence du match aller. Héctor Puebla saute les deux pieds joints sur Bebeto au sol, une agression qu’il avait déjà commise sur Júnior lors d’une autre Bataille de Santiago, entre Cobreloa et Flamengo en finale de la Copa Libertadores 1981.

Match interrompu

Dès le retour des vestiaires, Bebeto trouve en profondeur Careca, qui croise sa frappe. Roberto Rojas touche le ballon, sans pouvoir l’empêcher d’aller au fond des filets. Le Brésil, qui avait besoin d’un match nul pour éliminer le Chili, se rapproche de la Coupe du Monde. En milieu de seconde période, alors que le Chili a le ballon dans son camp, un fumigène est lancé à proximité de Roberto Rojas, qui s’écroule et reste au sol, le visage ensanglanté. Pelé, qui commente le match pour Globo, anticipe ce qu’il va se passer, voyant les Chiliens profiter de l’incident. Les Chiliens refusent en effet de reprendre le match en avançant un manque de sécurité. L’arbitre argentin Juan Carlos Loustau avertit le capitaine chilien que la décision sera qualifiée comme un abandon de terrain, mais devant la fermeté des Chiliens, se voit contraint de mettre fin au match.

Le lendemain, la presse chilienne qualifie les Brésiliens de « mafieux » et « criminels » alors que le président de la fédération, Sergio Stoppel, demande l’interdiction du Maracanã et un nouveau match sur terrain neutre. Le médecin du Chili déclare que la blessure a été causée par le fumigène alors que Roberto Rojas confie à la presse : « J’ai seulement vu une lumière bleue, j’ai senti l’impact et c’est tout. Je me suis réveillé dans les vestiaires ». Le Brésil se retrouve menacé de disqualification, mais le directeur de la CBF et dirigeant du Vasco, Eurico Miranda, émet des réserves : « Un fumigène ne coupe pas et si cela avait été le cas, il aurait brûlé le visage du gardien ». Finalement, les clichés du photographe argentin Ricardo Alfieri confirment l’inimaginable : à l’aide d’une lame de rasoir caché dans ses gants, Roberto Rojas s’est lui-même ouvert le visage !

Sanctions exemplaires

Roberto Rojas était certain de l’absence de chances chiliennes de se qualifier pour la Coupe du Monde et a imaginé se blesser lui-même pour obtenir une disqualification du Brésil, profitant du fumigène lancé sur la pelouse pour mettre son plan à exécution. L’épisode offre une gloire subite à Rosenery Mello Nascimento Silva, une Brésilienne de vingt-quatre ans, qui a lancé le fumigène sur la pelouse et qui posera ensuite pour la Une de Playboy pour quarante mille dollars, mais provoque surtout un énorme scandale au sein du football. Alors que la CBF est condamné à une amende de vingt mille francs suisses pour le fumigène, les sanctions côté chilien sont exemplaires : le capitaine chilien Roberto Rojas et le médecin Daniel Rodríguez sont bannis à vie du football, le président de la fédération Sérgio Stoppel, le sélectionneur Orlando Aravena et le défenseur Fernando Astengo écopent d’une suspension de cinq ans. Le Chili est également disqualifié des éliminatoires de la Coupe du Monde 1994.

Considéré comme une honte dans son pays, Roberto Rojas peine à trouver du travail au Chili, devenant cependant gardien de la sélection de Beach Soccer en 1993, sport qui n’est pas à l’époque sous l’égide de la FIFA. Telê Santana, qui avait pourtant horreur de l’antijeu, offre une seconde chance au gardien en lui proposant de devenir entraîneur des gardiens du São Paulo FC, Roberto Rojas prend alors en main un jeune portier, un certain Rogério Ceni. La suspension est finalement levée en 2001 et Roberto Rojas devient entraîneur de São Paulo en 2003 et permet au club de retrouver la Copa Libertadores après dix ans d’absence. Rosenery Mello, surnommée la « Fogueteira do Maracanã », meurt en 2011 à quarante-cinq ans d’une rupture d’anévrisme après être retourné dans l’anonymat. Trente ans après, le Maracanazo de Rojas fait toujours parler au Chili où plusieurs joueurs reprochent au Condor d’avoir anéanti les chances d’une génération annoncée dorée, celle programmée pour la Coupe du Monde 1994 et qui s’appuyait sur les U20 quatrième mondiaux en 1987, un Chili troisième de la Copa América 1991 une partie du Colo-Colo vainqueur de la première Libertadores chilienne en 1991 et de la Católica, finaliste deux ans plus tard. De son côté, la Seleção remporte le match face au Chili sur tapis vert et se qualifie pour la Coupe du Monde 1990, de laquelle elle est éliminée en huitièmes de finale par l’Argentine après un autre scandale, celui de la gourde empoisonnée.

 

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.