Dans la culture populaire, le Brésil n’a qu’un « Docteur ». Père de la démocratie corinthiane, Sócrates reste un personnage à part qui a marqué à tout jamais l’histoire du football et de la société brésilienne. Pourtant, une décennie avant lui, un autre docteur avait déjà changé le cours de l’histoire. Son nom, Afonsinho.

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Médecin rebelle

Fils d’un employé de chemin de fer et d’une professeure, Afonso Celso Garcia Reis nait à São Paulo le 3 septembre 1947. Il grandit du côté de Marília puis de Jaú, deux cités de l’État de São Paulo et parallèlement à ses exploits sur les terrains suit des études de médecine. Déjà issu d’une famille militante, Afonsinho profite de ses études pour côtoyer les milieux de gauche, les lieux où se mélangent artistes, musiciens et intellectuels. Il en acquiert définitivement sa couleur politique, son désir d’opposition à une dictature militaire installée au pays dès 1964. « J’aurais pu me faire arrêter », déclare-t-il quelques années plus tard, expliquant qu’il hésite alors à choisir entre s’engager dans la lutte armée contre la junte militaire ou poursuivre sa carrière de footballeur. Il choisit le finalement le football, meilleur outil de résistance « le football représentait tellement pour moi, j’étais aussi très engagé socialement ». Arrivé à Botafogo en 1965, Afonsinho s’installe au milieu et conquiert plusieurs titres avec le Fogão à la fin de la décennie. Mais à l’approche des années soixante-dix, sa carrière bascule en raison notamment de sa couleur politique et de son insoumission. Le club lui demande ainsi de se couper les cheveux et de se raser la barbe, à l’époque symboles de subversion, Afonsinho est enregistré au Serviço Nacional de Informações (SNI) où il est décrit comme subversif et communiste. Il refuse et se retrouve alors placardisé.

« J’avais des principes, j’en ai payé le prix »

Opium du peuple sous contrôle

Arrivée au pouvoir en 1964, la dictature militaire comprend rapidement que le football est un moyen de contrôle des masses. Pendant que le peuple se passionne pour sa Seleção et ses clubs, il ne s’occupe pas de politique. Tout est alors sous contrôle. João Maximo explique que « l’influence du régime militaire était profonde », mais si soutenir une équipe ou encourager la sélection revenait à soutenir le régime, la passion prenait le dessus. Rien ne doit dépasser. Des documents parus récemment révèlent que le régime gardait un œil sur Pelé lui-même pour détecter d'éventuelles tendances de gauche. Tostão révèle plusieurs années plus tard que la pression était constante sur la sélection : « Quelques jours après une interview, quelqu'un m'a dit de faire attention à ce que je disais. Je ne savais pas si c'était un conseil ou une menace ». À l’origine du retour du 4-2-4 de la sélection, le communiste João Saldanha est écarté au profit de Mário Zagalo qui décroche la Coupe du Monde au Mexique. Cette victoire entraîne une euphorie telle que le régime intervient directement pour mettre en place le championnat national en 1971. « Le foot a aidé les militaires dans le sens où il a donné au peuple quelque chose à quoi se raccrocher », explique Afonsinho. Non sélectionnable en vertu de son attitude, le docteur n’a que faire du climat local, il décide de reprendre la lutte.

Passe livre

C’est ce même Mário Zagalo qui écarte Afonsinho du groupe, le décrivant alors comme leader négatif. Entre 1968 et 1970, le temps de jeu du meneur se réduit à peau de chagrin, au point qu’il ne figure même plus dans le groupe. Il décide alors de s’entretenir avec Zagalo, provocant la consternation de certains de ses coéquipiers, un tel acte n’étant alors pas accepté. Son apparence physique subversive pose problème, Afonsinho est alors d’abord envoyé à Olaria où il joue afin de pouvoir continuer à payer ses études de médecine. Six mois plus tard, il est de retour à Botafogo, n’a rien changé de son apparence et se voit alors interdit de participer aux entraînements. En 1971, Xisto Toniato, président de Botafogo déclare alors : « cette apparence n’a rien de celle d’un joueur de football, mais plutôt d’un chanteur yé-yé, un joueur de guitare ». Le salaire du joueur est suspendu.

C’en est de trop pour Afonsinho qui entreprend alors une action en justice, en pleine dictature. Son acte change l’histoire du football brésilien. Avec ses avocats, il décide d’attaquer le club et réclame le droit de négocier directement ses contrats, de pouvoir choisir librement où il peut être transféré alors qu’à l’époque, les clubs (ou parfois les agents) possèdent une sorte de droit de propriété sur les joueurs, le passe. En 1971, Afonsinho devient ainsi le premier joueur à obtenir le droit de négocier lui-même son transfert avant la fin de son contrat. Plusieurs décennies avant Bosman, il ouvre une brèche dans ce qu’Oswaldo Caldeira, réalisateur de « Passe Livre », un documentaire racontant son histoire (à découvrir ici), décrit comme « l’exploitation capitaliste du football ». Sa victoire devant le tribunal lui permet de prendre son destin en mains. Afonsinho vole ensuite de club en club, luttant pour faire des athlètes des agents libres, maîtres de leur avenir.

Afonsinho ne se battait pas seulement pour ses droits, il voulait changer la société, lutter contre l’injustice. En ouvrant cette brèche, en remportant ce combat, il permet aux footballeurs de sortir de leur situation précaire, les libère. Poursuivant ses études, il devient ensuite psychiatre et s’occupe de l’insertion des handicapés mentaux dans la société brésilienne, utilisant les loisirs sportifs pour aider à leur épanouissement.

Vingt-sept ans plus tard, la Loi 9615 du 24 mars 1998 ou Loi Pelé affranchit l’ensemble des joueurs brésiliens. Elle n’entre en vigueur qu’en 2001, trente ans après l'action de son père fondateur, Afonsinho. « Un footballeur libre, un homme libre, je n’en connais qu’un seul : Afonsinho », a dit Pelé. Gilberto Gil lui dédie une chanson, Meio de Campo. Quelques années avant le Docteur du Corinthians, un autre médecin barbu a  changé l’histoire du football brésilien. En pleine dictature, Afonsinho s’est levé contre le système pour crier sa soif de liberté. Et a ainsi ouvert les premières brèches.

Article initialement publié le 3/09/2017, dernière mise à jour le 3/09/2023. Photo de une : CHRISTOPHE SIMON/AFP/Getty Images

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.