Petronila Gonzáles Ganoza et José Guerrero n’ont pas réveillonné comme tout le monde le 31 décembre 1983, ils attendaient un heureux évènement qui allait mettre de la joie dans leur vie mais aussi dans le cœur de millions de péruviens. Jose Paolo Guerrero Gonzáles né à Lima le 1er janvier 1984. De ses premiers pas à l’Alianza Lima à la Coupe du Monde, il est le symbole du peuple rouge et blanc. Portrait d’un Guerrero peruano.

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Doña Peta et Alianza Lima

« - Hijito pourquoi es-tu déjà couché ?

- Mama demain je dois jouer au foot »

Ce dialogue entre Doña Peta et son fils résume la jeunesse de Paolo dans le quartier populaire de Chorrillos.

Comme beaucoup d’enfant de son âge, Paolo veut devenir footballeur et, pour y parvenir, il y travaille dur. Il baigne dans le football depuis tout petit puisqu’il accompagne comme mascotte son oncle Jose Caico González, gardien de l’Alianza Lima et de la sélection nationale qui décède tragiquement le 8 décembre 1987 lors du crash de l’avion qui ramenait l’équipe de l’Alianza à Lima après un match à Pucallpa. Cette tragédie hantera pour toujours Paolo qui entend encore les cris et pleurs de sa mère apprenant la nouvelle alors qu’il avait 4 ans. Au point que prendre l’avion pour les déplacements reste encore aujourd’hui un cauchemar pour Guerrero. Doña Peta, sa maman, a pour cousins Oscar et Huaqui Gómez Sánchez, qui ont joué à Boca et River, ou encore la légende Hector Chumpitaz, membre du Pérou 1975 (lire 1975, et la Copa América vit le jour). Son père José lui donne son prénom en hommage à Paolo Rossi, l’homme dont les buts ont fait de l’Italie un champion du monde en 1982. tioguerrero

Doña Peta l’inscrit ainsi à l’école de football de l’Alianza à l’âge de sept ans. Il y fera toute sa formation. Elle tient une place importante dans sa jeune carrière, elle en est son moteur car c’est elle qui enseignera à son fils comment mener une vie saine, ne pas sortir tard pour faire la fête avec les copains, ne pas boire de l’alcool et avoir une alimentation équilibrée. Une anecdote du gérant de la Cevicheria Mi Barrunto où se réunissent les joueurs de l’Alianza, nous révèle que la mère de Paolo venait surveiller les menus et interdisait les boissons gazeuses. Grace à son comportement exemplaire, Constantino Carvallo Rey, directeur du prestigieux collège « Los Reyes Rojos » qui est aussi collaborateur du club Blanquiazul lui obtient une bourse. Paolo jouera dans l’équipe de football de son école et remportera même le tournoi interscolaire. À 14 ans il est rejoint dans le club de la Victoria par un certain Jefferson Farfán qui restera jusqu'à ce jour son grand ami. Ensemble, les deux amis font des ravages dans les catégories jeunes et éclaboussent de leur talent leurs entraineurs à commencer par l’homme qui a formé les plus grands, de Cubillas à Cueto, Rafael El Cholo Castillo qui ira jusqu’à faire des paris avec le jeune Paolo, lui promettant de l’argent à chaque but marqué : « el Cholo Castillo lui donnait de l’argent à chaque but. Jusqu’au jour où, lors d’un match important, il lui a promis 20 soles par but et que Paolo en a mis huit. Ce jour-là, il a compris que ce n’était pas une bonne idée », racontera Doña Peta.

Héritage afro-péruvien

L’Alianza Lima a toujours été dans le cœur de Paolo. Le film Guerrero débute par le petit Paolo écoutant à la radio un but de Waldir Sáenz, meilleur buteur de l’histoire du club à côté duquel il sera le jour de son jubilé disputé à Matute. Comme Waldir Sáenz, son idole d’alors, Paolo Guerrero n’est pas un joueur comme les autres, il s’inscrit dans la plus pure tradition des géants de l’Alianza Lima, un digne représentant de la communauté afro-péruvienne, héritier de la première légende, Alejandro Villanueva (pour plus de détail, lire l'histoire d'un nom consacré au club). Aux côtés de la Foquita Farfán, Paolo Guerrero fait toutes ses classes au club, gravit les échelons. Jusqu’aux moins de 17 ans, période où tout va alors changer. farfanguerreroUne tournée en Allemagne avec le club et son destin est scellé. Repéré par des recruteurs du Bayern, il leur tape dans l’œil. Ces derniers se déplacent alors au Pérou et viennent directement observer l’attaquant à Matute afin d’évaluer son niveau sur le terrain, mais aussi observer son comportement général et sa discipline. Séduits par le jeune Paolo, alors âgé de 18 ans, ils viennent discuter avec sa mère qui gère ses intérêts et lui disent de venir faire un essai en Allemagne. L’essai est concluant, en 2002, Paolo quitte donc son Pérou et son club de cœur sans y avoir joué un seul match en pro. Il laisse seul Farfán porter l’héritage des afro-péruviens à l’échelon supérieur. La Foquita signe un contrat professionnel avec l’Alianza Lima, il y remportera les championnats 2001, 2003 et 2004 en étant le meilleur joueur, avant de s’envoler lui aussi pour l’Europe, au PSV Eindhoven.

Gerd, Claudio et Bundesliga

Au Bayern, un personnage important apparait dans la vie de Paolo pour sa carrière et son futur : Gerd Müller. Pris d’affection pour le jeune péruvien, la légende allemande le surnomme un temps « Teófilo Cubillas », qu’il a croisé lors d’un mondial mexicain, puis se charge lui-même de lui enseigner son football, à devenir une machine à marquer, un goleador. « Il m’a appris à marquer, je ne pouvais avoir un meilleur maître », dira plus tard Guerrero. Au club, Guerrero compte également sur la protection d’un compatriote, Claudio Pizarro, arrivé en Allemagne quelques années plus tôt. Il jouera un rôle fondamental dans son adaptation au club bavarois et le considère comme son hermanito, lui donnant son surnom, el Depredador, le Prédateur, car il arbore une coupe de cheveux similaire aux créatures du film du même nom. L’apprentissage porte ses fruits. En 2003/04, Guerrero inscrit 21 buts avec la réserve du Bayern avec laquelle il est sacré champion. Sans n’avoir jamais joué une seule rencontre de première division, il est alors appelé pour la première fois en sélection nationale. Après deux années passées avec l’équipe B, Guerrero arrive en équipe première, il va évoluer aux côtés des grands Oliver Khan, Michael Ballack et bien entendu Claudio Pizarro. Malheureusement, barré par la forte concurrence, en 2006, il part chercher plus de temps de jeu du côté d’Hambourg qui compte dans son effectif Juan Pablo Sorín, Ivica Olić et Rafael Van Der Vaart. Rapidement installé comme titulaire en attaque, il commence bien la saison en inscrivant un doublé lors de la victoire contre le Bayer Leverkusen. Là encore, le destin s’en mêle : une blessure le laisse sur la touche, il finira la saison comme remplaçant avant finalement d’enchaîner cinq saisons pleines et se placer comme le buteur du club. Son entraineur déclare alors : « Paolo ne doit même pas choper un rhume de toute la saison ! ». La saison 2011-2012 marque un tournant dans la carrière de Guerrero, il a une réputation de joueur agressif sur le terrain qui ne lâche jamais rien pour le bon comme pour le pire... Le 3 mars 2012, Hambourg reçoit Stuttgart pour le compte de la 24ème journée et est mené 0-3 quand, à la 54ème minute, le gardien récupère un ballon juste avant Paolo qui le tacle alors derrière le genou. Expulsion immédiate du Péruvien et sanction de huit matchs ferme par le comité de discipline de la Bundesliga. Paolo retourne dans son pays natal pour purger sa peine auprès de sa famille, son aventure européenne prend fin après 10 années passées en Allemagne. « Je veux être champion du monde », dit-il à sa maman avant de monter dans l’avion pour São Paulo. Ce jour de juillet 2012, il signe alors au Corinthians, les plus belles pages de son histoire sont à venir.

Retour en Amérique du Sud : O Guerreiro chegou

Arrivé pour remplacer Liedson, Paolo Guerrero ne pense qu’au Mondial des Clubs de fin d’année. Mais Doña Peta est toujours présente. Cette fois-ci, elle reprend en main l’éducation de son fils après ses dérapages en Allemagne, elle lui envoie même une cuisinière personnelle pour surveiller son alimentation. Le plus fou c’est que cela fonctionne, Paolo enchaine les bonnes prestations et devient exemplaire jusqu'à être honoré par le consulat péruvien au Brésil « en reconnaissance de ses mérites sportifs, de son professionnalisme et en montrant les valeurs du sport péruvien ». Quelques jours plus tard, il s’envole pour le Japon afin d’y disputer la Coupe du Monde des clubs, son objectif. En demi-finale, il inscrit l’unique but du match contre les Égyptiens d’Al-Ahly synonyme de finale. Le 16 décembre 2012, le Corinthians de Tite joue la finale contre Chelsea et sa pléiade de stars championnes d’Europe. À la 68ème, libre de tous marquage, Paolo Guerrero s’élève au-dessus de tous et marque le but d’un cabezazo qui offrira le titre de champion du monde aux Brésiliens. Paolo est devenu Guerrero, il change alors de dimension.

En 2013, il contribue grandement à l’obtention du titre du championnat Paulista dont il est élu le meilleur joueur. Il dispute et gagne la même année la Recopa Sudamericana 2013 contre São Paulo en marquant un but au match aller. En 2014, il est élu meilleur attaquant du championnat brésilien. Paolo est adulé par les supporters et devient l’idole du club. Il rentre dans l’histoire du Timão en devenant le meilleur buteur étranger de l’histoire du club avec 54 buts, dépassant ainsi Carlos Tevez. Après avoir refusé une offre de West Ham en août 2014, l’histoire d’amour entre Guerrero et le Corinthians prend fin en 2015. Après une élimination en Copa Libertadores, le Péruvien ne parvient à trouver un accord avec le club, la faute en grande partie à la situation économique difficile traversée par le Corinthians, qui connaissait des retards de paiement de salaires. Guerrero ne renouvelle pas son contrat. Au mois de mai 2015, il s’attire la colère des supporters en signant chez l’ennemi de Rio de Janeiro, le Flamengo. En sortant d’une Copa America réussie au cours de laquelle il finit troisième avec le Pérou, Paolo atterrit donc dans le club le plus populaire du Brésil et devient le joueur le mieux payé d’Amérique du Sud. Quelques jours après son arrivée, il débute avec le Mengão contre l’Internacional, marque un but et en délivre une passe décisive. Il gagne rapidement l’admiration des supporters cariocas qui créent alors un chant en son honneur : « Acabou o caô. O Guerrero chegou ».

Il faut dire que Flamengo traversait une période creuse en termes de transfert entre 2012 et 2014 et le Péruvien arrive avec une réputation de grand joueur. Réputation qu’il entretient sur le terrain. En 2017, il réalise probablement le meilleur début de saison de sa carrière : deux buts en éliminatoires avec la sélection, deux finales régionales avec le Flamengo ponctuées de deux buts. Champion du Carioca, dont il est le meilleur buteur (10 buts en 11 matchs), il décroche alors son premier titre avec les Rubros-Negros. Paolo Guerrero terminera l’année en ayant inscrit 20 buts toutes compétitions confondues, son record personnel.

Idole d’un peuple dans la douleur

L’histoire de Paolo Guerrero avec la Blanquirroja est une histoire d’amour qui commence très tôt. En 2001, il est appelé avec son ami Farfán en sélection U17 pour disputer les Jeux Bolivariens et remporte brillamment la médaille d’or en Équateur. En 2004, il participe au tournoi préolympique des moins de 23 ans au Chili, inscrit trois buts en quatre matchs, mais ne sera pas emmené par le sélectionneur Paulo Autuori à la Copa America disputée la même année. Il connaitra tout de même quelque mois plus tard sa première sélection, le 9 octobre contre la Bolivie et attendra un mois de plus pour ouvrir son compteur but en sélection, face à l’ennemi de toujours, le Chili.

Malgré une belle génération de joueurs comme Claudio Pizarro, Juan Manuel Vargas et Jefferson Farfán, le Pérou ne parvient pas à se qualifier à une Coupe du Monde terminant même bon dernier de sa zone en 2010. En revanche, Los Incas réalisent de belles campagnes en Copa América avec Paolo dans ses rangs. Le Depredador répond toujours présent et mouille le maillot pour son pays à chaque match. En 2011, le Pérou est troisième de l’édition argentine, son attaquant vedette termine meilleur buteur de la compétition. Même résultat en 2015 sur les terres du rival chilien où le Pérou propose un très beau jeu grâce à son nouveau sélectionneur argentin, Ricardo Gareca qui emmène son équipe à la troisième place, Guerrero toujours meilleur buteur de la compétition. Avec un total de 11 réalisations, il est désormais à quatre buts de la légende péruvienne Lolo Fernández, troisième meilleur buteur de la table historique de l’épreuve.

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Paolo rentre dans les livres d’histoire de la sélection péruvienne le 24 mars 2016 lorsqu’il inscrit son 24ème but contre le Venezuela. Il devient alors le meilleur buteur de l’histoire du pays en égalant la légende Teófilo Cubillas, celui dont il avait pris un temps le surnom en Bavière. La même année sortira au Pérou « Guerrero » un film biographique retraçant son enfance qui sera très bien accueilli par les critiques. L’année 2017 restera dans l’histoire du football péruvien comme étant une des plus prolifiques : le Pérou termine l’année invaincu avec six victoires, quatre nuls, pointe au 11e rang du classement FIFA pour la première fois de son histoire et surtout décroche une qualification pour la Coupe du Monde 2018. Évidemment Paolo n’est pas étranger à cette bonne dynamique puisqu’il inscrit des buts clés notamment contre l’Argentine de Messi et l’Uruguay de Cavani et Suárez. Mais Paolo marquera l’histoire lors de la dernière journée des qualifications.

Le 10 octobre 2017, le Pérou est cinquième et donc virtuellement en place de barragiste avant le match contre la Colombie qui se joue ce soir-là à l’Estadio Nacional de Lima. James Rodríguez ouvre le score pour les Cafeteros au retour des vestiaires, réduisant alors les espoirs de qualifications des Péruviens. Les hinchas ne baissent pas les bras et célèbrent même, dans les tribunes pleines à craquer, un but du Brésil contre le Chili. A la 77ème minute, le Pérou obtient un coup franc indirect pour une faute de Frank Fabra sur Aldo Corzo. Paolo prend ses responsabilités et tente un geste fou, tirer directement un coup franc indirect. Sa frappe est déviée par Ospina dans son but, le but est accordé. Dans le même temps le Chili sombre au Brésil. Le Pérou accroche la cinquième place grâce à ce nul et s’offre un aller-retour en Nouvelle-Zélande pour les barrages et le droit d’y croire après 36 ans d’absence à un mondial.

Paolo redescendra vite de son nuage. Quelques jours plus tard, il est rattrapé par un contrôle anti-dopage effectué après le match contre l’Argentine à Buenos Aires début octobre dont le résultat est positif à une molécule présente aussi dans la cocaïne. Le 3 novembre 2017, la FIFA suspend le joueur provisoirement pour 30 jours, le temps d’attendre les résultats de l’enquête. Guerrero ne sera pas présent pour les deux matchs les plus importants du Pérou de ces trois dernières décennies. Un coup de massue pour le guerrier et son peuple. Le Pérou se déplace en terre kiwi pour jouer la première manche à Wellington et repartira avec un match nul frustrant. Le 15 novembre restera gravé dans la mémoire des Péruviens. Pour le match retour, Lima est bouillante, le pays entier pousse ses joueurs qui veulent tout donner pour emmener leur capitaine emblématique en Russie. Le Pérou joue son football contre des Néo-Zélandais recroquevillés en défense. Comme un symbole, c’est le moment choisi par Farfán, positionné à la place de son ami, pour surgir à la 27ème minute et libérer tout un peuple. En larmes, la Foquita dédie son but à son hermano en brandissant le maillot floqué du 9. Une image pour l’éternité. Cette nuit Lima de dormira pas. Le Pérou retrouve la Coupe du Monde, la joie retombe pourtant aussi rapidement. Car deux semaines plus tard, nouveau tremblement de terre dans l’affaire Guerrero.  Après investigations, les instances de la FIFA à Zurich annoncent le 8 décembre une sanction de un an de suspension à Paolo Guerrero. Ce 8 décembre justement où l’Alianza Lima commémore les 30 ans de la tragédie aérienne qui emporta aussi la vie de l’oncle de Paolo, Guerrero se voit privé de Coupe du Monde, son rêve ultime. Le pays est sous le choc. C’est un jour noir pour la famille Guerrero mais aussi pour un peuple qui espérait aller en Russie pour disputer ce mondial avec son capitaine. Un nouveau combat se prépare. Paolo plaide non coupable et assure avoir été contaminé par une infusion prise pour soigner une grippe. Ses avocats font appel, ils réussissent alors à prouver les dires de son client, la FIFA réduit alors la FIFA réduit la sanction de six mois. Une fois encore, le guerrero sort victorieux. L’une des dernières scènes du film Guerrero voit le jeune Paolo converser avec l’actuel évoquant notamment son futur, échange qui se termine par une question « on ira à la Coupe du Monde ? » ce à quoi Paolo adulte répond « pas encore ». Un an plus tard, Paolo Guerrero mènera sa sélection en Russie, il ira défendre les couleurs de son pays pour la plus importante compétition footballistique et surtout, aux côtés de Farfán, continuera de porter l’héritage afro-péruvien aux sommets du monde.

Romain Lambert
Romain Lambert
Parisien expatrié sur les terres Inca, père d’une petite franco-péruvienne, je me passionne pour le football de Lima à Arequipa en passant par Cusco. Ma plus forte expérience footballistique a été de vivre le retour de la Blanquirroja à une coupe du monde après 36 ans d’absence.