Rouges contre Verts, Virage Nord contre Virage Sud, dimanche le 117ème règlement de comptes entre Wydadis et Rajaouis va chauffer à blanc le complexe Mohamed V et ca risque de faire du bruit. Portrait d’une rivalité éternelle et d’un duel spectaculaire surtout dans les tribunes.

Mercredi soir, au Ballon Ovale, sympathique petit bar à Casablanca au décor rugbystique dans lequel BeIn Sports tourne en boucle, une trentaine d’amateurs du ballon rond suivent le match du Real Madrid tout en sirotant une bonne bière. Parmi eux, deux personnes s’échangent des petites piques entre deux coups d’œil admiratifs à Cristiano Ronaldo. Ils sont amis, mais l’un est supporter du Wydad, l’autre du Raja. Et à quelques jours du derby, le trashtalking débute.

Le Rajaoui dégaine en premier : « Alors ca y est vous arrêtez de boycotter les matchs à domicile cette année ? 1 Les Loosers 05 [référence péjorative au principal groupe ultra du Wydad, les Winners 05] redécouvrent ce que veut dire la fidélité ? ». Son vis-à-vis réplique calmement : «  Et vous alors, comment ca va à 10 jours de la Coupe du Monde des Clubs ? Ca va être chaud contre Auckland, non ? Ah oui non pardon vous n’êtes pas qualifiés cette année. Vous l’avez encore en travers de la gorge, hein ? ».2

Une cohabitation tumultueuse

Des centaines de scènes de ce type ont lieu la semaine qui précède la confrontation. De fait, l’idée reçue (encore ancrée en Europe et dans le reste de l’Afrique) selon laquelle Raja-Wydad oppose classe populaire et classe aisée n’a plus lieu d’être. Dans les 2 camps, on peut trouver des célébrités, des ingénieurs, des balayeurs, un contingent non négligeable de supportrices, et bien évidemment la fine fleur de la délinquance juvénile.

Plus de clivage social, mais des territoires distincts. Deux villes dans la ville, deux courants qui coexistent mais font des étincelles quand ils se croisent.

Quelque fois ca ne dépasse pas un cadre bon enfant. Par exemple, un soir de septembre dans le tramway, une bande de Wydadis revenant du match contre le FUS tombe sur un jeune portant un maillot du Raja. Ce dernier est encerclé immédiatement et n’en mène pas large, mais après quelques chambrages et un lapidaire «  se balader avec ce maillot 30 minutes après un match du WAC, tu cherches quand même » l’escouade rouge lui fout la paix et part voir ailleurs.

Et des fois ca se passe mal, et la rubrique faits divers est alimentée. Mi-juillet, des provocations sur les réseaux sociaux entre Rajaouis et Wydadis tourne à l’expédition punitive. Deux groupes de jeunes font des descentes dans un quartier résidentiel, la mère d’un des jeunes est agressée, bataille rangée au couteau, bref une ambiance saine et décontractée.

Ultras : Les légions romaines contre les huns

Winners d’un côté, Ultras Eagles et Green Boys de l’autre. Une opposition de style qui saute aux yeux au bout de quelques semaines à écumer les matchs à domicile des deux clubs au Complexe Mohamed V.

Les Winners, c’est une esthétique travaillée sur tous les tifos, riche en symboles à l’instar de celui déployé dans le grand stade de Marrakech cette saison contre le KACM () Et une créativité certaine et de l’organisation dans les animations pour en mettre plein les yeux comme par exemple ce joli numéro de transition radiophonique contre Berkane en 2013 : 

En face, moins de fioritures mais également des symboliques et des messages très forts. Le tifo en 4 temps de dimanche dernier face au MAS est sans appel : «  Message aux joueurs et aux coachs : Battez-vous pour le Raja, pas pour l’argent » et parfaitement exécuté.

Les Ultras du Virage Sud, c’est une mécanique un poil moins rodée mais qui dégage une sensation particulière, une sorte de ferveur instinctive et bestiale qui prend aux tripes.

Deux styles radicalement différents, même si on retrouve de chaque côté l’influence italienne (chants et banderoles) et un certain goût pour la pyrotechnie. Wydad contre Raja, c’est la beauté de deux armées aussi impressionnantes l’une que l’autre. Cohortes contre hordes. Choisissez votre camp.

Situation sportive : Le Wydad bien en place, le Raja dans le flou

Le Gallois John Toschack, anciennement entraîneur du Real Madrid et de l’OM, a rapidement pourvu le Wydad d’une identité bien définie : Un bloc solide (2ème meilleure défense du championnat) et des individualités forgées pour faire mal en contre : Deux détonateurs, Bakari Koné et Hadjouj, nouvelle pépite du foot marocain, qui brillent par leur vivacité, et un finisseur efficace, le Gabonais Evouna. Néanmoins cette équipe galère contre les adversaires qui ne lui laissent pas d’espace, et les résultats traduisent cette difficulté : Leader et invaincu, le WAC gagne à domicile et fait match nul à l’extérieur.

10ème mais à seulement 5 points de son rival, le Raja ne s’est pas encore remis de la tempête qui a suivi l’éviction du coach Abdelhak Benchikha. Depuis que le portugais José Romao, ancien de la maison, a repris les rênes, les Verts n’avancent pas. Un jeu sans ligne directrice, une possession de balle cruellement stérile, et des attaquants d’une lourdeur gênante. Le Congolais Mouithys, le Centrafricain Mabidé et Abourrazouk cristallisent l’exaspération des supporters. Mais la hiérarchie de cette saison 2014-2015 n’est pas encore établie, et il suffirait d’une série de victoires pour que les Rajaouis se remettent à flot

Pronostic

Le Wydad a beau avoir les faveurs des spécialistes, les derbys sont imprévisibles. Le Raja, au bord de la rupture dés la 2ème minute sur un face-à-face raté d’Evouna, ouvre le score à l’orée du quart d’heure de jeu. La frappe dévissée de Mabidé est détournée dans ses propres filets par l’infortuné latéral Noussair.

Sonné, le leader s’en remet au récital de Hadjouj. Sur l’une de ses percées, l’international espoir fait expulser le défenseur Rajaoui Karrouchy en position de dernier défenseur. A 11 contre 10, le Wydad monte d’un cran et obtient l’égalisation à la 38ème grâce à Koné qui enrhume Oulhaj et place une frappe du droit à l’entrée de la surface qui se loge dans la lucarne du gardien des Verts Askri.

En infériorité numérique, le Raja se recroqueville sur son camp et le Wydad se casse les dents durant toute la seconde mi-temps. Les deux rivaux se quittent sur un score de parité (1-1) et laissent le soin aux Virages de faire le show. La pluie s’abat sur Casablanca, mais les deux moitiés de la ville regagnent leurs pénates avec la satisfaction du devoir accompli.

1 : La saison dernière, pour protester contre la mauvaise gestion du club et réclamer le départ du président Akram, les Winners ont boycotté les matchs à domicile du club.

2 : Qualifié pour la Coupe du Monde des Clubs en 2013 en tant que champion du Maroc, le Raja aurait pu faire coup double en 2014 mais s’est fait souffler le titre par Tétouan lors de la dernière journée.

Bonus

 

Farouk Abdou
Farouk Abdou
Actuellement à E-management, passé par Echosciences Grenoble, Le Dauphiné Libéré, Sport Translations et Tunisie foot, Africain volant pour Lucarne Opposee