La saison de football se termine en France avec la finale de la Coupe le 13, presque un mois plus tôt que les saisons précédentes. Pourquoi ? Pour faire place au plus grand tournoi de football jamais organisé, ce que confirme le nombre d’inscriptions.

Épisode 1 - Épisode 2 - Épisode 3 - Épisode 4 - Épisode 5 - Épisode 6

La finale de la Coupe de France, « la Fête nationale du football » a été avancée cette année pour pouvoir laisser à la FFFA la possibilité d’organiser une préparation pour le tournoi olympique. On parle de Coupe de France mais, à une époque où il n’y a pas de championnat mais uniquement des ligues régionales, le vainqueur de la Coupe est l’équipe championne, la sommité du football nationale. Et ce sont deux équipes jouant dans la même ligue Sud-est, le FC Cette (appelé Sète aujourd’hui) et l’Olympique de Marseille qui s’affrontent à Paris. L’OM s’impose (3-2, après prolongations, devant vingt-cinq mille spectateurs. Le président de la ligue en profite pour indiquer en interview : « La Coupe a eu deux finales cette année. Dans la première, Marseille a battu Rouen. Dans la seconde Cette a battu Le Havre. Aujourd’hui, nous sommes montés pour donner une démonstration de football aux Parisiens ». Quelques jours plus tard, L’Auto indique : « La saison de Football national s'est terminée dimanche sur le dernier acte de la Coupe de France. L'attention de tous les sportifs est maintenant concentrée sur les joutes de football des Jeux Olympiques qui commencent le mois prochain et qui, par le nombre de leurs engagés, présente un intérêt exceptionnel. La 3F.A. poursuit son programme de préparation pour permettre aux sélectionneurs de revoir une dernière fois les vingt-deux joueurs appelés à représenter les couleurs nationales dans le Tournoi mondial, elle organise le 22 courant une grande journée, dite Journée Olympique. Les deux équipes de France A et B seront opposées à deux sélections étrangères. »

Les inscriptions des pays au tournoi sont bouclées depuis le 13 avril et le nombre très élevé d’inscriptions, vingt-trois, transforme le tournoi en le « Premier championnat du Monde de Football », expression utilisée par L’Auto dès le 5 avril. Le tirage au sort a lieu le 17.

« LE TOURNOI MONDIAL DE FOOTBALL

Le tirage au sort pour le premier tour – la France est exempte –. L'Italie rencontrera l'Espagne, tandis que la Hongrie matchera la Pologne.

La Commission Olympique de Football s'est réunie hier en vue de procéder au tirage au sort des rencontres du tournoi olympique qui aura lieu du 25 mai au 10 juin. La séance était présidée par M. Rimet, président de la Fédération Internationale de Football et de la F.F.F.A., assisté de M. Allan Muhr, représentant le C.O. Français. Il fut tout d'abord question de l'engagement de l'Irlande. La Fédération de football ayant envoyé l'adhésion d'une équipe au nom de l’État libre d'Irlande, puis le C.O. Irlandais ayant fait connaître qu'il désignerait par ailleurs une équipe pour le représenter, la Commission Olympique décida de demander au Comité International quel engagement sur les deux parvenus serait retenu, un seul pays ne pouvant être représenté en effet que par une seule équipe. Ceci exposé, on passa au tirage au sort.

Voici quel en fut le résultat :

Exempts au Ier tour : 1. Hollande ; 2. Roumanie ; 3. Bulgarie ; 4. Irlande ; 5. Luxembourg ; 6. Belgique ; 7. Égypte ; 8. Lettonie ; 9. France. Ordre des rencontres du tour : 10. États-Unis contre 11. Esthonie ; 12. Tchécoslovaquie contre 13. Turquie ; 14. Suisse contre 15. Lithuanie ; 16. Hongrie contre 17. Pologne ; 18. Portugal contre 19. Suède ; 20. Espagne contre 21. Italie ; 22. Yougoslavie contre 23. Uruguay.

[…] Nous pouvons bénir le sort qui nous permet de passer le premier tour sans coup férir. Il n'en sera pas de même de nos amis latins, l'Italie ou l'Espagne disparaîtra dès la première journée. Nous pensons que le choc sera plutôt au désavantage des Italiens. Une autre rencontre également serrée sera celle qui opposera la Hongrie à la Pologne. Les Hongrois se qualifieront probablement. Le récent succès de l'Uruguay en Espagne nous permet en outre de prédire une rude tâche à la Yougoslavie. Par contre la Tchécoslovaquie et la Suisse devraient se qualifier aisément ».

Le tirage au sort est intégral et génère quelques frustrations. On parle peu des équipes étrangères mais l’Espagne et l’Italie faisaient partie des favoris. La France, elle, n’en fait pas partie. Gauthier-Chaumet fait appel à un « Je ne sais quoi » français, « qui peut sauver l'équipe de France de nouveaux désastres. Ce Je ne sais quoi nous a fait gagner France-Belgique. Il nous a permis aussi de battre l'Angleterre (amateur) en 1921. C'est encore lui qui a fait la victoire de l'Olympique sur Clapton Orient, voici deux ans, et celle de Marseille sur Cette pour la Coupe. Ce Je ne sais quoi est en somme l'état d'âme collectif de l'équipe au moment d'une rencontre décisive. Il n'est pas fatalement réalisé par les mêmes joueurs dans les mêmes circonstances. De multiples facteurs extra-sportifs interviennent pour le provoquer. Telle équipe qui jouera tristement pendant une mi-temps trouvera soudain l'inspiration au cours de la reprise, voire à quelques minutes de la fin du match. Et si, à ce moment, l'adversaire ne réagit pas, c'est la victoire arrachée magnifiquement. Il est hors de doute que si quelque sentiment peut susciter cette volonté unanime de vaincre contre vents et marées, c'est bien le sentiment patriotique. Pour être chauvin, sans être nationaliste intégral, il est certain que chacun de nous, avant même de se sentir d'un club, d'une ligue, réalise qu'il est Français et vêtu des trois couleurs, uniforme envié ; chacun sait qu'il doit se donner tout entier pour le succès. Je souhaite donc, qu'à défaut d'une technique supérieure, à défaut de la science nécessaire, notre onze olympique puisse être animé superbement et que les qualités du cœur, la spontanéité l’esprit de décision nous donnent quelques chances de figurer honorablement dans le formidable tournoi. Il est, en effet, indispensable qu'à l'occasion de ce premier Championnat du Monde de la balle ronde, l'équipe de France fasse mieux que figure de comparse. Car ces J.O. se disputent à Paris et nous n'aurons pas d'ici longtemps semblable occasion favorable ». L’équipe de France est prête, les matchs de préparations ont été satisfaisants. Les autres pays sont aussi prêts et les listes de joueurs sélectionnés sont annoncées les unes après les autres comme la Tchécoslovaquie le 25, la Belgique le 28 ou la Hongrie le 29.

En tournée

Les nations les plus lointaines ont établis leur groupe depuis longtemps. Les Uruguayens sont partis mi-mars, les américains début avril. L’Uruguay arrive à Vigo et s’entraîne le 8 avril sur un terrain de football pour la première fois depuis vingt-et-un jours. Dès le 10, l’Uruguay affronte le Celta Vigo. Il a plu jusqu’à deux heures avant le match et les Uruguayens sont surpris de la mauvaise qualité du terrain. Ils s’imposent malgré tout 3-0. La presse locale a du mal à y croire : « Nous avons donc vu jouer les Sud-américains. Et comme ils jouent ! L’équipe olympique de l’Uruguay a émerveillé les spectateurs qui sont allés au stade Coya. Ils n’ont pas marqué six buts, mais ils ont développé une telle quantité et qualité de jeu que nous aurions pu mettre huit au score, parce qu’ils ont bien été sept fois meilleurs que l’équipe celtique. […] Nous avons vu l’équipe uruguayenne faire deux choses : gagner facilement le match et nous offrir une démonstration brillante du jeu qui se pratique sur les terrains d’Amérique du Sud. Les spectateurs étaient bouches-bée. Sous le choc, tellement qu’ils auraient dû se briser les mains à applaudir, mais ils ne l’ont pas fait ». C’est le début d’une longue tournée de presque un mois en Espagne durant laquelle l’Uruguay va beaucoup voyager et beaucoup gagner. Le début d’une rafale olympique.

 

 

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba