Loin des clichés qui ne cessent de s’accumuler dans les divers médias, l’Afrique est un véritable vivier au point de représenter l'avenir du football à la condition d'avoir les moyens d'organiser sa formation. Présentation du paysage africain et de sa réalité.

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Chassons les idées reçues

L’Afrique est le continent de la jeunesse. La pyramide des âges est même bloquée en mode baby-boom depuis plusieurs années et tous les pays sub-sahariens (ou presque) ont plus de 50 % de leurs population qui ne dépasse pas 25 ans. Nulle part ailleurs dans le monde, nous ne retrouvons de telles statistiques démographiques. Comme une évidence que c’est entre Tanger et Le Cap de Bonne-Espérance que se dessinera l’avenir footballistique de notre planète. José Anigo, qui parcourt le continent africain depuis 2 ans, est même persuadé que l’Afrique aura bientôt un nouveau Ballon d’Or (le seul et dernier en date étant le Libérien George Weah en 1995) : « Aujourd’hui, en Afrique, on trouve des gamins tout neufs, pas encore formatés ou fabriqués. On va leur trouver des défauts, mais cette fraîcheur qu’ils apportent en Europe ne peut provenir que de l’Afrique. »

Pour lire cet article, il faut impérativement sortir des clichés qui ont la vie dure. Finissons-en d’abord avec cette habitude grossière et stupide de pointer l’Afrique comme un pays, car il y en a 54, et tous avec des caractéristiques singulières, les exemples qui suivent l’illustreront en partie. Finissons-en aussi avec le « joueur typique africain » cher à Willy Sagnol, mais que l’on ressort dès qu’arrive une CAN ou qu’il y a une confrontation contre une équipe africaine.... « Physique, physique, physique... » Ce n’est pas parce que nos recruteurs français ont basé leurs recherches sur des critères principalement physiques, et que l’on est habitué à recruter du mastodonte à la chaîne, que c’est une norme du football africain. D’ailleurs, il n’y a qu’à regarder le profil des africains qui émergent dans les équipes de jeunes espagnoles pour avoir la preuve du contraire. Et comme par hasard on a d’avantages affaire à des profils, vifs, rapide et très techniques (coucou la formation française, on n’aime pas Antoine Griezman ?!). De toute façon, il est évident qu’à l’échelle d’un continent, on peut rencontrer toutes les morphologies et toutes les caractéristiques, surtout avec un vivier aussi important de pratiquants. Tout dépendra alors des caractéristiques recherchées par les recruteurs...

Du mètre 90 de Stoppila Sunzu au mètre 65 du capitaine Rainford Kalaba crédit : K. Desouki 

Parfois les parents encouragent leurs progénitures, conscient que le football peut être un tremplin vers une nouvelle vie, mais c’est loin d’être fréquent. Et contrairement aux préjugés qui circulent, c’est plutôt l’enfant qui doit faire le forcing auprès de ses parents pour privilégier le sport à l’école. Si il réussira, bien sûr qu’il contribuera à aider sa famille au sens large, mais c’est un fait culturel qui concerne aussi les migrants qui travaillent au service de la propreté de la ville de Paris. Finis donc le poids de la survie du village qui repose sur les épaules du joueur... C’est une réalité culturelle qui ne perturbera pas sa progression, car c’est d’avantages une fierté qu’un devoir ! 

Le Noble art

En Afrique sub-saharienne, le football est le sport de prédilection de 7 à 77 ans. Le sport-roi est même une institution. Il n’est pas perçu comme un sport de « beaufs » ou de hooligans, comme dans les contrées occidentales, latines, et  méditerranéennes. Au contraire, il est un sport populaire et noble pratiqué et adoré par les hommes les plus pauvres et les plus riches. Accessible à tous, il reste le jeu de base à disposition des jeunes garçons, et il est à l’origine des premiers rêves de gloire et de réussite. Le football est même devenu avec la mondialisation (et l’explosion de la diffusion de ses images) l’un des rares ascenseurs social qui évite de passer par la case des longues et couteuses études et de la recherche d’emploi aléatoire qui en découle. Cette médiatisation sans aucun égal, permet même de mettre l’Europe à ses pieds lors d’un jour de gloire, une revanche sur l’histoire... Ajouté à un milieu culturel et artistique qui est encore loin du niveau de développement du football, difficile de trouver un concurrent à la hauteur de ce sport universel.

Quand il y a de l’espace il y a match crédit : PM Gosselin

The future in formation

C’est dans ce contexte que l’on retrouve dans chaque pays des milliers d’apprentis footballeurs qui font tout leur possible pour pouvoir percer au haut niveau en suivant une formation intensive dès leur plus jeune âge. Grâce à leur talent, les meilleurs sont orientés ou recrutés par des académies qui ont pour mission de façonner des pépites et de leurs permettent de vivre du football, au moins localement, mais surtout à l’étranger. La plupart du temps gratuite ou abordables, les formations en académies demandent d’importants sacrifices pour des enfants et des adolescents qui s’entraînent quotidiennement dans des conditions aussi bien structurelles que climatique pas toujours favorables.

Ils viennent de la campagne, de la ville, et même de l’étranger pour postuler à une des rares opportunités qui se présenteront à eux durant les années d’apprentissage. Cette mixité sociale et culturelle constitue une grande richesse pour le football en Afrique qui ne s’est jamais attaché à une case ou une catégorie sociale. En plus, chaque gamin a commencé dans les mêmes conditions, car le terrain des grands ça se mérite, ça ne s’achète pas ! Et même si changer d’âge n’est pas un problème, ce n’est pas aux vieux singes que l’on apprend à faire des grimaces ! Malgré leurs différences, les jeunes se soudent très facilement. Peu importe qui on est ou d’où on vient, on devient frère de ballon, on partage beaucoup de temps ensemble et les équipes deviennent de véritables familles. Bien sûr, c’est une évidence et une banalité liée aux sports collectifs, mais comme il s’agit de l’unique famille pour certains joueurs, cela apporte un supplément d’âme incontestable qui permettra à chacun de ressortir grandi de sa formation, quel qu’en soit le résultat. Au final, le football dans une académie devient une école de la vie pour chacun des enfants qui y prendra part.... Cela ne compensera jamais le savoir scolaire, mais restera comme une base solide pour se construire humainement.

Business is business

Malgré ce constat éloquent sur la ferveur et le nombre de pratiquants, l’organisation de la pratique pour les jeunes est déficitaire, pour ne pas dire inexistante. En l’absence d’un système fédéral pyramidal implanté dans toutes les régions avec de nombreux clubs comme en France, ou d’un championnat scolaire effectif et structuré comme dans les pays anglo-saxons, le football est à disposition des promoteurs, des hommes d’affaires, et de tous ceux qui ont envie de s’en mêler...  Et ils sont nombreux à miser sur l’argent du football et un de ses business les plus accessibles : la formation. Car avec un vivier de joueur aussi important, il y a de la place pour beaucoup de monde, et dans tous les pays. Diriger un centre de formation, ne demande pas de compétences particulières, si ce n’est la capacité à rédiger des statuts qui correspondent au cadre très strict du ministère des Sports concerné. La palette de moyens nécessaires est très large, sachant que 1 ballon est la mise de départ minimale. Quels que soient leurs investissements, les académies s’évertuent à permettre la transformation de ces enfants en footballeur apte à traverser les océans et rejoindre le marché mondial des joueurs et de ses transferts.

Il suffit d’un joueur de classe mondiale, comme Adebayor, Eto’o, Gervinho, Yaya Touré, M’Bokani... Il suffit d’une pépite pour changer la destinée du président, et de ses moyens... Il suffit de... La probabilité est semblable à celle d’un orpailleur au milieu de sa rivière, mais encore faut-il être en mesure de permettre à l’enfant de s’épanouir et de se développer. Petit tour d’Afrique des différents modèles existants.

CEFES du Bénin à l’entrainement Crédit : JP Hem

Du marketing aux lions indomptables, les brasseries du Cameroun en précurseur

Rendre cette émergence possible est devenu un marché juteux autant en termes d’image et de notoriété, que de ses retombées économiques hypothétiques. Des arguments suffisants pour que des entreprises privées locales et étrangères investissent dans ce domaine. C’est le cas au Cameroun depuis la fin des années 80 où les brasseries nationales, propriété du groupe Bordelais CASTEL, investissent dans le football depuis 1989. L’école de foot des Brasseries est créée à Douala. Des pionniers sur le continent. En guise de détection, ils organisent la « coupe top » (la marque d’une boisson sucrée) dans les 10 régions du pays chaque année au moment des grandes vacances.

Son poids en boisson ? crédit : AIC-hf

Au départ, les Brasseries l’ont probablement fait avec beaucoup de philanthropie, en voulant appuyer son soutien à la jeunesse par le football. Mais le coup marketing est un chef d’œuvre de réussite. La « coupe Top » a marqué toutes les générations de gamins camerounais. Tous ou presque ont tenté d’y participer !

Au final, ce tournoi immense fait office de détection à l’échelle nationale. La grande finale dans la capitale camerounaise permet à l’école de foot de recruter les meilleurs des meilleurs. Si certains sont peut-être passés entre les mailles du filet à cause d’un jour sans, ou autre, il suffit de regarder les noms des anciens pensionnaires du centre pour se convaincre que cette vaste détection a permis au Cameroun de bénéficier de plusieurs générations de footballeurs, préformés dans de bonnes conditions, et programmée pour réussir (pêle-mêle (liste non exhaustive)  : Samuel Eto’o, Rigobert Song, Salomon Olembe, Geremi Njitap, Vincent Aboubakar, Clinton N’Jie...). Chaque enfant s’est forgé son souvenir d’apprenti footballeur grâce aux brasseries. Et vous verrez que pour beaucoup, il reste encore gravé aujourd’hui. Cela a apporté une notoriété positive pour le groupe français qui restera indissociable de la réussite du football camerounais et de son développement, et il faut le souligner, car les Lions indomptables ont pendant longtemps été une référence sur le continent.

Malgré cette réussite, le football n’est pas beaucoup utilisé par les multinationales qui auraient pourtant bien besoin de sa visibilité positive auprès de la jeunesse. (En cette fin de mois de Juillet 2016, TOTAL vient de devenir partenaire principal de la CAF, et donnera son nom aux compétitions officielles. L’investissement du pétrolier doit être colossal et on sera très loin des retombées du coup de génie des brasseries).

La révolution Jean-Marc Guillou

En 1993, l’ancien joueur, entraineur, et même dirigeant de club français, Jean-Marc Guillou, à l’idée brillante d’associer un club historique de Côtes d’Ivoire, l‘ASEC Mimosas d’Abidjan au groupe industriel SIFCOM. Il crée l’académie Mimosifcom et son projet de formation ambitieux. Il fait construire des infrastructures qui n’ont rien à envier à un club européen à Sol Béni, en banlieue de la capitale Ivoirienne. Plus de 20 ans après, ces installations sont encore « la » référence en Afrique Francophone.

 Vue des chambres d’hôtel de Sol Béni

A l’image des Brasserie du Cameroun, JMG a basé son projet sur une détection de plusieurs milliers d’enfants. Il les a fait s’entraîner selon un programme inédit, avec de nombreuses particularités, comme le fait de jouer pieds nus et sans gardien. Cela a permis de développer un potentiel immense chez certains académiciens: Kolo et Yaya Touré, Gervinho, Aruna Dindane, Baky Koné, Emmanuel Eboué, les frêres Kalou, etc... La filière avait été poussée à son paroxysme avec la prise de participation de JMG dans le club belge de Beveren en 2002. Dans un schmilblick avec Arsenal comme financeur. Cela a permis aux académiciens une transition en douceur vers l’Europe et une vitrine pour se montrer aux clubs plus huppés du continent, notamment grâce à la participation à une coupe d’Europe. Sur le papier, l’idée est lumineuse, mais elle a contribué à précipiter la fin de cette belle collaboration avec l’ASEC Mimosas. Les enjeux financiers sont devenus probablement trop importants pour que tout le monde travaille sereinement. 10 après sa création, l’affaire se finira devant le tribunal d’Abidjan entre l’ASEC et Jean-Marc Guillou. L’académie continue sous le nom de son inventeur, mais même si d’autres jeunes sont sortis, jamais ils n’effleureront la réussite des premières promotions. 2006 marque la fin de l’aventure, il n’y a plus d’Ivoirien à Beveren, et Guillou est persona non grata à Abidjan.

Les éléphants de Beveren

Cette aventure fut une réussite extraordinaire avec en consécration le mondial de 2006 en Allemagne, où pas moins de 80% des ivoiriens qui y ont participé étaient issus de ce programme de formation. La médiatisation qui a été faite autour de la réussite ce projet fou a été déterminante, puisqu’elle a donné des idées à beaucoup de monde. Des milliers de petits centres sont apparus par la suite en Côtes d’Ivoire, avec il faut le rappeler une mise minimale d’un ballon !  Cette multiplication des académies ne permet plus d’effectuer d’aussi large détection. D’ailleurs, il est probable que le prochain Yaya Touré et autre Gervinho s’est déjà perdu dans une académie qui ne lui a pas offert les conditions d’éducations et de formation suffisante pour qu’il puisse percer au haut niveau. JMG a multiplié les académies aux quatre coins du monde selon le même principe, mais pour lui aussi, il est impossible de reproduire le miracle de Sol Béni. Il se murmure qu'un retour de JMG pourrait se faire auprès de la fédération Ivoirienne de football.

La rançon de la gloire

Ce constat de prolifération est valable pour toute l’Afrique de l’Ouest de Dakar à Abidjan, en passant par Bamako et Cotonou. D’autres pays misent sur un centre de formation national, à l’image de Clairfontaine. Comme à Brazzaville avec le CNFF crée en 2005. Cela permet de centraliser les forces et les compétences. Un choix payant pour le pays des Diables rouges qui ne cessent de progresser, que ce soit au niveau des clubs (Léopards de Dolisie) ou de la sélection (1/4 de la CAN en 2015). Pour les plus curieux, ce centre est le fruit de la collaboration entre l’ancien président fantasque de l’AJA Gérard Bourgoin et son ami le président du Congo Denis Sassou-Nguesso. La Françafrique du football.

L’assemblage de ces facteurs contribue à la redistribution des cartes dans les compétitions internationales et à l’émergence des petites nations de ballon (Malawi, Cap-Vert, Kenya, Bostwana, Ouganda, etc...). À côté de ça, dans d’autre zone du continent,  certain pays n’ont pratiquement pas d’académie (Tchad, Tanzanie, etc...). Ce sont les équipes de quartier et les tournois qu’elles s’organisent qui font office de club et de championnat. Les jeunes se forment comme ça avant de rejoindre les clubs « pro », et leurs équipes réserves.

Un héritier en RDC ?

Il y a 4 ans, le TP Mazembe, dirigé par le néo-ex-candidat à l’élection présidentielle de la République Démocratique du Congo (difficile à savoir dans un contexte aussi compliqué), Moïse Katumbi, a lancé son académie : La Katumbi Football Académie (KFA). Elle est dirigée par Régis Laguesse, un ancien collaborateur de Jean-Marc Guillou à Abidjan. Les conditions sont un peu similaires à celles du bord de la Lagune Abidjanaise : un très important vivier de joueurs, des infrastructures, des moyens, du temps, et une méthode qui a déjà fait ses preuves. Il y a à Lubumbashi, dans le sud du Congo, des conditions idéales pour former les nouvelles générations de Léopards, qui deviendront dans les années à venir devenir la meilleure sélection du continent. Je suis prêt à prendre les paris !

Détection pour la première promotion de la KFA crédit : TP Mazembe

Un véritable parcours du combattant

Hormis les références citées au-dessus et quelques autres exceptions, dont les académies soutenues par des clubs européens (ex : Dimension Foot et le FC Metz au Sénégal / WAFA et le Feyenoord au Ghana) ou d’anciens joueurs (Samuel Eto’o au Gabon, Diambars de Viera, Lama et Adjovi-bocco au Sénégal et Afrique du Sud), le tableau de la formation africaine se fait loin des regards, presque dans l’anonymat, avec très peu d’infrastructures. Il faut bricoler et se débrouiller avec ses moyens. C’est une réalité, la normalité n’est pas aux complexes permettant le sport/étude. On retrouve plutôt des académies qui se concentrent sur le football, même si parfois des partenariats sont faits avec des écoles. Les entraînements et matchs se font sur des terrains publics, aux qualités extrêmement variables, et souvent dans les pires créneaux horaires, puisque le matin ce sont les « pros » de première, deuxième qui jouent, et le soir la nuit tombe très vite.  

Les joueurs de l’académie de Soulé Djissa crédit photo : académie Soulé Djissa

Les optimistes sont convaincus que les infrastructures sont appelées à évoluer avec le temps. Seulement le compte à rebours semble relancé à chaque remaniement ministériel. Il y aura bien un jour où cela évoluera. En attendant à de rares exceptions, il faut se contenter de ces terrains précaires. Si des enfants ou parents lisent cet article, voici un petit conseil pour choisir un centre : connaître le président. Un bon président est l’élément déterminant... Car au final, la volonté du dirigeant et son investissement feront toujours le jour et la nuit de la vie de ces jeunes. Pour juger, ses motivations sont déterminantes : argent, philanthropie, ambitions politiques, passion du football... Bien sûr, rien n’empêche qu’elles se croisent. Mais la formation est l’affaire d’au minimum 6 ans pour une génération... . Mieux vaut se retrouver avec un passionné, qu’avec un intéressé. Démonstration avec l’ABI Sport FC du Bénin, une histoire singulière.

La récompense de la persévérance

Pour mettre des noms et des visages sur ces millions d’apprentis footballeurs, nous allons nous pencher sur le parcours de 3 jeunes qui ont largement entamé leurs quotas de sacrifices pour réaliser leurs rêves. L’exemple d’un parcours qui devrait être unique, mais que probablement beaucoup trop de jeunes africains connaissent.

Simon, Guizo et Brice prennent la pause 

Nous sommes en fin d'année 2012, ils s’appellent Simon, Guizo et Brice. Ils ont quitté leur Côtes d’Ivoire natale convaincus par un coach qu’en faisant 850 kilomètres pour rejoindre le centre de formation Sport-étude du CIFAS à Cotonou, ils auront plus de chance de faire carrière. Malheureusement pour eux, à peine arrivés au Bénin, un premier défi, immense, se présente à eux, car le promoteur du centre, Sébastien Adjavon, a décidé de mettre fin à l’aventure de manière brutale et prématurée suite à un désaccord avec le président de la fédération Béninoise de Football. On est seulement au mois de juillet, et les trois adolescents se trouvent livrés à eux-mêmes dans une ville et un pays qu’ils ne connaissent pas. Ils s’installent à plusieurs dans une pièce et sont obligés de se débrouiller pour survivre. Solidaires et soudés, ils s’entraident et se transmettent les forces pour résister aux événements. Chaque jour, ils essaient de trouver une alternative, sous peine de rentrer au pays et de devoir démarrer une vie loin du football. Ils sillonnent les clubs du quartier à la recherche d’une opportunité, même si ils savent très bien qu’ils ne retrouveront jamais les conditions qu’on leur avait promises avant de quitter la Côtes d’Ivoire. Dans un premier temps, ils renforcent l’équipe d’un collège, mais sans conviction. De toute façon difficile d’être performant sur le terrain quand on n’est pas à 100% moralement. Simon, le plus jeune, est le premier à se décourager. Il est prêt à prendre le bus pour Abidjan, mais les deux autres le poussent à s’accrocher. Simon n’a que 13 ans. Difficile de se projeter dans ses pensées tant l’épreuve doit être difficile. Car malgré un talent certain qui saute aux yeux de tous, les expériences se multiplient sans jamais s’inscrire dans la durée, jusqu’à ce que, 1 an plus tard, enfin le destin décide de leur sourire pour de bon.

Alors qu’ils s’entretiennent au stade un soir d’été 2013, les trois gamins et leur équipe sont pris à partie par Didier Sourou, un jeune actif Béninois, passionné de football. Il se demande pourquoi ces jeunes sont tout le temps au terrain et surtout comment ils vivent à côté. Car ils n’ont pas le profil des enfants qui traînent au stade René Pleven à Cotonou, ni de ceux qui rentrent le soir à la maison. Des joueurs talentueux, un potentiel président avec quelques moyens, et voilà le début de l’aventure du centre ABI Sport FC en octobre 2013.

Un jeune coach,Médard GBEDESSIN DEMEDEROS, est recruté et le travail peu commencer. L’équipe est complétée par d’autres jeunes du quartier. Simon reste le plus jeune et probablement le plus talentueux, mais il ne parvient pas à s’imposer dans l’équipe. « Spaghetti », comme le surnomment ses coéquipiers, est victime permanente de ses adversaires qui le dominent trop facilement. Brice et Guizo, plus âgés et plus matures physiquement, s’imposent comme des cadres de l’équipe, le premier se positionne au cœur du jeu tandis que l’autre stabilise la défense. Les joueurs qui en ont besoin vivent dans une maison mise à leur disposition par le président, qui fait office de base vie. Ce qui est le cas de nos ivoiriens, qui retrouvent des conditions dignes après des années de galères. Au fil du temps, le président leur ouvre même les portes de sa maison qu’ils ne quitteront plus. Ils retrouvent une structure familiale qui leur permet de retrouver leurs repères. La base de la réussite. Deux années passent avec des entrainements quasi quotidiens. Les résultats commencent à venir. En l’absence de championnat pour les équipes de jeunes, ABI Sport répond à chaque opportunité et sert même de sparring partner à des équipes de première division béninoise. Ils laissent une sacrée impression, car les enfants tiennent tête aux « pros ». Simon a réussi à "muscler son jeu" et s’impose petit à petit comme un fer de lance de l’attaque de l’équipe. Guizo commence à faire face aux blessures, et Brice prend le plus de plaisir à vivre au sein de sa nouvelle famille d’adoption.

La saison 2015/2016 sera donc celle de la confirmation pour l’académie avec de nombreuses victoires lors des tournois organisés, aussi bien par le ministère des sports, que par des promoteurs indépendants. Les résultats encouragent tout le monde à travailler et le président s’est débrouillé pour qu’on mette à disposition de son équipe un terrain synthétique. L’ironie du destin, fait que c’est sur un terrain de l’ancien centre du CIFAS, que s’épanouissent aujourd’hui les joueurs d’ABI Sport (souvenez-vous, c’était le centre où devaient jouer les 3 garçons qui a fermé juste au moment de leur arrivée). Un retour à la case départ ? Non, car depuis les jeunes ont bien grandi ! 4 ans, ça fait une grande différence ! Ce terrain synthétique permet même aux joueurs de franchir un nouveau palier. Grâce aux meilleures conditions d’entrainement, ils font progresser à une vitesse phénoménale leur style de jeu offensif basé sur la possession de balle. Un système de jeu dans lequel s’épanouissent pleinement Brice et Simon.  

Simon profite du Synthétique pour assurer son cotrôle : ABI Sport

Toujours installé au poste de n°10, Brice essai de répondre aux exigences de son coach. L’âge avance et il sait que les opportunités de se faire repérer par un recruteur deviendront rares. Il a pris du volume physique, et a surtout perfectionné sa vision du jeu. S’il est quasiment déjà acté qu’il aura sa place en première division béninoise, il avait quitté son pays avec l’espoir de rejoindre un jour l’Europe. Ce ne sera pas facile, mais il ne lâchera jamais l’affaire.

De la rue à la TV en mondovision

En Avril 2016, ABI Sport était un des représentants béninois au Tournoi International des Centres de Formation de Cotonou (TIC2F) organisé au stade Matthieu Kerekou, l’enceinte la sélection nationale. Vainqueur du tournoi, l’équipe du président Didier Sourou a même permis au public béninois de se réconcilier avec le football. Car avec un jeu spectaculaire par intermittence (on ne peut décemment pas demander à des enfants de jouer 90 minutes comme le Barça !), ils ont battu des équipes burkinabaise, ghanéene, camerounaise, togolaise et nigériane. L’engouement autour du tournoi a incité la chaine TV nationale, l’ORTB, à retransmettre la finale en direct, privilège réservé très rarement aux professionnels. Plutôt comme l’équipe nationale donc. Une première pour le pays, et une grande première pour l’ensemble des joueurs de l’équipe. Une sorte de consécration, ou plutôt un aperçu de ce qui peut les attendre à l’avenir.

Ce tournoi aura permis à Simon de se mettre dans la lumière. Grâce à une performance marquante par ses dribles et son efficacité, il a suscité l’attente du public qui se mettait à ronronner à chacune de ses touches de balle. Star des phases de poule, il a été cadenassé en demi-finale et en finale par les défenseurs adverses qui ne lui laissaient pas le moindre centimètre pour s’exprimer. En trois jours, il est passé du rire aux larmes. Il a compris que rien n’est acquis dans le football. Mais comme ABI Sport est une famille, ses coéquipiers ont été en mesure d’élever leur niveau de jeu pour compenser sa baisse de régime. Notamment Brice qui a connu la trajectoire inverse, en devenant un joueur clé lors de la phase finale. Guizo lui était encore gêné par les blessures, et il n’a pas pu se montrer pendant le tournoi, mais il n’a pas manqué d’être le supporteur n°1 de son équipe et de porter toute l’assistance nécessaire au staff. Le football reste une affaire d’équipe. Et il suffit de voir la joie du groupe à la fin pour comprendre qu’il n’y a pas besoin d’être le MVP pour savourer la victoire !

Guizo fête la victoire trophée à la main credit : ABI Sport

Conscient du chemin parcouru, les joueurs ont tenu à ramener le trophée à la maison de Didier Sourou et de ses parents. Car c’est avant tout une histoire de famille, et ils savent très bien que c’est grâce à eux. Cette victoire aux allures de Champion’s League pour l’académie ne pouvait pas être fêté dans un autre endroit. José Anigo, présent dans les tribunes au compte de ses activités de recruteurs pour l’OM, a bien compris qu’il y avait là quelque chose d’intéressant et des joueurs à suivre. 

Mais la route est encore longue pour Simon. On ne peut plus quitter le continent avant la majorité. Il lui reste encore deux ans pour travailler son physique et sa technique. Apprendre à défendre aussi... Bref, continuer sa formation tout simplement. Pour Brice et Guizo, la situation va devenir délicate. Ils ne pourront plus participer aux tournois de jeunes. Ils ont déjà dépassé la majorité. Couper leurs âges pour se donner encore de l’espoir ? Oui et non. Oui, car d’un côté les recruteurs regardent l’âge comme une sacro-sainte garantie de revente. Et non, car on peut réussir une grande carrière même en quittant le continent sur le tard. Demandez donc l’avis de Coco Suaudeau sur Japhet N’Doram qui a quitté le Cameroun la vingtaine largement entamée…

Quelque soit leur choix, l'avenir leur appartient...

ils en sont conscients.. ils ont tout les deux commencé à entrainer les catégories les plus jeunes du centre.

Vous pouvez suivre le parcours de Simon, Brice et Guizo via la page Facebook d’ABI Sport FC. Vous pouvez aussi les aider car le centre a besoin d’un bus pour grandir et participer à des tournois dans la sous-région africaine.

 

Par PM Gosselin un peu partout en Afrique...

Photo une : ABI Sport

Pierre-Marie Gosselin
Pierre-Marie Gosselin
Amoureux du football et de ses tribunes, supporter inconditionnel des Girondins de Bordeaux et de ses ultramarines, je me suis pris d’une affection toute particulière pour le football africain. Là-bas le foot a pris le nom de « sport roi », et c’est un euphémisme tant il étend son royaume au-delà des ethnies, des classes sociales, des générations et des genres.