La nouvelle est tombée ce week-end : la Liga MX ferme son accès et devient une sorte de MLS sauce mexicaine. Une décision radicale pensée pour « sauver l’avenir », mais qui provoque bien des remous.

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Quelques jours auparavant, les rumeurs commençaient à enfler : l’Ascenso MX, la deuxième division mexicaine, allait s’éteindre. Certains ne voulaient/pouvaient y croire, mais l’affaire est devenue réelle ce vendredi lorsqu’Enrique Bonilla, président de la Liga MX, a donné une conférence de presse à l’issue de la réunion organisée avec les propriétaires de clubs. Adieu à l’Ascenso, place désormais à la Liga de Desarollo.

Ligue fermée et pépinière

« La période que nous traversons nous oblige à prendre des décisions pour le futur de notre football. Au début de la semaine, nous nous sommes réunis afin de déterminer, en accord avec tous les clubs, quel serait l’horizon de la ligue et la manière de fortifier les institutions ». C’est en partant de ce constat qu’Enrique Bonilla a ainsi expliqué les raisonnements qui ont conduit à la décision prise. Le président de la Liga MX a rappelé les difficultés financières traversées par les clubs de la deuxième division locale, difficultés renforcées par la crise de la pandémie liée au coronavirus. C’est ainsi qu’en « cherchant à consolider les projets stables qui offrent des certitudes aux investisseurs des ligues », que la décision prise a été d’une part de mettre fin au Clausura 2020 de la Liga de Ascenso, sans couronner de champion, mais surtout, de mettre fin à la Liga de Ascenso MX pour les cinq prochaines saisons. Autrement dit, pour les cinq prochaines saisons, il n’y aura plus d’accessions et de relégation en Liga MX qui devient une ligue fermée, prenant ainsi modèle sur la MLS voisine et concurrente.

L’argument est donc économique, Bonilla ne l’a pas caché : « ces dernières saisons, ce championnat vu ses entrées d’argent diminuer, que ce soit les droits télé comme les sponsors, les recettes des buvettes », tout en évoquant la crise financière traversée par le Mexique, « plusieurs projets actuels se retrouvent au bord de la faillite, avec le risque de disparaître faute de ressources et avec la nécessité de couvrir un déficit financier pour les clubs d’en moyenne de plus de 25M de pesos ». Les clubs avaient réclamé l’utilisation du fonds prévu en ce sens, ce à quoi Bonilla avait répondu par l’impossibilité de s’en servir au motif que les fonds n’étaient pas suffisants. Il a été décidé de partager 60M de pesos entre les 12 clubs de l’Ascenso, mais leur fonctionnement va donc désormais devoir être différent avec la disparition de ce championnat, de ses perspectives d’accès à la Liga MX mais surtout de son nouveau rôle. Car si l’Ascenso MX disparaît, c’est pour donner naissance à une nouvelle ligue, la Liga de Desarollo, la ligue de développement en français. Autrement dit, elle servira de ligue de formation et si l’on n’en connait pas encore son format, elle sera donc réservée aux jeunes qui ne pourront plus bénéficier de la règle dite du 20/11 en Liga MX. Une règle qui impose un quota de minutes aux joueurs de moins de 20 ans et 11 mois au cours d’un tournoi de première division. Autant dire que le risque de voir les jeunes disparaître de la Liga MX au profit de joueurs plus âgés voire étrangers recrutés grâce à de nouvelles entrées d’argents générées par une ligue fermée et des sponsors qui quittent l’Ascenso, est grand.

Joueurs contre propriétaires

« Celui qui paye est le footballeur. Ils ont oublié le facteur humain. On comprend la problématique du modèle économique, on comprend la situation, il y a des sponsors qui vont s’en aller, on sait aujourd’hui qu’il va falloir restructurer mais il me semblait que le moment était celui de l’union, de la solidarité, d’avancer ensemble. Cette position est économique et non sportive. Donc humaine. Et comme toujours, l’humain n’a pas été pris en compte. Malgré nos pétitions, malgré nos propositions, notre parole n’a pas été prise en compte. Mais la réalité est qu’aujourd’hui, on paye ces générations de footballeurs merdiques. Cela me rend triste de voir que nombre d’entre eux travaillent dans des médias de communication, expliquent que l’association n’est pas unie, qu’elle ne soutient pas les joueurs de Primera, parlent de la sélection, quand tout le monde a aidé d’une manière ou d’une autre. J’aimerai voir ces générations merdiques des années 60 et 70. Les nouvelles générations payent le fait que nous ne sommes nés qu’il y a trois ans. Ces générations d’anciens footballeurs n’ont jamais voulu former de syndicat, c’est une honte, et c’est ce que nous payons. Si nous avions eu un syndicat plus tôt, ce type de choses n’arriveraient pas » a ainsi déclaré Álvaro Ortiz, président de la Asociación Mexicana de Futbolistas, le syndicat des joueurs, à ESPN. Il s’en prend ainsi aux anciens footballeurs locaux qui n’avaient voulu former un syndicat de joueurs, notamment à l’époque où lui était sur le terrain. Si elle sonne comme un règlement de compte, cette colère appelle aussi les joueurs à se révolter, à continuer s’exprimer. Elle pointe ainsi un schisme qui semble n’en finit plus de se créer entre les joueurs et les propriétaires (des clubs de Liga MX essentiellement). Un schisme déjà entrevu lors de la crise des Tiburones Rojos de Veracruz. Un mouvement solidaire s’est créé parmi les acteurs principaux du football mexicain, les joueurs. Comme l’indiquait Roberto Nurse sur son compte Twitter, « la guerre n’est pas encore perdue, il y a encore de l’espoir ». Le hashtag #SinAscensoNoHayDesarrollo (« sans montée il n’y a pas de développement ») est repris sur Twitter par des joueurs actuels ou passés, impliquant même certains joueurs vedette du championnat.

Tigres-Tiburones : la face cachée du football mexicain

Une unité qui n’est pas aussi si forte chez les propriétaires. Premièrement, l’unanimité n’a pas été obtenue lors de cette décision : dix équipes ont voté pour, huit contre (les deux clubs de Monterrey, Chivas, Pachuca, Pumas, Cruz Azul, Necaxa et León). Deuxièmement, car elle va désormais opposer non seulement certains clubs de l’élite suite à cette décision, mais aussi et surtout deux types de clubs : ceux de Liga MX et les autres. En Liga de Ascenso, certains clubs s’accommodent de la situation, comme les Dorados, détenus par Grupo Caliente (comme Querétaro et Tijuana, deux clubs de Liga MX ayant voté pour la fin de l’Ascenso), d’autres montrent les crocs. Alberto Castellanos, président des Leones Negros demande à ce que la saison actuelle se termine afin d’aller déterminer les dernières montées et relégation avant la réforme. Rodolfo Rosas, président des Venados a publié un communiqué dans lequel il rappelle l’immensité des investissements effectués afin de poursuivre le rêve de parvenir à la Liga MX, mais aussi à quel point cet espoir est un moteur sportif.

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Quel avenir ?

Reste désormais la grande question : que va-t-il advenir du football mexicain ? Du côté des joueurs, ceux évoluant jusqu’ici en Liga de Ascenso ne savent pas encore de quoi sera fait leur futur, s’il pourra se réaliser au Mexique ou s’il faudra migrer. Nombreux sont ceux à attendre les décisions officielles pour s’exprimer plus librement. Le projet de nouvelle ligue n’est pas encore défini, même si les dernières rumeurs font état d’une ligue à vingt clubs avec une règle stricte concernant les joueurs qui veut qu’un maximum de huit joueurs de plus de 23 ans figurent dans l’effectif avec un âge maximum de 27, quand trois étrangers de moins de 20 ans seront acceptés. Une règlementation stricte qui va laisser un grand nombre de joueurs sur le carreau. Une situation compliquée, comme l’explique Jesús Henestrosa, récente recrue des Alebrijes de Oaxaca vainqueur de l’Apertura 2019 (et donc en lice pour monter en Liga MX) alors qu’il venait de traverser un 2019 encore plus compliqué à Veracruz : « je pense que c’est une mauvaise décision parce que malheureusement de nombreux joueurs locaux et étrangers de plus de 23 ans sont laissés pour compte. Quand j’avais fait le choix d’aller à Veracruz, c’était pour accomplir le rêve de jouer en première division, pas pour le salaire ». Un rêve qui s’envole désormais pour nombre de joueurs.

Côté clubs, au-delà de la question de la future deuxième division, qui sportivement n’en aura que le nom, on ne sait pas encore si les clubs qui la composait jusqu’ici pourront ou voudront disputer la prochaine sans aucune perspective sportive autre que de donner du temps de jeu aux jeunes. Car si le format actuel est forcément imparfait et les petites combines permettant de se sauver en Liga MX nombreuses, la possibilité d’une montée existait et était le moteur de bien des projets, furent-ils solides ou non. Il faudra également trouver un modèle pour faire en sorte d’offrir une visibilité à un tel championnat qui s’apparente à un tournoi de réserves qui ne veut pas en prendre le nom et peinera sans aucun doute à attirer les foules au stade. Se posera aussi le problème de la Copa MX qui va devoir changer de formule. On peut cependant se demander si finalement, l’avenir n’est pas ailleurs, dans un autre schisme.

Fin janvier dernier, le football tricolor avait appris avec surprise la création d’une nouvelle ligue : la Liga de Balompié Mexicano (LBM). Celle-ci se voyait comme une alternative à l’Ascenso ou la Liga MX. À l’époque, l’idée était d’attirer les propriétaires qui avaient vu leur projet rejeté par l’Ascenso. Pour cela, plusieurs règles ont été établies, clairement dans l’idée de lutter contre les dérives de la Liga MX : règles anti-blanchiment d’argent, des effectifs de vingt-huit joueurs maximum, un plafond salarial et un salaire minimal (20k pesos / mois jusqu’à 150k pesos / mois), trois divisions de 20 équipes avec deux montées et deux relégations déterminées par le classement à l’issue de la saison (pas de cocientes donc), un droit d’entrée réduit (2M pesos) et la simple nécessité de montrer pattes blanches, un stade d’au moins 5000 places et présenter des garanties économiques. Le tournoi est prévu pour débuter en septembre 2020, la première division se jouant en une formule aller-retour à l’issue duquel le vainqueur se qualifie pour la Súper Final où il affrontera le vainqueur d’une Liguilla opposant les équipes classées de la deuxième à la cinquième place. Quelques équipes ont jusqu’ici été confirmées, mais il se pourrait désormais qu’elle constitue une voie de sortie pour les clubs et pour les joueurs du feu Ascenso. Président de la LBM, Víctor Montiel a déjà annoncé être en contact avec deux équipes de l’Ascenso et se dit prêt à discuter avec tout nouveau candidat et ouvre également les portes aux joueurs qui désireraient rejoindre sa ligue, expliquant ainsi avait déjà été contacté par certains. Une ouverture confirmée par José María Chema Ramírez López, président des Chapulineros de Oaxaca, l’une des franchises de la future LBM, qui a annoncé qu’il offrirait « l’opportunité à des joueurs de la Liga de Ascenso de venir faire un essai au club ».

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Il apparaît désormais clair que le modèle suivi est celui de la MLS et cette annonce fait resurgir de vieux démons. Alejandro Irarrogorri, propriétaire de Santos Laguna et de l’Atlas via le Grupo Orlegi, a remis sur le tapis l’idée d’une superligue nord-américaine, rappelant qu’un « haut pourcentage des revenus du football mexicain provient des États-Unis » et expliquant à quel point le modèle de la MLS était l’exemple à suivre « leur ligue a grandi, lentement, mais de manière constante que ce soit sur le plan commercial, des infrastructures, de la diffusion et sur le terrain ». Une idée de fusion qui ne manquera donc désormais pas de resurgir, d’autant que depuis l’arrivée d’Enrique Bonilla au pouvoir en août 2015, le football mexicain n’a cessé de se couper du Sud pour se rapprocher du Nord dont il a fait son seul modèle. Sur le terrain, en annonçant ne plus participer à la Copa Libertadores malgré la finale de Tigres en 2015 et au lendemain du quart de finale des Pumas en 2016, en ne prenant pas part aux Copas América 2019 et 2021, préférant prioriser les compétitions du Nord. Dans les coulisses en fermant de plus en plus ses accès à ses divisions – rappelons l’exemple des Cafetaleros de Tapachula qui ne remplissaient pas les conditions requises pour la Liga MX après avoir pourtant décroché leur place sur le terrain. Et désormais en transformant sa première division en MLS, sa deuxième division en une sorte d’USL. Alors que les deux ligues ne cessent de se rapprocher (rappelons la création en 2018 de la Campeones Cup qui oppose vainqueur de la MLS et vainqueur de la Supercopa MX puis de la Leagues Cup en 2019, qui oppose quatre clubs de chaque ligue). La décision prise le week-end dernier par les propriétaires de la Liga MX marque ainsi un tournant historique du football mexicain. Qu’importe qu’elle éjecte des clubs historiques ou écarte des supporters des quatre coins du pays, en se refermant sur elle-même et prenant pour modèle le voisin du nord, la première division mexicaine va donc changer et le football nord-américain pourrait en être fortement impacté.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.