Pendant que l’Europe et l’Amérique du Nord possèdent en leur Nations League des compétitions pour animer leur trêve internationale, l’Amérique du Sud compte sur les traditionnels matchs amicaux pour se préparer à sa prochaine Copa América. Avec des situations bien différentes.

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La Coupe du Monde reléguée au rang de souvenir, même si pour certains les plaies sont encore ouvertes, l’Amérique du Sud se projet déjà sur son prochain grand rendez-vous, la Copa América 2019. Alors que la CONMEBOL a récemment dévoilé la liste des stades qui accueilleront l’évènement majeur de l’année prochaine sur le continent et même si l’on attend encore ne serait-ce de connaître la date du tirage au sort des groupes, l’heure est déjà de se mettre au travail avec, pour tous, la préparation de la future campagne de qualification mondiale qui débutera dans moins d’un an. Et au petit jeu de la course contre la montre certains partent avec déjà un sacré temps d’avance.

Venezuela, Pérou, Brésil, Uruguay : les chantres de la continuité

Parmi les dix représentants sud-américains, quatre ont ainsi fait le choix de la continuité. Premier d’entre eux, le Venezuela avait compris depuis bien longtemps qu’il ne serait pas du rendez-vous russe et avait ainsi rapidement tourné ses regards vers le Qatar en mettant en place son projet pour 2022. Rafael Dudamel s’est installé en avril 2016 et s’est appuyé non seulement sur les stars actuelles du football vénézuélien mais surtout a rapidement incorporé les futurs talents de demain (il a déjà dirigé les u17 entre 2012 et 2013 mais aussi les u20 depuis 2015). Avec des résultats immédiats à l’image du quart de finale décroché lors de la Copa América Centenario et une finale mondiale chez les u20 en 2017. C’est dans ce réservoir qu’il puise pour construire un Venezuela qui veut être outsider dans la campagne de qualification. L’un des éléments clé dans ce processus est le fait que les internationaux s’exportent désormais. Pour les deux rencontres amicales prévues lors de la session d’octobre, seul Luis Mago évolue au pays, les vingt-deux autres joueurs sont tous à l’étranger, treize en Europe, Tomás Rincón endossant, du haut de ses trente ans, le costume d’ancien. Si le choix des adversaires reste parfois discutable (le Venezuela affronte le Pays Basque ce vendredi), la Vinotinto cherche à « potentialiser son collectif », un travail sur le long terme déjà entamé il y a deux ans et qui se poursuit donc.

Le travail a payé du côté du Pérou qui sous Gareca a connu sa première Coupe du Monde au XXIe siècle. Là encore, la route a été longue, elle est passée par un rajeunissement, la mise en place d’une nouvelle méthode de travail, d’une rigueur collectif différente et a surtout été portée par des prestations solides lors de Copa América (troisième en 2015, quart de finaliste en 2016 après avoir sorti le Brésil). La Coupe du Monde ayant été convaincante, le Tigre a donc décidé de poursuivre l’aventure, non sans suspense, et le Pérou peut donc continuer de grandir, de se développer. Cela passe par la réforme du système de détection/formation au pays (à découvrir dans le quatrième magazine de Lucarne Opposée) et par une recherche de « maturité collective » de la sélection qui a déjà fait de la Copa América un réel objectif. Réel objectif également pour le Brésil qui, malgré son élimination plus prématurée que prévu en Russie, a également opté pour la continuité de Tite, qui n’a finalement perdu que deux des vingt-huit matchs qu’il a passés à la tête de la Seleção. Là encore, aucune révolution de prévue, la continuité avec un groupe qui voit ainsi quelques ajouts (à doses homéopathique) et qui n’a qu’un seul réel objectif : sa Copa América de juin prochain.

Que dire enfin du plus beau représentant de la notion de travail sur le long terme : l’Uruguay. Malgré les secousses en coulisse, malgré les conflits larvés notamment entre joueurs et fédération, le Maestro Tabárez a prolongé, le travail va se poursuivre, l’Uruguay ayant pour particularité d’avoir déjà préparé sa transition générationnelle (il suffit de voir le milieu de terrain aligné en Coupe du Monde pour s’en persuader). Tout a été dit sur LO sur la qualité du travail de la Celeste, celui-ci se poursuit encore, l’Uruguay est un navire parfaitement mené qui connait sa destination mais surtout maîtrise le chemin à suivre.

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Chili, Bolivie, Équateur et Paraguay : nouveau cycle

Un chemin que quatre nations vont chercher à trouver, à définir. Premier à avoir initié son nouveau cycle, le double champion des Amérique : le Chili. Après le fracas de l’élimination mondiale, la Roja a nommé Reinaldo Rueda début janvier et a donc déjà entamé son nouveau cycle, le technicien colombien ayant déjà dirigé six parties (deux victoires, trois nuls, une défaite). Cette notion de nouveau cycle se mesure par l’importante revue d’effectif menée par le sélectionneur depuis son arrivée. Quarante-trois joueurs ont ainsi été appelés en sélection cette année et quelques nouveaux ont clairement pris une véritable place dans l’équipe. C’est le cas du duo central Guillermo Maripán – Enzo Rocco qui semble désormais promis à commander la défense rouge, une défense qui certes concède plus de tirs que sous Sampa ou Pizzi mais réduit leur efficacité comme jamais elle ne l’avait fait sous les deux précédents sélectionneurs (il faut près de 10 tirs aux adversaires de la Roja pour convertir en but quand il n’en fallait moins de 8 sous Sampa, à peine plus de 6 sous Pizzi). Cette revue d’effectif se fait au dépens des « anciens » : Claudio Bravo et Marcelo Diaz écartés (même si les polémiques au pays veulent que cette décision soit dictée par Gary Medel et Arturo Vidal), des apparitions réduites pour Medel, Vidal, Alexis et autres Edu Vargas, l’attaquant de Tigres n’étant même pas dans la liste pour les amicaux d’octobre. Rueda donne sa chance à une nouvelle génération, à l’image des « mexicains » Ángelo Sagal et Diego Valdés et cherche encore la formule offensive. Mais le nouveau cycle est véritablement entamé, le nombre de champions 2015 est réduit à sa portion congrue.

Du côté de la Bolivie, la notion de long terme n’est pas une habitude même si la nomination de César Farías en avril dernier, d’abord intérimaire puis définitif, a pour objectif Qatar 2022. Reste que le chantier est immense, le fait que les sélections u17 et u19 seront désormais dirigées par Sixto Vizuete, et l’ancien coach de la Vinotinto se projette d’abord sur le court terme, la Copa América avec une première mission : redresser une sélection qui n’a plus gagné depuis un an (quatre nuls, quatre défaites). Pour ce projet à huit mois, Farías compte miser sur l’expérience des cadres et des « étrangers » de la sélection. Avec le transfert tout frais de Lampe à Boca Juniors, la colonie est désormais portée à trois joueurs, seul le portier évoluant dans un club de niveau élevé (Marcelo Martins évolue en D2 chinoise, Gilbert Álvarez a rejoint les rangs d’un promu en D1 saoudienne). La Bolivie semble partir de très loin, le chantier est immense. Reste à savoir s’il résistera à la prochaine Copa América.

S’il est un original en Amérique du sud, c’est bien l’Équateur. Pour initier un nouveau cycle après des mois d’immobilisme qui ont même poussé la fédération à ne disputer aucun match amical (aucun match officiel entre la dernière journée des éliminatoires en octobre 2017 et septembre 2018, la Tri n’a donc que deux matchs dans les jambes en 2018), l’Équateur a donc fait le choix de recycler une formule victorieuse en rappelant Hernán Darío Gómez, l’homme qui l’avait emmené à sa première Coupe du Monde. El Bolillo démarre donc son nouveau cycle et a fait le choix de la revue d’effectif à l’heure d’affronter Qatar et Oman. Seulement huit joueurs locaux, de nombreux expatriés, des cadres tels que Felipe Caicedo, Jefferson Montero ou Antonio Valencia absents car l’heure est au passage en revue du réservoir : « je ne vais pas les appeler tout de suite, cette année, l’objectif est de connaître le maximum de joueurs qui pourront alors être utiles l’année prochaine ». L’Équateur est clairement l’illustration de redémarrage à zéro (ou presque). Le chantier est immense, le temps perdu aussi, mais la priorité est fixée à la reconstruction et à la mise en marche de toutes les franges du football local.

Reste enfin celui qui a réussi le plus gros coup de l’année sans jamais faire parler de lui : le Paraguay. Après avoir longtemps fonctionné en vase clos en appelant, virant, rappelant toujours les mêmes entraîneurs, l’Albirroja a décidé de changer de stratégie et a réussi le tour de force d’attirer un homme convoité, Juan Carlos Osorio. L’homme qui a fait grandir le Mexique (lire Mexique : l'héritage de Juan Carlos Osorio) vient donc tenter de relancer un football qui s’était endormi, la faute à sa vie en autarcie. Le matériel, el Profe le possède avec cette génération bourrée de talent, des frères Romero à Miguel Almirón en passant par Antonio Sanabria pour n’en citer que les plus connus. Reste désormais à la façonner. Pour cela, Osorio a fait un choix audacieux : celui de ne disputer aucun match amical en 2018. Au lieu de cela, il a réuni ses trente sélectionnés pour un stage de préparation au pays auquel l’ensemble des entraîneurs en poste actuellement (D1 et D2) sont invités à assister. L’idée, mettre tout le pays en ordre de marche, travailler tactiquement avec sa sélection pour en faire un club. La fin 2018 est donc vue comme une sorte de phase de préparation qu’un club connaît à chaque intersaison. La mise en place tactique a pour but de mener une révolution comme indiqué par l’intéressé en conférence de presse : « historiquement, le football paraguayen a toujours eu comme idée de pratiquer un jeu direct que j’ai salué publiquement, mais je crois qu’il y a d’autres idées de jeu à partager ». Tout un programme donc, qui sera mis en place sans adversaire dans l’immédiat et qui se montre ambitieux sur le papier. Une ambition qui pourrait cependant cacher un côté sombre, celui de la polémique du moment au pays : la question de la continuité d’Osorio. À peine arrivé, celui qui était longtemps envoyé du côté de la Colombie n’est toujours pas certains de rester en terres guaraníes si on en croit les rumeurs alimentées par certains membres de son staff. La dernière en date, que l’absence de matchs amicaux est liée au fait qu’Osorio quittera le Paraguay fin novembre pour rejoindre sa Colombie natale. Une rumeur que le Profe a tenté d’éteindre mais qui reste vivace encore aujourd’hui.

argentineColombie et Argentine : en plein brouillard

Il faut dire que l’incertitude est aussi grande que ce soit en Colombie ou en Argentine. Alors que ces deux sélections arrivent à une étape clé, celle d’une transition à commencer à opérer entre générations, les mois défilent et les fédérations continuent de naviguer à vue, passant leur temps à ne surtout pas prendre la moindre décision. Du côté de la Colombie, tout le monde pensait qu’Osorio serait le nouveau sélectionneur. Faute de proposition, el Profe est parti au Paraguay. Depuis, la liste de nom ne cesse de s’enrichir en même temps que le nombre réel de candidats ne cesse de réduire. On aura ainsi eu droit à des rumeurs Carlos Queiroz, Luis Fernando Suárez, Jorge Sampaoli voire même Zlato Dalic. Le fait est que la Colombie avance donc sans capitaine, Arturo Reyes assurera encore l’intérim même s’il permet de maintenir une certaine continuité avec ce qui avait été assuré sous Pekerman.

Cette continuité n’existe pas en Argentine. Sampaoli jeté avec l’eau du bain, les cadres qui, pour certains ont décidé d’arrêter, pour d’autres ne reviennent pas encore sans que l’on sache quand et si ils reviendront, le brouillard est épais en terres albicelestes. Lionel Scaloni continue de jouer l’homme à tout faire mais il a plus un profil de plombier venu tenté de colmater des fuites que celui d’un maçon décidé à construire un bel édifice (à sa décharge, il n’y a pas non plus d’architecte). Au point qu’à la vue de la composition annoncée pour le match amical face à l’Irak, on se demande quelle peut bien être l’utilité de poursuivre les amicaux, la fédération ayant eu l’idée de génie d’organiser un double Mexique – Argentine en novembre prochain sur trois jours avec un match à San Antonio, l’autre à Buenos Aires. Quant à l’identité du futur chef de chantier ? Là encore, la liste des candidats commence à s’épuiser. Alors que beaucoup voient en l’annonce d’une décision en fin d’année un retour possible de Tata Martino aux commandes, voilà qu’une rumeur récente évoque Javier Mascherano. Il faut dire que finalement, elle serait bien plus de l’ordre du réalisable que les désirs – ou plutôt rêves – des dirigeants (Mauricio Pochettino, Marcelo Gallardo, Diego Simeone). Le fait est qu’à huit mois d’une compétition dont elle est finaliste des deux dernières éditions, l’Argentine ne sait toujours pas où elle veut aller. Les amicaux de cette fin d’année ne devrait pas l’aider à en savoir plus.

 

Pour aller plus loin sur les situations de l'Argentine et de la Colombie

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.