Ils sont onze à s’être mis d’accord. Onze clubs argentins pour une idée commune, celle de créer une nouvelle ligue hors du contrôle de l’AFA.

Qui sont-ils, que veulent-ils ?

L’idée de départ émerge via des clubs comme River, Boca, le Racing et San Lorenzo, soit quatre des cinq grands d’Argentine (Independiente s’opposant au projet, nous allons y revenir). Elle est simple et repose sur ce qui se fait en Europe : afin de gérer eux même leurs droits, ces clubs mettent en place l’idée de créer une Ligue similaire au modèle européen, à savoir gérée par une instance différente de la Fédération. En sortant de l’AFA et donc en créant en quelque sorte leur LFP, les grands veulent ainsi prendre le contrôle de la gestion des sponsors, de la commercialisation des droits télés et aussi veulent bien mettre fin rapidement à ce tournoi à 30 qui ne leur convient plus (rappelons qu’à l’époque Grondona, aucun ne s’y était opposé). Car l’idée repose sur la création d’un nouveau championnat comprenant seulement 20 ou 22 équipes (l’idée originale avait évoqué une ligue à 16 ou 18, une Liguilla à la sauce Mexicaine avait également un temps été évoquée). Le premier obstacle est donc de trouver un moyen de réduire l’élite argentine et a aussi pour conséquence qu’une telle Ligue ne peut démarrer à court terme. L’idée retenue serait ainsi de faire descendre quatre équipes et n’en faire monter que deux. Ajouré à l'épineux problème des droits télés actuellement négociés jusqu'à 2019, une telle ligue ne pourrait donc voir le jour que vers 2020.

L’autre obstacle reste bien évidemment son intérêt. Celui-ci ne pourrait exister que si cette nouvelle ligue permettait de se qualifier pour les compétitions continentales ce qui implique de trouver un accord avec la CONMEBOL et la FIFA. L'autre nouveauté concernerait le système des relégation/promotion puisque le vieux système du promedio pourrait être abandonné contre un système à l'européenne plus classique. La saison débuterait au mois d'août et se terminerait en juin avec un calendrier fixé dès le début de saison, ce qui devrait ravir Gabriel Batistuta (lire son interview). 

Quel rôle aurait donc l’AFA dans tout cela ? Minime. La volonté est réellement de se séparer d’elle, pour preuve, sur les entrées d’argent générées, l’AFA n’en toucherait ainsi que 10%, 10 autres allant à la Primera B, laissant ainsi 80% aux clubs de Primera A. L’AFA n’aurait alors plus qu’un simple rôle dans la nomination des arbitres et la gestion des sanctions. Tous les autres aspects, à commencer par le calendrier donc, seraient alors décidés par une nouvelle instance qui gèrerait cette Súperliga et dont les représentants seraient à nommer. Elle ne conserverait donc finalement que l'organisation et la gestion de la Coupe nationale, à l'image de ce que nous connaissons en France. De là à penser qu’une scission est à prévoir avec elle, il n’y a qu’un pas que beaucoup envisagent.

La quatrième scission ?

Car au cours de la longue histoire du football argentin, la fondation d’une organisation parallèle à l’AFA est arrivée à trois reprises, pour une durée totale de 13 ans. En 1912, un conflit entre Ricardo Aldao, président du Gimnasia et l’AFA pousse certaines équipes à se retirer de l’AFA et former aux côtés du Lobo une fédération dissidente, la Federación Argentina de Football. La rupture dure trois ans. En 1919, un nouveau conflit entre l’AFA et plusieurs clubs (dont River, le Racing, Platense et Independiente) conduit à une nouvelle scission. Ces clubs sont rejoints par d’autres (dont San Lorenzo et le Gimnasia), la Asociación Amateurs de Football est née, elle organisera son championnat parallèle jusqu’en 1926.

La dernière scission, celle de 1931 est en revanche la plus importante de l'histoire et possède, hasard d'une histoire qui aime bégayer, quelques similarités avec l’actuelle. A l’époque, 34 équipes formaient l’élite du pays et les transferts de joueurs étaient des plus compliqués, les clubs voulant alors se professionnaliser et ainsi mettre fin à « l’amateurisme marron », ce professionnalisme caché qui avait alors cours. 10 clubs de l’élite avaient alors décidé de former une Súperliga (déjà) avec ou sans la fédé, ligue dans laquelle 8 club avaient leur place assurée (River, Boca, Independiente, Racing, San Lorenzo, Huracán, Estudiantes et Gimnasia), les deux autres devant la gagner sur le terrain. Comme aujourd’hui, la majorité des clubs étaient d’accord à l’exception d’Independiente, Pedro Canaveri, président de l’époque allant jusqu’à proposer un projet visant à diviser l’élite à 34 en trois poules. L’affaire s'était ainsi mal terminée puisqu’il y avait alors eu rupture qui avait fini par conduire à la création de la première ligue professionnelle de l’histoire, comprenant 18 clubs, la Liga Argentina de Football. Trois ans plus tard, après avoir cohabité à côté de l'Asociación Argentina de Football (Amateurs y Profesionales), l'heure était à la réconcilation. Les deux organisations fusionnaient et mettaient fin à leur querelle en donnant naissance à l'AFA.

Pour l'heure, la scission reste une menace mais semble ne pas aller au-delà de ce stade. Pourtant quelques voix discordantes se font entendre comme celle d’Hugo Moyano, président d’Independiente, qui ne veut pas en entendre parler et ne semble pas encore convaincu par l’idée de la Súperliga. Ce dernier a reçu le soutien de Nicolás Russo, le patron du leader actuel de la zone B, Lanús, tandis qu’Armando Pérez, à la tête de Belgrano, pourrait se joindre à eux. Les négociations ne font que commencer, le tout dans un contexte bien particulier, celui des prochaines élections à l’AFA qui se dérouleront fin juin. Autant dire que la bataille politique entre les pro Angelici – Lammens et les pros Segura ne fait que commencer, la menace de la Súperliga étant vue pour certains comme un moyen d’éviter une défaite dans les urnes, une simple position politique. Reste qu'en attendant, Angelici, président de Boca a déjà menacé de ne pas prendre part au prochain tournoi si rien ne change. Les prochaines semaines s'annoncent animées, elles trouveront vraisemblablement une conclusion fin juin. Espérons au moins que l'Argentine du football nous évitera surtout une nouvelle mascarade (souvenez-vous). 

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.