Ils n’auront pas attendu la dernière journée. En atomisant la Liga de Quito, le Delfín Sporting Club, petit club de Manta, a gravé en lettres d’or l’une des plus grandes pages de l’histoire du football équatorien. Retour sur le match du titre.
A l’heure où tout est souvent galvaudé, certains auront l’outrecuidance d’oser une comparaison avec Leicester quand d’autres, plus enclins à préférer un contexte sud-américain évoqueront Plaza Colonia, vainqueur en Uruguay il y a un peu plus d'un an. Pourtant, ce serait presque minimiser l’ampleur de l’exploit réalisé par le Delfín Sporting Club en ce début d’année 2017. Car ce que vient de faire le Cetáceo de Manta dépasse l’entendement sur le plan comptable. Imaginez : à une journée de la fin de la Primera Etapa équatorienne, Delfín est toujours invaincu et a déjà décroché 47 points, meilleur total dans un tournoi depuis le passage à 12 clubs en 2008. Mieux, en signant un 21e match sans défaite (nous allons y revenir), le club promu en 2016 réussit la meilleure série d’invincibilité depuis le début d’une année calendaire dans toute l’histoire de la Serie A et en portant sa série combinée à 23 matchs sans défaite (2 lors du dernier tournoi, 21 sur celui-ci), Delfín n’est plus qu’à trois unités du record historique du football équatorien, 26, marque réalisée par El Nacional en 1990.
1990, c’est quasiment l’année où tout a commencé pour le club de Manta. Calle 110 du barrio 9 de Octubre à Tarqui, un quartier de Manta. C’est ici que vivait Pedro Azúa Levoyer, l’homme qui créa le club de 9 de Octubre, l’ancêtre de Delfín. Ce petit club de quartier créé par Azúa va fusionner avec Delfín pour devenir le club 9 de Octubre – Delfín en mars 89 qui, sous la conduite de Fausto Carrera, va participer à la Primera B en 1989 et devenir le premier représentant de Manabí champion de la B. A peine né, le club est déjà un succès et devient le troisième grand club de Manta après le Juventud Italiana, qui brilla un temps dans les années 70 et Manta Sport, club phare de la ville dans les années 70-80, qui disparait en 1986. Le club connait alors deux belles campagnes, en 1990 et 1993 mais reste finalement dans l’ombre des grands du pays. Jusqu’au jour qui va tout changer.
« Relever notre province »
16 avril 2016, l’Equateur est frappé par un violent tremblement de terre d’une magnitude de 7.8. 650 personnes vont périr, plus de 28 000 se retrouvent sans abri. Tarqui est rayé de la carte. Delfín se retrouve aussi sans stade fixe, le Jocay est touché, et se retrouve à errer de stade en stade pour tenter de survivre en Serie A, élite du football équatorien que le club vient de retrouver après 14 ans d’absence et une double montée ultra-rapide. Il y parvient de justesse avec la mission de « relever notre province », comme l’explique Javier Delgado, son président, au Telegrafo. « Au football, tu ne peux pas briller du jour au lendemain. Delfín s’est organisé comme une entreprise privée, avec un budget, une capacité à payer avec des salaires plafonnés. Nous avons toujours eu des objectifs clairs : en 2014, nous luttions pour nous maintenir, en 2015, nous avons été champions en Serie B, en 2016, nous voulions assurer notre maintien en Serie A et nous qualifier à un tournoi continental mais le tremblement de terre nous a coûté de l’énergie. Cette année, nous visions les quatre premières places. » Alors le club travaille, 14 joueurs arrivent, Guillermo Sanguinetti arme un 4-4-2 parfaitement organisé, rapide et solide, d’une efficacité redoutable. Du haut de son budget d’à peine 2.75M$ (le quart du budget d’un Barcelona, Emelec ou Independiente del Valle par exemple), avec comme plus haut salaire 12 000$, le Cetáceo retourne l’élite équatorienne, fait tomber les géants. Quelques semaines après l’exploit du Monumental, quand les Bleus de Manta ont mis le champion sortant à genou, c’était la grande LDU qui se présentait au Jocay ce week-end, pour un moment d’histoire.
Pour ce match historique, les locaux n’entendaient pas perdre de temps. Alors, Delfín a démarré la rencontre de manière intense, Robeto Ordóñez ouvrait rapidement la marque avant de voir son but refusé pour une main, avant de menacer de nouveau les cages de la LDU. A chaque percée des attaquants du Cetáceo, le Jocay vibrait, Manta espérait mais retenait son souffle quand les hommes de Gustavo Munúa utilisaient les espaces laissés par les locaux. Barcos servait Juan Luis Anangonó qui trompait alors Pedró Ortiz mais voyait son but refusé pour hors-jeu. Simple avertissement malheureusement pas reçu pour les hommes de Sanguinetti. Car s’ils continuaient à se procurer des situations franches, des pieds du duo Carlos Garcés – Roberto Ordóñez, ce sont les visiteurs qui allaient venir éteindre le Jocay juste avant la pause lorsque sur un centre de Jefferson Intriago, Jhon Chancellor marquait dans son propre but. De quoi douter ? C’est oublier l’histoire de ce club même pas trentenaire. On ne jouait même pas 2 minutes en seconde période que sur un service de Marcos Cangá, Roberto Ordóñez ramenait les siens dans la partie, la furia bleue était lancée. Les joueurs de Sanguinetti savaient qu’ils avaient leur destin en main, le Jocay allait pousser et vibrer comme jamais. Geovanny Nazareno doublait la mise sept minutes plus tard, le plus dur était fait, Delfín déroulait. Ordóñez s’offrait un doublé, Mera ajoutait sa pierre à l’édifice, la surprise de l’année est devenue sensation.
A peine un an après avoir failli être rayé de la carte par un tremblement de terre, une nouvelle secousse, positive cette fois-ci, ébranle l’Equateur. Delfín Sporting Club, promu en 2016, décroche la Primera Etapa 2017 au nez et à la barbe des géants, pour la première fois, la province de Manabí accueillera des matchs de Copa Libertadores en 2018. Le Cetáceo trône au sommet de l’élite équatorienne, le petit dauphin devenu requin se qualifie pour la grande finale du championnat après avoir écrit l’une des plus belles pages de l’histoire du football national voire continental. Et a relevé toute une province.