Lorsqu’on accole démocratie et football au Brésil, l’imaginaire collectif renvoie évidemment aux beaux et romantiques Corinthians de Socrates. De même, à l’heure d’évoquer la lutte pour la reconnaissance des droits des noirs au pays, personne ne peut oublier le rôle essentiel joué par Vasco. Pourtant, bien avant ces deux illustres exemples, démocratie et lutte raciale ont été déjà défendu par Ponte Preta, le plus vieux club du pays.

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2 octobre 1974, dans le rond central de l’Estadio Vila Belmiro, le Roi Pelé prend le ballon entre ses mains, le dépose et s’agenouille à ses côtés, bras écartés. Dernière image d’une carrière brésilienne, dernier cliché d’un moment d’histoire nationale que son idole a portée depuis plus de dix-sept ans. Pelé, la Perla Negra du football brésilien, vient de disputer son dernier match au pays et le symbole est fort. Car son ultime adversaire n’est pas un club comme les autres. Face à son Santos, pour ses adieux, la victime du jour (battue 2-0) est Ponte Preta, la première démocratie raciale brésilienne.

 Ponte Preta est un pont, un pont ferroviaire, qui relie le Brésil au Monde où le ciel est indigo. Il est le pont qui relie Campinas à la mer, au Monde. 

Un pont noir ouvert sur le monde

Miguel do Carmo, le premier joueur noirC’est en 1899, sous l’impulsion d’un Écossais Thomas Scott et d’un Allemand, Theodor Kutter, que le football serait apparu à Campinas, à 100 km de São Paulo, dans cette petite ville devenu le point de convergence de nombreux immigrants européens. Dans cette ville cosmopolite, la principale activité est fournie par la compagnie de chemin de fer située dans le quartier de Ponte Preta qui tire son nom du pont noir traversant la voie à proximité. Scott est ingénieur des chemins de fer et a apporté des ballons venus d’Écosse. Le football devient alors le passe-temps favori des ouvriers, de jeunes blancs, noirs, mulâtres qui travaillent au bord des rails. Kutter voit en le football un formidable moyen d’unir ces gamins, de leur donner un but commun. Le football devient rapidement populaire. Grâce aux familles locales, un terrain de jeu est installé sur les terres du Capitaine João Vieira da Silva dont les trois garçons jouent au foot. Parmi ces gamins se trouve Miguel do Carmo (dit Migué). Né le 10 avril 1885, trois ans avant que la Loi d’Or ne vienne abolir l’esclavage au Brésil, Migué, du haut de ses 15 ans, jeune travailleur sur les chemins de fer va devenir une légende.

Aux côtés de Luiz Garibaldi Burghi et Antonio de Oliveira, Migué convoque une assemblée sur un terrain vague situé Rua de Aboliçäo (Rue de l’Abolition – tout un symbole) dont l’objectif est de créer un club afin de permettre aux jeunes de se réunir, d’organiser des matchs. Nous sommes le 11 août 1900 et le premier club de football brésilien vient de voir le jour (d’autres clubs, comme Flamengo furent fondés quelques années auparavant mais leur section football ne naîtra qu’après la fondation de Ponte Preta). Miguel do Carmo, jeune fondateur noir de quinze ans est son symbole : il fait partie de la première équipe, devenant le premier joueur noir membre d’un club sud-américain. Car l’acte fondateur du club ne fait aucune distinction ethnique. Dans cette ville multicolore, l’Associação Atlética Ponte Preta réunit blancs, noirs, dans une démocratie raciale qui n’exclut personne. Alors que le football est propriété exclusive des blancs, Ponte Preta reste le pionnier de la lutte noire.

Somos Todos Macacos

Lorsque les premières compétitions nationales sont créées, les déplacements du club multicolore sont souvent accompagnés de cris de singes. Nous sommes dans les années trente et la première démocratie raciale se choisit une mascotte répondant à ces insultes : le Macaque. De sa différence, Ponte Preta en fait sa force. Le club qui a tout initié poursuit la lutte contre le racisme au Brésil en s’appropriant les insultes. Le club devient les Macacas, la mascotte un singe noir, le cri de guerre des supporters un cri de singe. Depuis sa création, le club se bat pour l’égalité raciale, depuis les années trente ne cesse de chanter sa fierté d’être un singe comme l’illustre l’un des chants de ses supporters « Ponte macaca querida ».

A Ponte é raça e tradição

Amor que vem do coração

Por isso já não tem mais jeito

O grito sai do peito

O que? O que?

Vamo, vamo lá Ponte

Olê

 

Ponte, macaca querida

Amor da minha vida

Sou louco por você

 

Ponte, macaca querida

Amor da minha vida

Sou louco por você

Ponte est une race, une tradition.

Un amour qui vient du cœur,

c'est pour cela qu'il n'y a rien de mieux,

le cri sort de nos tripes,

de quoi ? de Quoi ?

Allez, Allez Ponte.

Olé Olé

 

Ponte, Singe adoré.

Amour de ma vie

Je suis fou de toi

 

Ponte, Singe adoré.

Amour de ma vie

Je suis fou de toi


Lors de la campagne #SomosTodosMacacos lancée par Neymar en soutien de Daniel Alves, Ponte Preta s'investit sur les réseaux sociaux, ses supporters allant même jusqu’à porter des masques de singes dans les tribunes. Dès que l’occasion se présente, ses supporters répliquent aux insultes comme lors de la fabuleuse campagne de Sudamericana 2013 qui vît le club atteindre la finale. Lorsque chahutés par les hinchas de Vélez et de Lanús qui essayaient de les provoquer par des cris de singes, les Brésiliens répondent par d’autres cris de singes allant jusqu’à mimer des macaques.

Un maigre palmarès qui masque une grande âme

Pourtant pionnier, Ponte Preta ne bénéficie pas du statut d’un Vasco dans l’imagerie collective. La principale raison peut résider dans sa discrétion. Car le club alvinegro n’est pas un géant du football brésilien. Au palmarès du club, plusieurs titres mineurs à l’échelon national comme des succès dans le Campeonato Paulista do Interior (compétition issue du championnat paulista entre les quatre meilleures équipes de l’intérieur) et quelques accessits font bien évidemment pâle figure devant la pluie de trophée du frère d’arme Vasco. La campagne de Sudamericana 2013 reste l’un des plus grands moments de l’histoire du club.

Alors coaché par l’ancien champion du monde Jorginho, les Alvinegros, qui avaient acquis leur billet pour la Sudamericana après avoir terminé troisième meilleure équipe parmi les éliminés des 16e de finale de la Coupe du Brésil (le Brésil aime les systèmes de qualification étranges), réalisent deux exploits consécutifs en éliminant tour à tour Vélez en quarts de finale au prix d’une victoire en Argentine, puis le tenant du titre São Paulo en demi-finale, avec également une victoire au Morumbi. Malheureusement pour le peuple alvinegro, la belle histoire se terminera par une défaite en finale face à Lanús.

La première démocratie raciale reconnue par la FIFA

Malheureusement, cette finale, bien que récente, ne suffit pas à ancrer Ponte dans l’esprit des amateurs de football. Bien qu’étant le club ayant la plus longue activité de football au pays, le premier club de l’intérieur du pays à participer à un championnat national, son histoire reste encore méconnue. Relégué en Serie B après sa finale historique, Ponte Preta viendra faire une nouvelle pige dans l'élite avant d'en chuter de nouveau en 2017. Passé à un rien de la montée en 2018, il lutte encore aujourd'hui pour retrouver son héritier, Vasco, dans l'élite du football brésilien. Quant aux joueurs, si la dernière star formée à Campinas (son lieu de naissance) reste Luis Fabiano, peu restent connus du grand public. Mais son combat était ailleurs. Son plus grand trophée lui est remis en 2006 par la FIFA. Dans un courrier qui lui est adressé, le club se voit officiellement nommé première démocratie raciale de l’histoire du football.

Porteur et défenseur de valeurs d’égalité, première démocratie multiraciale au Brésil et sur le continent sud-américain, Ponte Preta est le pionnier de la lutte pour l’égalité, le club qui plantera la graine que Vasco viendra ensuite faire germer. Depuis sa création, le premier combattant d’une lutte loin encore d’être rempotée, reste le fer de lance avec Vasco de la lutte pour l’égalité. Ce sont ces valeurs qui font du club de Campinas un club unique. Lorsque le 2 octobre 1974 le Roi Pelé s’agenouille dans le rond central pour remercier Dieu, du ciel, Miguel do Carmo a probablement observé non sans fierté le triomphe de la plus grande idole noire du football brésilien, son plus grand héritier.

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Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.