C’est l’histoire d’un tournoi. Clausura 2009, tournoi de clôture en français. Celui de la dernière période romantique au pays de tango. Celui d’un 4-3-3 entré dans l’histoire du football local autant pour son ode au beau football qu’à sa fin tragique. C'est l’histoire des Anges de Cappa.
« Pour jouer au football, il faut une passion débordante comme celle qu’ont les grands joueurs. Il faut une énergie qui vient uniquement de l’amour absolu pour le jeu ». L’amour absolu du jeu, le crédo d’Ángel Cappa. Homme de gauche, philosophe et entraîneur qui a notamment appris à côté d’une légende argentine nommée César Luis Menotti, il débarque à Parque Patricio en novembre 2008 pour tenter de relancer un Globo aux résultats moyen. Pour son retour sur le banc d’Huracán, qu’il a déjà coaché 20 ans plus tôt, il signe un 3-3 face au River en fin de cycle Simeone et va venir poser ses préceptes selon lesquels le jeu commande tout. « Les joueurs doivent prendre conscience que l’erreur fait partie du jeu ». Cappa prend pour modèle l’Arsenal de Wenger racontant une discussion avec Fabregas au cours de laquelle l’espagnol lui explique alors qu’à tout moment, « un gunner doit avoir deux voire trois possibilités de passes ». Lors de l’intersaison entre l’Apertura 2008 et le Clausura 2009, il travaille les gammes, coordonne les mouvements collectifs. Les joueurs enchainent les entrainements basés sur le jeu de passes courtes en un minimum de touches. Le tournoi qui arrive sera celui du récital.
L’Argentine redécouvre le romantisme
Alors que le football devient un combat physique, où tout se joue sur l’intensité, le Globo vient raviver la flamme des romantiques. Ángel Cappa s’appuie alors sur un 4-3-3 en piochant dans les formations de jeunes du club. Gastón Monzón, jeune gardien de 22 ans est titulaire, protégé par Araujo, Goltz, Dominguez et Arano. Au milieu, trois hommes aux rôles bien définis : Bolatti en 5 à l’argentine (NDLR : dans la tradition argentine, le 5, équivalent du 6 européen, n’est pas une simple sentinelle, il est le meneur de jeu de la base défensive), Toranzo et Maestrico González censés faire la différence sur les côtés, jusqu’ici, rien de bien original pour un 4-3-3. C’est devant que Cappa innove. Alors que Federico Nieto est placé seul et unique attaquant axial, Ángel Cappa donne les clés du jeu du Globo à deux gamins de 20 ans aux physiques peu commun : Matías Defederico et Javier Pastore.
Le premier est tout petit (1m68), feu folet capable de percer n’importe quel coffre-fort de ses dribbles et sa vitesse. Le second est grand (1m87), mince et fait sauter les défenses adverses à la force de son toucher de balle et de sa vision du jeu. Les deux gamins n’ont qu’un rôle, celui d’électron libre. Car Cappa ne mise que sur le talent de ses deux chefs d’orchestre aux caractéristiques si différentes et pour le laisser s’exprimer ne veut lui imposer aucune contrainte. Defederico se mue en meneur de jeu, Pastore en poète. Il devient l’incarnation de l’esthétisme à la Cappa : le football où l’inspiration devient source d’émotion.
Ce onze va éclabousser une Argentine dont le football avait laissé place au physique. Le Clausura 2009 sera celui d’une lutte acharnée avec le Vélez de Gareca. A l’intensité et l’agressivité du Fortin, le Globo oppose son élégance, son jeu léché allant jusqu’à proposer de vrais instants de grâce, ceux où le temps s’arrête : cette égalisation au Cilindro construite à deux touches maximales jusqu’au déboulé de Defederico, le récital Pastore face à River conclu sur un petit pont avant de se présenter seul face à Vega, en sont les plus beaux exemples. Qu’importeront les moments de moins bien, Huracán ne dérogera jamais à sa ligne de conduite de son guide : « qu’importent les résultats, le football est avant tout une affaire d’émotion ».
Brazenas assassine les anges
Les résultats ont beau peu importer, Huracán, en queue de classement lors du tournoi précédent, est devenu un candidat au titre, Cappa marchant sur les traces de son mentor Menotti, entraîneur lors du Metropolitano de 1973, seul et unique championnat national de l’histoire du Globo. Mais le destin est joueur, pour décrocher un titre que toute l’Argentine promet à Huracán, il faudra ne pas craquer à José Amalfitani lors de la dernière journée du tournoi. José Amalfitani, l’antre de son seul rival d’alors, Vélez Sarsfield. La formidable machine à victoire de Gareca n’est peut-être pas aussi belle à voir que le Globo de Cappa mais elle a le don d’efficacité. Une seule défaite en 18 rencontres, 5 petits buts concédés à domicile, la mission d’Huracán, tenir au minimum le match nul s’annonce compliquée. Le Globo découvre la pression du résultat. Ces gamins avec. Ce 5 juillet 2009, le jeu si inspiré des Anges de Cappa ne s’exprime pas à sa pleine mesure. Pourtant, Huracán va longtemps y croire. Il y aura ce penalty d’Hernán Rodrigo López repoussé par Monzón, cette première période au cours de laquelle le Globo se procure plusieurs occasions de tuer le suspense. Et soudain, une force plus obscure va venir changer le destin de ces anges. Il y aura ce but injustement refusé à Eduardo Domínguez, la barre transversale qui sauve Vélez puis le duel manqué par Defederico. Et enfin, la fameuse 85e minute et ce centre venu de la gauche. Joaquín Larrivey, l’ancien de la maison, formé à Huracán, vient planter ses crampons sur Monzón, Moralez a suivi et marque dans le but vide. Gabriel Brazenas, arbitre de la rencontre valide un but entaché d’une énorme faute sur le gardien. Cappa reste impassible, les yeux dans le vide. Le titre vient de lui échapper. La fin de rencontre tourne au surréaliste. Entre bagarre et non jeu, les derniers romantiques cèdent à leur tour, Vélez est champion, ses hinchas remercient Brazenas losqu’il rentre aux vestiaires, ce dernier n'arbitrera plus. Les yeux rougis, le Globo pleure ses anges.
La chute
Comme toute romance, la fin ne pouvait être que tragique. L’après est le coup de grâce. Confronté à la réalité économique, Huracán laisse partir six de ses joueurs dont les pépites Defederico et Pastore. Eléments clés de la philosophie Cappa, les deux hommes libres du milieu viennent rapidement à manquer. Le tournoi suivant est le début de la fin : Ángel Cappa est débarqué, le Globo termine 19e. Il ne retrouvera plus jamais la lumière de ses anges. Après une pige à River, au Gimnasia et un exil au Pérou (Universidad San Martín) en 2012, Cappa aujourd’hui n’entraînera plus. Matías Defederico ne brillera guère au Corinthians et voguera de prêts en prêts allant jusqu'à une pige en Inde avant de renaître enfin en début 2017 en Equateur. Prêté par Porto à l’époque des Anges, Mario Bolatti file en Italie en 2010 où il ne passe qu’une saison avant d’atterrir au Brésil. Puis, celui qui devint international suite à ce Clausura (et disputera une Coupe du Monde), est retrré au pays, tentant de survivre avec Belgrano avant d'être écarté du groupe et de passer ses derniers mois avec la réserve et de se retrouver désormais sans club. Durant ce temps, le Vélez de Gareca a remporté trois autres tournois avant de plonger à son tour. Quant au Globo, après deux autres tournois terminés aux dernières places, il est relégué lors de la saison 2010/2011. Au même moment, sa plus belle étoile Javier Pastore devient le plus gros transfert du championnat de France en rejoignant le PSG. Plus jamais il ne retrouvera son rôle d’électron libre du milieu, enfermé sur son côté, ne montrant son talent que par épisode. Après avoir été aussi adulé que critiqué, son étoile brille de nouveau à dose homéopathiques. En 2014, Huracán retrouve l’élite du football argentin et s'offre un titre, la Copa Argentina avant de vivre une année 2015 historique. Avec Eduardo Domínguez à sa tête, le Globo est un finaliste invaincu de la Copa Sudamericana puis dispute la Libertadores 2016. Son ancien défenseur central quitte le club en septembre de la même année. Depuis, le Globo navigue dans les profondeurs de l'élite argentine, a retrouvé l'anonymat d'un championnat à 30 qui pousse à l'oubli. Comme si, privé de ses anges, Huracán ne pouvait toucher le ciel.