Si l’Uruguay reste connu pour être la première formation à intégrer des joueurs noirs dans son effectif pour une compétition internationale, la Celeste, qui domine le football des années 20, est aussi celle qui en fera éclore la première star mondiale : José Leandro Andrade.

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Le fils d’esclave devenue star mondiale

L’histoire de José Leandro Andrade épouse l’histoire du football uruguayen. Le 16 mai 1901, la première rencontre internationale située hors Royaume-Uni est organisée à Montevideo et oppose Uruguay et Argentine. Six mois plus tard à Salto, ville située aux portes de l’Argentine et qui doit son nom aux tressautements du fleuve Uruguay et qui, 86 ans plus tard verra naître Luis Suárez et Edinson Cavani, José Leandro Andrade voit le jour, fruit de l’union d’une argentine et d’un brésilien de 98 ans, ancien esclave arrivé au Brésil en provenance d’Afrique de l’Ouest au cours du siècle précédent.

C’est dans la pauvreté la plus totale qu’Andrade grandit, dormant à même le sol dans un foyer privé d’eau et d’électricité. Bon élève à l’école, il y reste le temps qu’on lui permet de jouer au football sur les terrains poussiéreux à proximité après les classes. Mais dès l’adolescence, José Leandro Andrade quitte l’école, il rêve de partir loin de Salto. Si on ne sait pas réellement vers quel âge Andrade débarque à Montevideo, on sait qu’il va alors vivre chez une tante avec l’objectif de jouer au football et passant ses journées comme musicien et cireur de chaussure pour subvenir à ses besoins.

Après un court passage à Peñarol, il participe aux entraînements, Andrade rejoint le club de Misiones avant, convié par la légende José Nasazzi, d’intégrer les rangs de Bella Vista, club avec lequel il signe son premier contrat professionnel. Avec lui, le club accède à la Primera Division qu’il termine la saison suivante à la troisième place. Pourtant doté d’un physique impressionnant (1m80, 79 kg), Andrade éblouit par son élégance. A une époque où le football est avant tout physique, son jeu de corps, ses feintes et sa maîtrise technique en font un joueur singulier. Il intègre alors rapidement les rangs de la sélection avec laquelle il remporte les Copa América de 1923 et 1924 et il s’envole pour l’Europe. C’est à Paris que la carrière et la vie d’Andrade prend un tournant décisif.

Footballeur le jour, star de la vie nocturne

Nous l’avons évoqués dans un précédent article (voir Quand l'Uruguay apporte le football total en Europe), lorsque l’Uruguay débarque à Paris, personne ne mise beaucoup sur cette formation que finalement peu connaissent. Ayant parfaitement caché leur jeu devant les espions européens venus les découvrir, les joueurs tout de Celeste vêtus vont alors époustoufler l’Europe du foot qui découvre une nouvelle façon de jouer. Au sein de cette équipe, digne héritier de ses compatriotes Juan Delgado et Isabelino Gradín (qui a lui aussi grandi dans le quartier de Palermo à Montevideo), les deux premiers joueurs noirs à avoir participé à une compétition internationale (le Sudamericano 1916), José Leandro Andrade « noir comme le charbon » devient l’idole du tout Paris.

Brillant sur le terrain, Andrade l’est aussi lors des soirées parisiennes auxquelles il est convié. Au milieu des footballeurs rustres, le grand meneur uruguayen et ses costumes élégants embrasent la capitale. Percussionniste et grand danseur, il écume les bars du tout Paris, charme Colette et Joséphine Baker (avec qui on lui prêtera une relation) et devient une véritable star. Au point de devenir la « Maravilla negra », la Merveille noire. Les stades, aux trois quart vides pour les premiers matchs, se remplissent alors pour le voir en action. Ils sont 45 000 dans les tribunes pour voir l’Uruguay atomiser la France en quarts. En demi-finale, la Celeste attire six fois plus de monde dans le stade que l’autre demi-finale. La nuit, ses coéquipiers le cherchent et parfois, à l’image d’Ángel Romano, finissent par le trouver dans les élégants salons parisiens, entouré de filles. A son retour de Paris, Andrade est « changé ». Accueilli en héros par la communauté noire de Montevideo après avoir passé quelques jours dans la capitale française après les Jeux, se fait alors connaître comme étant un oiseau de nuit, toujours élégamment vêtu. L’année suivante, il est de l’équipe du Nacional qui fait une tournée en Europe. Il n’y participe qu’à moitié, fuyant après s’être vu diagnostiqué la syphilis à Bruxelles. Après la campagne victorieuse en France, Andrade et l’Uruguay récidivent aux Pays-Bas en écrasant les Jeux Olympiques d’Amsterdam, attirant encore les foules (250 000 demandes de tickets pour la finale – 10 fois la capacité du stade). Au cours de cette épreuve, Andrade heurte son gardien et se blesse à l’œil droit. Il en perdra l’usage par la suite même si pour plusieurs auteurs, sa perte de la vue côté droit et la dégradation de son état seront dus à la syphilis. Après un dernier tournoi victorieux en 1930, la première Coupe du Monde (voir Uruguay 1930 : un premier titre pour l'éternité), la première star mondiale noire va disparaître des radars.

Déclin et oubli

Alors que ses coéquipiers vont tous devenir entraîneurs ou dirigeants, Andrade ruiné, se retrouve isolé, retourne dans les quartiers pauvres de la capitale et, son état de santé se détériorant, se noie dans l’alcool. 20 ans après sa Coupe du Monde, l’Uruguay décroche sa deuxième étoile avec en son sein Victor Rodríguez Andrade, son neveu qui a ajouté son patronyme pour lui rendre hommage et inscrire de nouveau son nom dans l’histoire du football uruguayen. Six ans plus tard, un journaliste allemand, Fritz Hack, décide de partir à la recherche de la Maravilla Negra. Après six jours de recherche dans Montevideo, il finit par le retrouver, SDF squattant un sous-sol, ivre et presque aveugle, incapable de répondre à ses questions. Le 5 octobre 1957, dans l’oubli le plus total, Andrade s’éteint de tuberculose à l’asile Piñeyro del Campo. Un temps oublié, son nom revient ensuite retrouve sa place au panthéon du football. José Leandro Andrade n’était en effet pas seulement un magnifique manieur de ballon qui ne célébrait jamais ses buts. Il restera la première star mondiale noire, celui qui permettra d’ouvrir quelques consciences. Son héritage n’en est que plus grand.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.