Après un exil en Argentine, en Europe, au Brésil et même au Japon, Diego Forlán était rentré au pays pour finir dans son club de toujours, Peñarol. Après un titre de champion décroché avec son club, Cachavacha s’en est allé.

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« J’assisterai à la finale de la Libertadores en tant qu’hincha ». 13 juin 2011, Diego Forlán est encore un joueur de l’Atlético de Madrid mais devient officiellement, non sans émotion, socio numéro 40 000 du CA Peñarol, le plus grand club uruguayen en termes de palmarès. A l’occasion de la remise de sa carte de socio, il annonce alors à quel point cela l’enchanterait« de revêtir le maillot de Peñarol, le seul blason, avec celui de la Céleste, que je pourrais embrasser ». Il aura finalement fallu attendre quatre ans pour que le rêve des hinchas carboneros se réalise enfin. Juillet 2015, c’est par un vol Air France que la star de la Coupe du Monde 2010 revient à Montevideo. Lorsqu’il atterrit, la rumeur devient annonce officielle : Diego Forlán s’engage avec Peñarol. Avec cette signature, le club aurinegro cherche à initier un nouveau cycle tout en s’appuyant sur une histoire de famille à la sud-américaine. Un an plus tard, auréolé d’un titre de champion qui fuyait le club depuis trois ans (lire Uruguay – Finale 2016: Peñarol Champion !)  Si l’histoire est belle, elle vient surtout rappeler qu’en Amérique du Sud, les géants aiment construire leur légende sur des histoires familiales.

Pablo et le cycle doré

Au début des années 60, l’Amérique du Sud s’offre sa grande compétition continentale, la Copa Libertadores voit le jour. Les deux premières éditions sont celles du premier géant continental, le CA Peñarol. A l’image du Real Madrid en Europe quelques années auparavant et à qui il succède au palmarès de la toute jeune Coupe Intercontinentale, le club de Montevideo est des trois premières finales et ne sera freiné dans sa soif de titre que par le Santos du Roi Pelé. Au pays, l’équipe de la future légende équatorienne Alberto Spencer écrase tout sur son passage, remportant les championnats 1958, 1959, 1960, 1961 et 1962. C’est dans ce contexte que débute un jeune latéral droit nommé Pablo Forlán. Nous sommes alors en 1963. Roque Máspoli, gardien international entré dans la légende Céleste lors du Maracanazo de 1950 (lire 1950 : la Céleste endeuille le Brésil) prend les commandes de l’équipe qui va alors reconstruire son effectif pour reprendre sa marche en avant. En 1965, une autre future légende arrive au club : Ladislao Mazurkiewicz. Aux côtés des Juan Lezcano et autres Luis Varela, Pablo Forlán occupe le couloir droit d’une redoutable défense bâtie pour faire briller les Spencer et autres Juan Joya.

Peñarol 1966, l'équipe qui écrase l'AmSud et le monde (Pablo est debout, dernier joueur à droite)

Champions en 1964 et 1965, les Carboneros s’inclinent en finale de la Libertadores 1965 après avoir pourtant fait enfin tomber le Santos de Pelé. Ils n’attendront pas longtemps pour inscrire leur nom dans la légende du football sud-américain. Après avoir totalement manqué ses débuts en Libertadores 1966 (défaite 0-4 face au Nacional puis 1-0 à Cochabamba face à Jorge Wilstermann), Peñarol lance véritablement sa campagne en Equateur. Plus rien ne l’arrêtera alors. Sorti premier de son groupe avec huit victoires contre deux défaites (celles concédées en ouverture), le club aurinegro et son 4-2-4 gagne ensuite sa place pour la finale en prenant notamment sa revanche sur le Nacional lors de la seconde phase. En finale, Pablo Forlán se montre décisif, il est le centreur sur le 3e but de Peñarol inscrit en prolongation lors du match d’appui face au River Plate de Jorge Solari (l’oncle de Santiago). Peñarol s’imposera alors 4-2 et gagnera le droit à une revanche face au Real Madrid en Interncontinentale.

Six ans que tout le people aurinegro attendait les retrouvailles. Après avoir été balayé à Bernabéu par la bande à Di Stéfano et Puskás lors de la première Intercontinentale (défaite 5-1 en ayant encaissé un 3-0 dans les 10 premières minutes du match retour), Peñarol retrouve donc le Real Madrid au Centenario le 12 octobre 1966 et, avec Pablo sur son côté droit, s’impose 2-0 devant près de 60 000 spectateurs. Au retour, le club uruguayen tue le suspense dès la première période et s’en va alors décrocher sa deuxième Intercontinentale, il tient sa revanche, Pablo et sa bande règnent sur le monde (la presse titrera « otra vez el Mundo miro a Peñarol » (une fois encore, le monde regarde Peñarol)). Malheureusement pour le club aurinegro, 1966 marque le début de la fin d’un cycle doré. Malgré les titres nationaux de 67 et 68 et la Supercopa de Campeones Intercontinentales de 1969, Peñarol va disparaître des palmarès continentaux en même temps que Pablo Forlán s’en ira poursuivre sa carrière au Brésil (notamment à São Paulo).

Lors de sa signature, Diego est accompagné de Pablo (toujours à droite sur la photo)

Diego pour initier un nouveau cycle

Près de 45 ans après le départ de Pablo, Diego vient ainsi non seulement refermer l’histoire de la famille Forlán et de Peñarol mais surtout ouvrir un nouveau cycle pour le plus grand club sud-américain du XXème siècle. Après une carrière dorée, marquée par un parcours européen de premier ordre et un Mondial sud-africain resté dans la légende, Forlán annonce le début d’une nouvelle ère pour un club qui ambitionne de retrouver les sommets nationaux et continentaux.

Outre l’aspect sportif, l’arrivée de Diego Forlán dans son pays où il va y découvrir un championnat dans lequel il n’a jamais joué (rappelons que Cachavacha (surnom de Diego) a joué chez les jeunes de Peñarol et de Danubio mais a fait ses débuts pro en Argentine, à Independiente avant d’émigrer en Europe), a aussi de fortes répercussions en termes d’image. Peñarol a ainsi négocié avec le clan Forlán la possibilité d’utiliser les droits d’images pour ses propres intérêts, qu’ils soient purement financiers (exploitation commerciale) ou simplement l’utilisation à des fins de marketing. L’objectif est clair : générer des revenus et faire parler du club à l’heure où il se prépare à retrouver la Libertadores et à entrer dans son nouveau stade. Cet objectif est aujourd’hui en partie atteint, l’exploitation du produit Forlán ne fait que commencer. Ne reste plus à Diego qu’à venir confirmer sur le terrain une vieille tradition sud-américaine : celle qui veut que les histoires de famille sont toujours à l’origine des triomphes des grands clubs du continent. Car derrière la belle histoire du père et de son fils, tout un peuple attend désormais que les Forlán deviennent les Verón du Peñarol.

Photo : MIGUEL ROJO/AFP/Getty Images

Un an après son retour au pays, Cachavacha a encore entretenu sa légende. Alors que le club n’avait plus été sacré champion depuis la saison 2012/2013, il retrouve le lustre d’un titre, le 50e de l’histoire (pour les vrais hinchas), après une saison marquée de hauts et de bas, de joies et de doutes. De ses fulgurances lorsque, positionné en 10 il émerveillait l’Uruguayo comme lors des démonstrations de classe que furent les matchs face à Sud América (5e journée de l’Apertura), Liverpool (10e journée de l’Apertura)  ou encore face au Defensor (3e journée du Clausura), à ses moments de doutes comme le parcours raté des ambitieux Carboneros en Libertadores (éliminé dès la phase de groupe), Don Diego aura mesuré la difficulté du quotidien uruguayen, l’imposante marche à gravir pour passer du rang de star à idole. Difficile de dire s’il sera considéré comme une idole du Peñarol, même si on peut en douter, reste qu’après 31 matchs disputés en championnat, 8 buts (meilleur buteur du club) et 12 passes décisives, l’histoire familiale des Forlán a pris fin.

Clap de fin ?

Il est 11h15 lorsque le président Juan Pedro Damiani ouvre la conférence de presse ce 14 juin. « Aujourd’hui, c’est mon anniversaire mais c’est un moment difficile. Je dirais que j’ai une sensation aigre-douce. Les choses sont ainsi. Diego nous avait honoré en devenant le socio n°40 000 après avoir été élu meilleur joueur du Mondial 2010 et a fait en sorte de faire qu’un rêve devienne réalité en rejoignant le club de son cœur. Diego a refusé de nombreuses offres pour jouer avec nous. Aujourd’hui, l’heure est venue de le remercier de ce qu’il a fait. » L’émotion est palpable, sincère. A ses côtés, Forlán père et fils écoutent, le 10 de Peñarol va alors prendre la parole. « J’ai profité au maximum. J’ai eu l’opportunité de marquer le premier but au Campeón del Siglo et celle d’être champion. Je n’ai pas joué à Peñarol, j’ai été champion avec Peñarol. Nous avons été critiqués mais nous avons donné une joie immense à Peñarol. Avoir décroché le 50ème titre du club est quelque chose de très spécial pour nous. J’ai compris que les gens attendaient énormément de moi et je voudrais m’excuser auprès des supporters de Peñarol. J’attendais également plus de moi. Je n’ai pas répondu aux attentes. Le football uruguayen est très dur et je n’ai pas fait ce que j’espérais. Je m’en vais parce que ce football est compliqué. Un jour les choses vont bien, le lendemain non. Si tu gagnes, tu es beau, si tu perds, tu es laid. Je pense qu’à 37 ans, ici en Uruguay, c’est le meilleur moment pour quitter le club. J’ai appris une chose : Peñarol est ma maison. »

Personne ne sait encore si l’histoire du football Diego Forlán a définitivement pris fin ce mardi de juin. Cachavacha a conclu sa conférence de presse par un énigmatique « aujourd’hui, je n’ai reçu aucune offre. La seule chose de sûre est que demain je pars en vacances. Si une offre fantastique arrive je rejouerais, sinon, je resterais à la maison. » Près de 50 ans après le premier titre mondial décroché par son père, le dernier des Forlán a laissé son nom dans l’histoire du club Carbonero. Peut-être son dernier cadeau au football, son dernier golazo.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.