C’est l’histoire d’un football né dans un pays qui n’attire habituellement pas les regards mais qui va en changer l’histoire. L’histoire d’un joueur hors norme dont le talent a ébloui jusqu’aux plus grands. L’histoire de Jorge González, un magicien pour qui le football n’était qu’un jeu.
Le talent dans le sang
Né le 13 mars 1958, Jorge Alberto González Barillas est le dernier d’une fratrie de huit enfants. Dès son plus jeune âge, il court derrière un ballon jour et nuit avec ses frères, tous ses ainés. Il faut dire que le football est dans le sang familial. Óscar Ernesto González, le père avait quitté Agua Caliente, une petite bourgade coincée dans les montages où il avait passé son enfance à jongler entre école publique, terrains agricoles et courses folles derrière un ballon, et révélé ses talents de dribbleur au point d’attirer tous les regards. Avec Miguel, son frère, Óscar Ernesto, El Quemado, sont les étoiles d’un club nommé Hércules, champion à six reprises dans les années 30. De son union avec Victoria naîtront donc huit enfants (sept garçons, une fille), tous deviendront footballeurs. Parmi eux, Miguel et Mauricio. Mauricio Pachín González possède les qualités de dribbleur de son père et sera professionnel pendant 17 années, il jouera en sélection jusqu’à sa retraite en 1975, devenant pour nombre de suiveurs du football local, le premier magicien. De son côté, Miguel La Mica González est un buteur, le goleador de son équipe. C’est lui qui invite son petit frère Jorge à venir suivre un entraînement de son équipe, ANTEL (Administración Nacional de Telecomunicaciones). Invité à taper dans le ballon avec les joueurs, Jorge tape surtout dans l’œil du staff. Suite à la défection d’un joueur pour le match de championnat suivant, on lui demande s’il veut jouer. Sa légende ne fait que commencer.
Aux côtés de son frère mais aussi d’autres jeunes promesses comme Herbert Machón, l’équipe inalámbrico devient rapidement l’équipe des révélations du pays. L’année suivante, Jorge va devenir Mago. Synthèse parfaite des qualités de dribbleur de son père et son frère ainé et des qualités de buteur de Miguel, Jorge profite d’un match face à Águila pour marquer les esprits. Ce jour de juillet 1976, le Cuscatlán inaugure ses projecteurs, tous se braquent rapidement sur Jorge lors d’un but égalisateur entré dans la légende. Mené au score, ANTEL revient grâce à un but d’Herbert Machón à la réception d’un centre de Jorge. Sur cette action, Jorge avait récupéré le ballon côté gauche, foncé dans son couloir puis ridiculisé le défenseur d’un geste qui deviendra sa marque de fabrique, la culebrita sorte d’elastico sauce González avant d’offrir ce but à son coéquipier. Dans les tribunes, Rosalío Hernández Colorado suit le match et baptise Jorge el Mago. La saison 1975/1976 est la dernière pour le club des télécoms, l’année suivante, le propriétaire se retire, l’équipe est démantelée. Certains joueurs filent vers l’Atlético Marte, Jorge et d’autres à Independiente San Vicente.
Révélation en sélection
L’année passée à Independiente n’est pas rose. Le club navigue en eaux profondes. Alors Jorge profite de la sélection nationale pour briller. Il participe aux qualifications pour la Coupe du Monde 1978 au Mexique duquel il sort comme membre de l’équipe idéale aux côtés de joueurs comme Hugo Sánchez, Víctor Rangel ou encore Leonardo Cuéllar malgré la non qualification de sa sélection (troisième du tour final). Jorge fait un essai au Mexique à la UdG mais c’est finalement du côté du Club Deportivo Futbolistas Asociados Santanecos, plus connu sous le nom de FAS, que sa carrière va se poursuivre pour 60000 cólones (environ 5000€). Avec le club, il décroche deux titres nationaux, une Coupe des Champions de la CONCACAF (ancêtre de la CONCAChampions) et dispute une finale d’Interamericana face au géant paraguayen Olimpia.
Parallèlement à ses exploits avec le FAS, el Mago brille en sélection majeure. Il prend ses responsabilités au sein de la Selecta qu’il porte alors sur ses épaules et envoie en Coupe du Monde 1982 grâce notamment à des exploits sur le terrain. Le Salvador est en effet champion centroaméricain en écartant notamment des sélections telles que Panamá et Guatemala qui lui donne accès à l’Hexagonal final, qualificatif pour l’Espagne et qui se déroule au Honduras en 1981. Le Salvador doit alors affronter le pays hôte, le Honduras, Haïti, Cuba, le Canada et le Mexique pour l’une des deux places qualificatives. El Mago s’amuse alors, il est au cœur d’un des plus grands exploits de la sélection, une victoire face au Mexique, victoire acquise sur un but signé Hernández après une chevauchée fantastique du Mago.
Le Salvador va alors se préparer pour l’Espagne par une série de matchs amicaux. C’est notamment à ce moment-là qu’il croise la route du PSG et éblouit les dirigeants parisiens lors de la victoire des siens face au club de la capitale. L’affaire parait alors réglée, el Mago va s’envoler pour l’Europe, ne manque plus qu’une signature du joueur, le PSG a doublé des clubs comme les Pumas, Universitario ou les Aztecs de Los Angeles. C’était sans compter sur Jorge qui ne se présente pas au rendez-vous, effrayé par l’idée de jouer pour un tel club et des exigences qui y sont liées. Il reste alors à FAS jusqu’à la Coupe du Monde, celle qui changera sa vie.
L’Espagne, terre d’exploits et de fête
La Coupe du Monde 1982 ne reste pas le meilleur souvenir de l’histoire de la Selecta. Balayée par la Hongrie en ouverture, battue par la Belgique et l’Argentine, la sélection salvadorienne n’inscrit qu’un tout petit but et quitte sans gloire la Coupe du Monde. Mais si la sélection ne brille pas, Jorge éblouit. Il réussit le tour de force d’être élu homme du match face à la Hongrie (malgré le 1-10 reçu), ses chevauchées, ses dribbles, sa vitesse, impressionnent alors l’Europe et le monde du football qui le classe parmi les 10 meilleurs joueurs de la Coupe du Monde alors qu’il n’a disputé que trois matchs. L’Atlético de Madrid souhaite l’enrôler mais el Mago décide d’un nouveau contrepied, il s’engage à Cádiz CF alors en seconde division espagnole. La peur des exigences liées aux grands a sans doute encore frappé.
Dès son premier match avec le club, Jorge el Mago González fait honneur à son rang, au point d’être rebaptisé Mágico González par la presse espagnole. La culebra macheteada devient une marque de fabrique. « Il y avait un murmure qui devenait rugissement, » dira Hugo Vaca alors son coéquipier. « Les supporters attendaient nerveusement, se rongeant les ongles, unis par ce secret avec une seule question « va-t-il le faire, va-t-il le faire. » Et il le faisait. Cette culebrita était la folie du Ramón de Carranza. » Dans ses foulées, Cádiz termine 2e du championnat et décroche la troisième accession à l’élite espagnole de son histoire. Mágico González a inscrit 14 buts. Sa légende sur le terrain commence à s’écrire en même temps que sa folie hors du stade.
Car depuis toujours, Mágico González est difficile à gérer. Sa folie sur le terrain est la même que celle des nuits. Cádiz est son terrain de jeu, qu’il soit diurne ou nocturne. Armando Monedero (dirigeant du FAS) et José Ramón Flores (membre de la Fédération Salvadorienne) vont même en Espagne pour s’assurer que Mágico González conserve une condition physique compatible avec une activité de haut niveau. Au club, certaines voix commencent à s’élever devant son manque de discipline qui le voit manquer régulièrement des entraînements. La première saison dans l’élite espagnole se passe mal. Cádiz est un abonné des dernières places mais Mágico González continue d'écrire sa légende à coup d’exploits comme lorsqu’il croise le FC Barcelone de Maradona au Camp Nou et ridiculise la défense Blaugrana pour inscrire une merveille de but. Ce match marque les esprits de Menotti et Maradona, les Argentins du Barça. Alors que Mágico González a terminé la saison à 14 buts et que son club est relégué, le grand Barça l’emmène avec lui aux Etats-Unis pour une tournée amicale et aussi pour voir s’il peut être compatible avec Diego.
Mágico González ne signera pourtant jamais à Barcelone. La faute à une alarme incendie qui sonne une nuit à l’hôtel (une blague signée Diego). Alors que toute l’équipe catalane se retrouve dehors, González manque à l’appel. Le staff le cherche partout et finira par le trouver endormi en bonne compagnie dans sa chambre. Les portes des grands d’Europe se ferment alors. Qu’importe, Mágico González revient à Cádiz et retrouve le Barça lors d’un match d’exhibition. Absent du premier acte, il arrive alors que son équipe est menée 1-0. 45 minutes plus tard, Cádiz s’est imposé 3-1. S’il n’a pas disputé la totalité du match, c’est parce que la veille au soir, il était de sortie et n’était pas en état au coup d’envoi. Cette indiscipline irrite le coach présent au club depuis 6 mois, Benito Joanet.
Je reconnais que je ne suis pas un sain et que j’aime la nuit. Je sais que je suis irresponsable et un mauvais professionnel et qu’il se peut que j’aie manqué l’opportunité de ma vie. Mais je n’ai jamais considéré le football comme un travail. Si tel avait été le cas, je ne serais pas moi. Je ne joue que pour m’amuser.
Prêté à Valladolid, Mágico González se voit affublé d’un psy, d’un acupuncteur. Mais González n’est alors plus Mágico. Il traverse la pire saison de sa carrière, n’est plus lui-même. Alors qu’il avait juré de ne jamais le rappeler, pressé par la foule Manuel Irigoyen, le président de Cádiz le ramène chez lui l’année suivante (tout en essayant d’adjoindre à son contrat une clause dans laquelle il sera financièrement sanctionné pour chaque écart hors terrain – peine perdue). Mágico González retrouve alors sa régularité et même si elle ne se traduit pas autant dans les chiffres que lors de sa première saison dans l’élite, ses moments magiques marquent de nouveau les esprits comme ce but légendaire inscrit face au Racing Santander. Mieux, le club est alors sauvé dans l’élite de justesse, sortant vainqueur d’un système de play-offs mis en place entre les derniers pour définir lequel des trois descendrait. Alors qu’il vient de rater (volontairement ? l’hypothèse tient encore) un essai avec l’Atalanta, Mágico González va vivre une belle saison en Espagne la saison suivante alors que le club est passé sous la direction de Víctor Espárrago. 12e à l’issue de la saison, meilleure performance du club dans l’élite, Mágico González tourne à 10 buts et est une pièce maîtresse du sous-marin jaune. La saison suivante, David Vidal s’installe sur le banc, il connait parfaitement son Mágico, n’hésite pas à aller le chercher en boîte de nuit pour le ramener à l’entraînement conscient que des pieds de son joueur dépend le maintien du club. Rattrapé par ses écarts hors terrain, objet d’une accusation de viol la saison en 1989 (dont il sera acquitté), Mágico González vit ses derniers moments avec le club. Il fait ses adieux à l’Espagne en 1991 après avoir porté le maillot jaune plus de 200 fois et inscrit 73 buts toutes compétitions confondues. Il est à ce jour le deuxième meilleur buteur de l’histoire du club.
Retour au pays
Mágico González rentre alors chez lui, retrouve le FAS de Santa Ana. C’est avec son club qu’il termine sa carrière, évoluant ainsi pendant 8 saisons et décrochant deux titres nationaux bien qu’évoluant à un niveau bien éloigné de ses performances espagnoles. Ça ne l’empêche pas d’être rappelé en sélection en 1998 alors qu’il a 40 ans et d’être élu meilleur joueur salvadorien de l’histoire l’année de sa retraite définitive, en 1999.
Son après carrière est à l’image de sa vie de footballeur, loin des sentiers battus. Assistant coach à Houston, chauffeur de taxi durant ses temps libres, Mágico González rechausse les crampons en 2001 lorsqu’il faut lever des fonds pour aider à la reconstruction de son pays durement touché par les tremblements de terre. L’année suivante, alors qu’il vient d’être adoubé meilleur football de tous les temps au pays, Mágico González, 44 ans, redevient footballeur professionnel, le temps de soutenir son ami Jaime Rodríguez à la base du projet au San Salvador FC. En 2003, Mágico González est nommé Hijo Meritísimo de El Salvador, l’Estadio Nacional est rebaptisé en son nom. Dix ans plus tard, Jorge Mágico González entre au Hall of Fame du football à Pachuca aux côtés de Franco Baresi, Palo Maldini et autres Georges Weah.
« Des magiciens, je n’en connais qu’un, Mágico González ». Les mots sont signés Diego Maradona en personne. L’histoire de Jorge González est celle d’un génie qui n’a jamais voulu compromettre son amour du football et de la vie aux exigences du monde professionnel. Sourire aux lèvres, cheveux en bataille, chaussettes baissées, nonchalance apparente, il représente un football d’une autre époque, celui qui n’était qu’un simple jeu. « J’aime regarder un match de football sans le son pour pouvoir le suivre avec de la musique. C’est ma façon de l’apprécier, » déclara-t-il quelques années plus tard. Tel est le football du Mágico González, un des génies les plus méconnus, un géant venu d’un petit pays qui a toujours écrit sa propre partition.