Cette semaine, c’est la Rivalry Week en Major League Soccer ; une semaine où toutes les rivalités prennent place grâce à une petite organisation au niveau du calendrier. Pour l’occasion, Lucarne Opposée vous fait vivre et vous explique les histoires derrière ces affrontements en cinq volets. Pour ce dernier épisode, focus sur la plus grande de toutes : la rivalité de la Cascadia.

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La Cascadia est une région située à cheval entre le Sud-Ouest du Canada et le Nord-Ouest des États-Unis, entre Portland, Seattle et Vancouver. Elle est le théâtre d’une rivalité, la plus féroce, qui dure depuis plus de quarante ans. Cette région est aussi le bassin du soccer populaire en Amérique du Nord comme le décrit Footballski, en raison du fait que « le football [y] est également le plus populaire car assimilé à un sport de hipster dans des villes qui le sont très fortement ». La Cascadia a adopté le soccer lors des débuts de sa professionnalisation aux États-Unis, durant l’ancienne North American Soccer League des années 70, décennie qui voit naître Seattle Sounders, Portland Timbers et Vancouver Whitecaps. Ces trois clubs rejoignent la MLS à quelques années d’intervalle (Seattle en 2009, les deux autres rivaux en 2011) avec grands succès que ce soit dans les tribunes ou sur le terrain (Portland et Seattle ont remporté le titre national, respectivement en 2015 et 2016). Au point qu’ils définissent ce qui est nommé la « MLS 2.0 », une ligue avec sa propre identité et un succès propre, qui n’est plus juste dominée par le LA Galaxy et DC United. Mais la particularité de cette rivalité, et de la Cascadia Cup qui en prend le nom, est qu’elle fut construite par les supporters des trois équipes, et que le trophée est remis aux fans, non à l’équipe. La compétition se joue pendant les matchs MLS et l’équipe remportant le plus de matchs face à ses rivaux obtient le trophée, qui n’est ni sponsorisé par des compagnies, ni par la ligue.

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Même si les trois villes sont de cette même région montagneuse et proche de la mer, la rivalité prend racine dans leurs différences. Vancouver est le nouvel Hollywood, où les directeurs s’y pressent pour tourner et qui reçoit un nombre important de touriste. Seattle est le hub technologique de la région, un peu comme San Francisco en Californie, abritant des start-ups mais aussi le lieu de création de Boeing ou Starbucks. Finalement, Portland est la ville authentique, où le « fait-main » est roi : iavec une réelle essence hipster sans que ce soit forcé, et une attitude cool naturelle, en témoigne le nombre impressionnant de brasseries indépendantes. La région est connue pour être progressive, de gauche et surtout écologique, mais les trois villes ont donc une certaine empathie (voire jalousie) quant à leurs voisins respectifs.

Les trois groupes de fans à l’origine de la Cup

Cependant Vancouver n’est pas l’adversaire le plus attendu des fans de Cascadia et de MLS en général. Le match de référence, le match historique de la ligue mais surtout de tous les États-Unis, celui qui force l’admiration devant les œuvres d’art créés par les fans pour l’occasion et devant l’intensité physique mise en place par les joueurs, c’est le duel Timbers contre Sounders.

Le duel est présent depuis quarante ans. En North American Soccer League, les Portland Timbers arrivent en 1975. Leur premier match, le tout premier donc de la franchise, se joue face aux Seattle Sounders arrivés un an plus tôt. C’est un nouveau sport pour la population de Portland, et devant son public, le club de la ville perd 1 à 0, sous la pluie et sur pénalty, dans un match qui n’aura pas été le plus beau de l’année, mais qui a suffi à insuffler dans le public de l’amour pour ce sport étrange, et pour cette rivalité. Le deuxième Portland-Seattle se joue la même année, alors que les Timbers sont dans une très bonne série de victoires. Leur General Manager, Don Paul, qui arrivait à amener de nombreux fans au stade, dit alors en interview : « Nous allons montrer à Seattle qui est Soccer City USA ». Ce sera le réel début de la rivalité pour devenir la ville du soccer aux États-Unis, et Soccer City deviendra le surnom de Portland. Le stade est au complet et Portland gagne 2-1, les joueurs créant par ailleurs la tradition du « lap of honnor », où les joueurs allaient saluer et remercier les fans en tribune, une tradition qui perdure aujourd’hui.

Le troisième match se jouera de nouveau cette année 1975, mais à Seattle. C’est la course aux play-offs et les Sounders l’emportèrent 3-2, dans ce qui est une des premières rencontres couvertes par Sport Illustrated, le très influent magazine américain de sport. Le papier fit connaître la rivalité dans tout le pays, et l’histoire du derby continua dans les ligues amateurs qui perdurèrent entre la NASL et la MLS.

En Major League Soccer, il n’y avait que peu de rivalités vraiment hostiles avant l’entrée des trois franchises de Cascadia en 2011, malgré le CaliClassico et l’Atlantic Cup. Portland-Seattle a vraiment une autre dimension, avec notamment des individualités, comme Clint Dempsey, qui propulsèrent les Sounders dans les premières positions de la ligue (avec d’autres joueurs achetés à prix d’or), et de l’autre côté, les exacts opposés à l’image de Nat Borchers, le barbu de Portland. Seattle a gagné dès ces débuts, avec l’US Open Cup 2009, 2010, 2011, et le Supporter’s Shield 2014. D’autres affrontements historiques suivront donc, comme en 2009, en US Open Cup : un match qui restera dans les annales comme « The Red Card Wedding » (Le Mariage des Cartons Rouge). Alors que Seattle doit changer de maillots à la mi-temps (ce qui est déjà rare en soi), les esprits s’échauffent. Pour avoir écrasé un joueur de Portland, Brad Evans se fait exclure à la 64ème minute, et Diego Valeri marque pour les Timbers. Vingt minutes plus tard, alors que les Sounders effectuent leurs trois changements pour recoller au score, Obafemi Martins se blesse, laissant son équipe à 9 contre 11, alors qu’il avait inscrit le but du un partout cinq minutes plus tôt. À la 99ème, en prolongation, Portland marque. De là, le match a pris une tournure compliquée. À la 112ème minute, Michael Azira (Sounders) se voit montré un carton rouge pour un tacle pourtant peu dangereux, ce qui fait réagir Clint Dempsey : ce dernier prend alors le bloc-notes de l’arbitre et le déchire en plusieurs morceaux, ce qui provoqua un dernier carton rouge, l’entraîneur des Sounders, Sigi Schmid, décide de partir de son banc en signe de protestation, tout cela devant le public de Seattle qui sifflait avec force les décisions arbitrales. L’attaquant sera suspendu pendant deux ans de tout match d’US Open Cup.

La compétition de l’US Open Cup n’est d’ailleurs pas un recueil de bons souvenirs pour les Timbers. Lors d’un affrontement entre Portland encore en USL, et les Sounders, alors dans leur première année de MLS, un des joueurs les plus emblématiques de Seattle, Roger Levesque, marque au bout de quarante-cinq secondes devant les fans de Portland, et effectue ensuite la célébration la plus légendaire de l’histoire de Seattle, mimant avec un coéquipier un bûcheron coupant un sapin, rendant fou le public adverse.

Entre la célébration en Sapin de Chad Barrett, le retour incroyable des Sounders à 4-4 grâce à un triplé de Dempsey, et les nombreuses coupes glanées par les Sounders, on pourrait croire que la rivalité ne penche que dans un sens. Sauf que les Timbers ont montré plusieurs fois qu’ils pouvaient accueillir avec sang-froid Seattle et surtout, restent les premiers des deux à gagner la MLS Cup, en 2015. Bien entendu, lors de la célébration qui s’en suivit dans la ville, les supporters étaient en transe, et il n’en fallut pas plus qu’un « Fuck Seattle », lancé par le capitaine des Timbers Will Johnson, pour définitivement narguer les Sounders. Seulement, les moqueries n’ont duré qu’un an, la saison suivante, les Sounders remportaient à leur tour la coupe, l’occasion pour Clint Dempsey de lancer un « Portland can’t say shit » qui restera aussi dans la légende.

Un autre point donne au derby une dimension particulière : la force et l’intensité des supporters des deux camps, réputés comme les meilleurs en Amérique du Nord. Expliquer leur pouvoir au sein des clubs et de leurs communautés demander de remplir des pages de texte, mais s’il ne faut retenir qu’une chose : ce sont eux plus que tout qui donnent les lettres de noblesse à la rivalité, notamment grâce aux nombreux tifos créés qui feraient rougir certains clubs européens, tant ils demandent des heures de préparation. Ainsi, les peintures géantes sur les Beatles, sur la Timbers Army, le King of Clubs, l’Umbrella, le Worst Nightmare, ou le Decades of Dominence ont créé une atmosphère spéciale pendant ces matchs.

Les deux clubs jouent aussi beaucoup sur cette rivalité pour se moquer de leurs adversaires comme l’illustrent les deux vidéos suivantes, produites par les clubs eux-mêmes : un reportage des Seattle Sounders dans lequel le légendaire Roger Lesveques s’en va vanter les mérites de Portland… Maine, une autre ville au même nom, et un faux documentaire (un « mockumentary ») produit par les Timbers narrant la ville où « tout ce qui y est bien en part, comme les Sonics ».

En définitive, SeattlePortland, en Cascadia Cup, c’est LA rivalité d’Amérique du Nord, tant grâce à son histoire que grâce au niveau de ses deux équipes, et ce n’est pas une surprise si c’est ce match qui finira la Rivarly Week cette semaine.

Antoine Latran
Antoine Latran
Rédacteur Etats-Unis pour @LucarneOpposee et @MLShocker, à suivre sur @AntoineLatran et @FrenchSounders