Le 8 novembre 1959, Heleno de Freitas décédait dans l’oubli à seulement trente-neuf ans. L’un des plus grands attaquants brésiliens de l’histoire, aristocrate aux bonnes manières, séducteur avec les femmes, se transformait en un personnage irritant et irritable une fois les crampons aux pieds. Le football brésilien a vu passer de nombreux génies capables de coup de sang, entre caresses avec le ballon, conquêtes féminines dans les soirées alcoolisées et cartons rouges sur le terrain. Par sa complexité et ses sautes d’humeur, Heleno de Freitas est incontestablement l’un des premiers rebelles que le Brésil ait connus.
Dans son livre Uma história das copas do mundo, futebol e sociedade, Airton Farias décrit Heleno de Freitas : « De bonne apparence, les traits fins, de condition sociale aisée, toujours bien habillé. Heleno a eu d’innombrables histoires amoureuses avec des chanteuses et actrices et était habitué aux bals, fêtes et casinos de la nuit carioca. Il a été impliqué dans d’incalculables bagarres et conflits, que ce soit avec des adversaires ou des coéquipiers, sur le terrain ou en dehors. Heleno de Freitas était un mélange d’amour et de haine ». C’était tout cela Heleno de Freitas, qui naît le 12 février 1920 dans la riche ville de São José Nepomuceno, entre Rio de Janeiro et Belo Horizonte. Ses parents ont des postes importants au sein de la República Velha mais Heleno vient au monde de façon difficile, passant même près de la mort, tout comme sa mère. Heleno de Freitas connaît une enfance aisée et souhaite devenir avocat alors qu’il se distingue déjà par ses facilités footballistiques et son caractère bien trempé – même face à ses frères plus vieux – n’acceptant jamais la défaite. Son père meurt en 1931 d’une pneumonie et la famille déménage deux ans plus tard à Rio de Janeiro.
Un caractère déjà bien trempé
Dans la ville merveilleuse, Heleno tombe tout de suite amoureux du Botafogo en assistant aux célébrations du titre dans le championnat carioca. Surtout, Heleno découvre le football de plage à Copacabana aux côtés d’un certain João Saldanha, journaliste historique lié au Botafogo et sélectionneur du Brésil en 1969. À l’époque, Heleno joue défenseur, mais il est déjà connu pour ses coups de sang, étant prêt à se battre à la moindre faute. Poussé par João Saldanha, Heleno de Freitas rejoint Botafogo avec qui il remporte le championnat carioca juvenil, mais les difficultés financières du club entraînent la disparition des équipes de jeunes. Heleno de Freitas rejoint Fluminense, club où il passe attaquant. Heleno se bat toujours avec ses coéquipiers et Fluminense préfère se séparer de son entraîneur uruguayen Carlos Carlomagno plutôt que de perdre son nouveau joyau. Heleno quitte cependant Fluminense suite à un nouveau conflit avec un autre entraîneur uruguayen, Ondino Viera.
Heleno de Freitas retrouve alors son club de cœur, Botafogo. Son contrat stipule qu’il a le droit de suivre des cours d’anglais et de français. Car Heleno c’est aussi cela, un homme de culture, passionné par les livres et qui étudie le droit à Niterói. Un homme toujours vêtu d’un costume impeccable, qui s’achète une Chrysler avec son premier contrat et qui aime fréquenter les théâtres et les bals, rencontrant les jolies filles de la bonne société. Son premier match en professionnel est par contre catastrophique, une défaite 5-1 contre San Lorenzo, où Heleno est remplacé avant même la mi-temps. Heleno retourne trois mois chez les jeunes, avant de retrouver le maillot de l’équipe première face au São Cristóvão, remplaçant l’idole Carvalho Leite, trente-sept ans. Heleno marque les deux seuls buts de la rencontre et lance sa carrière avec le Fogão, choquant adversaires et coéquipiers, comme se souvient Zezé Moreyra, le milieu expérimenté du Botafogo, cité dans la biographie Nunca houve um homem como Heleno, écrite par Marcos Eduardo Neves : « Lors d’un match, j’ai raté une passe et il est venu vers moi pour m’insulter : “Comment tu peux être aussi vieux et ne pas avoir encore appris à faire une passe ? Arrête le foot, va faire du crochet !”. Quand on est entrés dans le vestiaire, je l’ai menacé de lui casser la jambe, mais c’était déjà fini pour lui. Je crois qu’il ne se souvenait même pas de ce qu’il avait dit ».
Heleno remplace Carvalho Leite à la tête de l’attaque du Botafogo, marquant notamment cinq buts contre São Cristóvão en 1941. Un an plus tard, le nouveau président du club, Eduardo Trindade, lui promet 100 000 réis s’il se tient tranquille. Dès le tournoi initial, Heleno est expulsé malgré des matchs de deux fois dix minutes seulement. Au cours du championnat, Heleno se bat avec Osvaldo du Vasco, Lélé de Madureira, Zarci de l’America et lance de la terre au visage de Joel, joueur du Flamengo. Heleno termine meilleur buteur du championnat carioca avec vingt-huit buts en vingt-cinq match, Botafogo ne perd qu’un seul match mais cède pour un petit point le titre à Flamengo. Heleno profite également de la nuit carioca, des casinos et des filles, ce qui renforce sa popularité. « L’athlète a toujours été, dans la vie privée, quelqu’un d’agréable. Il provoquait seulement sur le terrain. Là, oui, il était irascible, provocateur, prétentieux. En dehors du terrain, c’était un gentleman » résume Marcos Eduardo Neves.
Débuts en sélection brésilienne et carioca
Un statut de gentleman remis en question lorsqu’il refuse des autographes à des enfants. Heleno est également suspendu par son club pour être sorti dans le casino d’Urca. L’enfant terrible du football carioca continue de jouer au football de plage à Copacabana mais reste insupportable, en venant même aux mains avec João Saldanha, entraînant ce triste commentaire de Gastão Carvalho : « Personne ne supportait Heleno. À cause de son comportement, il n’a jamais eu un seul véritable ami ». Sa première sélection avec le Brésil, en 1944 au Pacaembu de São Paulo, résume Heleno : entré en jeu, il marque un but avant de donner un violent coup de coude au visage de Morales. Plus tard, à l’hôtel Excelsior, Heleno de Freitas est le plus à l’aise pour converser avec des banquiers et hommes politiques. Heleno retrouve São Paulo à la fin de l’année pour le championnat national des sélections avec une finale entre la sélection paulista et la sélection carioca. À l’aller, Heleno a marqué deux buts au São Januário et les retrouvailles à São Paulo sont tendues, en grande partie à cause d’Heleno. Lorsqu’un journaliste lui demande l’endroit qu’il préfère à São Paulo, Heleno répond : « L’aéroport, car c’est l’endroit le plus proche pour quitter São Paulo ».
Heleno remporte le championnat des sélections et est sélectionné dans la foulée avec le Brésil pour disputer le championnat sud-américain au Chili. Le Brésil se présente avec une équipe d’exception, notamment une attaque composée de Tesourinha, Zizinho, Heleno, Jair et Ademir. Zizinho se souvient parfaitement d’Heleno et de ses dix costumes dans ses bagages : « Je me moquais de lui avec cette histoire, on n’avait pas besoin de cela, mais il me répondait : “Vous êtes comme ça parce que mes costumes sont faits par le même tailleur que Getúlio Vargas” ». L’élégant Heleno de Freitas termine meilleur buteur de la compétition avec six buts en cinq matchs, mais le Brésil s’incline contre l’Argentine et termine à un point du titre. Heleno marque notamment un doublé contre l’Équateur, un match parfaitement démarré par les Brésiliens avec un doublé d’Ademir dans les dix premières minutes. Seule exception au bon début de match, Heleno, comme se souvenait Jair Rosa Pinto pour Marcos Eduardo Neves, dans sa biographie Nunca houve um homem como Heleno : « Quand on prenait un café, il était notre ami. Mais quand il mettait le maillot et entrait sur le terrain, il se transformait, il était différent. Vingt minutes passaient et s’il n’avait pas marqué, comme contre l’Équateur, il hallucinait. Complètement énervé, il est venu près de moi et Zizinho pour dire : “Comment je vais marquer avec les milieux que j’ai là, qui ne me passent pas le ballon ?” Putain, il voulait des milieux meilleurs que nous ? Le gardien Medina, petit mais très agile, avait dit qu’il ne marquerait pas, et il passait ses nerfs sur nous. Quand il a marqué son premier but, il s’est calmé et en a mis un autre. Il nous a présenté ses excuses après ».
Au Chili, Heleno se distingue également par ses rencontres avec les femmes, obligeant même la délégation brésilienne à changer d’hôtel, et ses parties de carte avec ses coéquipiers, acceptant cruzeiros, livres, dollars ou pesos, car il aimait avoir plusieurs types de monnaie dans ses poches. Évidemment, Heleno entre en conflit avec ses partenaires, notamment Jorginho, entré en jeu lors du match contre l’Équateur, comme se souvient Zizinho. « Lors de ce match, Heleno n’a pas arrêté avec Jorginho, qui était mineur […] Il disait qu’il jouait dans une équipe de merde, qu’America n’avait pas de maillots, ce genre de choses. Jorginho était très énervé, il a commencé à pleurer et dans le vestiaire il a cassé une bouteille, attaquant Heleno, on a dû le contenir. Flávio Costa a viré Jorginho, il adorait Heleno. Jorginho n’a plus jamais joué dans l’équipe ». Heleno marque le seul but du match face au pays hôte, le Chili, lors du dernier match du tournoi, les supporters chiliens sortant même les mouchoirs blancs lors du remplacement d’Heleno, surnommé le Diamante Branco, en référence au Diamante Negro Leônidas, qu’il a remplacé avant le championnat sud-américain. Le journal Sport Ilustrado écrit : « Ceux qui espéraient voir Leônidas au Chili ont vu un joueur impressionnant, qui a éclipsé l’attaquant argentin Pontoni, et est devenu le meilleur attaquant du tournoi ».
Grâce à ces performances, Heleno reçoit une offre de Newell’s Old Boys et s’empresse de répondre : « Il est quasiment impossible que je quitte le Brésil, car mon cœur serait blessé deux fois. En plus d’être brésilien, il est botafoguense ». Un Botafogo qui va se renforcer avec les arrivées de Gerson, Tim et Otávio alors que Heleno rejoint le « clube dos cafajestes » au restaurant Alvear, l’un des lieux les plus bohèmes de Rio, où il est en compagnie du compositeur Paulo Soledade, de Carlinhos Niemeyer ou encore Edu, pilote de l’armée. Malgré les renforts au Botafogo, le club échoue une nouvelle fois dans le championnat carioca, une compétition qu’Heleno n’a encore jamais remporté. Le Diamante Branco aura cependant l’occasion de se venger de l’Argentine à la fin de l’année 1945. Heleno est laissé sur le banc lors de la défaite au match aller, Flávio Costa le punissant après une nouvelle sortie nocturne. De retour dans l’équipe titulaire, Heleno clôt la marque au São Januário lors de la victoire 6-2 face à l’Argentine, plus large victoire brésilienne de l’histoire face au rival argentin. Trois jours plus tard, il ouvre cette fois le score, permettant au Brésil de remporter la Copa Roca.
La belle aura lieu en Argentine quelques semaines plus tard, lors du championnat sud-américain 1946. Lors du dernier match du tournoi, l’Argentine a besoin d’un nul face au Brésil pour remporter le titre. Le match a lieu dans un climat hostile, le joueur argentin Battagliero, dont la jambe avait été brisée par Ademir lors de la Copa Roca, se présente avant le match au public, déjà enflammé. Lorsqu’à la demi-heure de jeu Jair blesse Salomón, une bagarre générale éclate, obligeant les joueurs brésiliens à se réfugier au vestiaire. Le chef de la délégation demande aux joueurs de revenir sur le terrain, ce qu’ils font après avoir hésité. L’Argentine s’impose 2-0 et décroche un nouveau championnat sud-américain. Le palmarès d’Heleno en sélection se limitera à des compétitions amicales contre l’Argentine et l’Uruguay.
Des buts, des polémiques, mais pas de titres
De retour au Botafogo, Heleno reste fidèle à lui-même. Il marque beaucoup, six buts face à Canto do Rio, son record en carrière, et est expulsé dès la première mi-temps face à Fluminense. Contre Flamengo, Heleno remplace en défense Gerson et prend au marquage Perácio, qu’il finit par frapper, précipitant la défaite du Botafogo. Le garçon terrible du football brésilien s’en prend également à son jeune coéquipier, Braguinha, âgé de dix-neuf ans, qu’il critique régulièrement à cause de son niveau limité. Lorsque ce dernier rate une touche, Heleno le regarde, désabusé : « Putain, Braguinha, même pas avec la main ? ». Quand Braguinha est annoncé titulaire, Heleno dit dans le vestiaire : « Il va jouer ? Tant mieux pour lui, mais je ne lui donnerai pas le ballon. Pourquoi ? Il ne le rend jamais ! ». Botafogo a l’occasion de remporter enfin le championnat carioca, mais s’incline face à Fluminense lors de la dernière journée. Encore raté pour un Heleno de Freitas prêt à se battre avec les supporters de Fluminense. Si Heleno termine pour la sixième année consécutive meilleur buteur du Botafogo, il ne parvient toujours pas à gagner un titre pour le club de l’étoile solitaire.
Lors de la finale du championnat brésilien entre São Paulo et Rio de Janeiro, il s’en prend à Orlando, surnommé le « Bouton d’or » : « Tu n’es pas un bouton d’or. Tu es un bouton de merde ». Heleno est lui surnommé Doutor Heleno par ses coéquipiers lorsqu’il reçoit son diplôme de droit. Des partenaires pas toujours épargnés par Heleno, notamment l’ailier portugais Rogério, insulté « d’étranger de merde » et qui rentre rapidement au Portugal, exaspéré par le comportement d’Heleno. Toujours côté surnom, le « clube dos cafajestes » utilise désormais pour Heleno le surnom de Gilda, personnage explosif interprété par Rita Hayworth dans un film éponyme. Le surnom est repris par des supporters adverses, notamment ceux du Fluminense, à qui Heleno montre ses parties génitales et fait semblant de se passer de la poudre de riz. « Heleno disait des choses que l’on ne peut pas répéter, des choses qui mettaient fin à la patience de n’importe qui. Mais, en dehors du terrain, il oubliait ce qu’il avait dit et se transformait en gentleman » explique son coéquipier Otávio.
Heleno commence à sniffer de l’éther et parle de moins en moins. Contre l’America, il marque deux buts mais Botafogo concède l’égalisation. Heleno s’énerve et hurle sur tout le monde, entraînant les reproches de l’entraîneur uruguayen Ondino Viera, qui lui dit : « Si tu continues comme ça, tu seras responsable du résultat ». En fin de match, Heleno pense marquer de la tête, mais le gardien Osni détourne en corner. La suite est racontée par le journaliste Vargas Neto dans le Jornal dos Sports. « Il devait rester une ou deux minutes. Heleno a fait semblant de se désintéresser du corner, sortant de la surface pour faire ses lacets. Tous les défenseurs étaient préoccupés par Nilton, un milieu costaud, grand et bon de la tête. Tous ont gêné Nilton, qui a laissé le ballon passer. Heleno est entré dans la surface comme un cheval de course et le ballon est allé vers lui. Osni a sauté les bras en l’air, mais Heleno, tout en haut, a donné un coup de tête et a envoyé le ballon au sol, dans le petit filet. Je ne sais même pas comment il a pu faire ça ». Le but de la victoire entraîne également l’admiration d’un autre journaliste du Jornal dos Sports, Mário Filho. « Heleno explique à lui tout seul la victoire du Botafogo. Si le Botafogo n’avait pas eu Heleno, ou si Heleno avait été dans un autre jour, en train de réclamer, de perdre la tête, il n’aurait pas gagné le match. Et Heleno a dû gagner le match deux fois ». Heleno perd cependant la tête en allant voir son entraîneur après son troisième but pour lui hurler : « Et maintenant, fils de pute d’étranger, j’aimerais te voir me responsabiliser ! ».
Baladé de club en club
Ondino Viera quitte le club, ajoutant que Botafogo ne gagnera jamais rien avec Heleno. Alors qu’il dispute son dernier match avec la Seleção (dix-huit matchs, tous sous la direction de Flávio Costa, quatorze buts), Heleno fait part de son mal être au Botafogo et de son souhait de rejoindre Vasco. Suspendu un mois, Heleno revient finalement au Fogão, qui accepte ensuite une offre du club argentin de Boca Juniors. Heleno quitte le Botafogo après 209 buts en 235 matchs. Et aucun titre. Pour son premier match en Argentine, Heleno marque deux buts, le dernier sur une passe de son compatriote Yeso Amalfi, qui l’avait recommandé à la direction. Mais dès le deuxième match, De Freitas, comme il est connu en Argentine, s’embrouille avec Amalfi et est proche de se faire expulser. Heleno retourne à Rio de Janeiro pour se marier avec Ilma devant ses amis du « clube dos cafajetes » ainsi que des hommes politiques et magistrats. En Argentine, Heleno trompe rapidement Ilma, on lui prête même une liaison avec Eva Perón, la femme du président argentin. Le craque problema se met à dos ses coéquipiers qui l’ignorent pendant les matchs et s’embrouille avec l’entraîneur Lazzatti. Heleno marque tout de même sept buts en dix-sept matchs, mais demande à rentrer au Brésil.
Le rêve d’Heleno est de retourner au Botafogo, qui a, comme un signe du destin, enfin remporté le championnat carioca pour la première année sans Heleno. Le Diamante Branco est reçu par le président du Botafogo, Carlito Rocha pour un entretien de trois heures. Heleno est en difficulté financière après avoir beaucoup gaspillé en Argentine, mais il se montre toujours aussi arrogant. Carlito Rocha refuse de le reprendre et Heleno est recruté finalement par le Vasco, où il retrouve son historique entraîneur en sélection nationale, Flávio Costa. Dès son premier entraînement, Heleno quitte la séance en plein milieu, pointant du doigt plusieurs coéquipiers. « Ces deux-là ne me donnent pas le ballon parce qu’ils ne veulent pas, et ces deux-là parce qu’ils ne savent pas jouer. Je n’ai rien à faire ici ». Heleno débute finalement face à Arsenal et marque deux buts pour son premier match officiel, face à São Cristóvão. Heleno devient père pour la première fois en juin 1948, mais ne se calme pas, trompant et humiliant Ilma. Il sniffe du lança-perfume, un produit à base de chloroéthane, mais marque de nombreux buts dans le championnat carioca. Suspendu pour le match du titre, Heleno revient pour le dernier match du championnat, face à son Botafogo, et offre à Ademir le premier but du match. Vasco termine champion en étant invaincu avec dix-huit victoires et seulement deux matchs nuls, et 84 buts marqués. Heleno remporte enfin le championnat carioca, le seul titre en club de sa carrière. Vasco se dirige ensuite à Porto Alegre pour échanger les écharpes de champions avec Renner, vainqueur du championnat gaúcho, comme se souvient Flávio Costa. « Lors du match contre Renner, j’ai été obligé de le sortir à cause de l’excès de problèmes qu’il causait sur le terrain avec ses propres coéquipiers. Après le match, je l’ai pris à l’écart pour lui dire que sa carrière au Vasco était terminée. Il n’a pas eu la moindre réaction, car en dehors du terrain, il était d’une éducation exemplaire ».
Heleno rejoint alors l’Eldorado colombien et le Junior Barranquilla, entraîné par le Brésilien Tim. Face au Millonarios d’un certain Di Stéfano, Heleno marque d’un but d’une frappe de quarante mètres. Il est apprécié des supporters, malgré les résultats moyens de Junior. Depuis la Colombie, Heleno s’en prend à la sélection brésilienne qui vient de perdre la Coupe du Monde 1950 à domicile, visant particulièrement l’entraîneur Flávio Costa : « Si j’avais été à la tête de l’attaque, le Brésil n’aurait pas perdu ce Mondial. Je connais bien les Uruguayens et Obdulio Varela n’aurait pas fait avec moi la moitié de ce qu’il a fait à notre attaque […] Nous avons perdu à cause de l’entraîneur, qui a pris dans sa sélection une bande de peureux, incapables de réagir. Une bande de faibles, peureux et castrés ». Heleno attaquera même Flávio Costa avec un pistolet, mais sera désarmé par le sélectionneur. En Colombie, Heleno sniffe toujours autant, le lança-perfume et de l’éther, sa femme le rejoint pour donner une nouvelle chance au couple mais Heleno s’occupe peu de son fils. Ilma le quitte définitivement, Heleno quitte lui un match décisif à la mi-temps, sans raison. Son contrat est rompu le lendemain, Santos lui offre un contrat mais Heleno s’entend mal avec ses coéquipiers dès son premier entraînement. L’attaquant Odair Titica résume tristement la situation : « Heleno est un mauvais élément pour n’importe quel club au Brésil. Son caractère gâche ses qualités techniques en même temps qu’il implante la discorde entre ses partenaires ».
Seul Raul Martins, fan d’Heleno et dirigeant de l’America, veut encore offrir une chance au joueur. Il propose même de payer la différence entre le salaire réclamé par Heleno et le salaire offert par le président. Heleno, avec six kilos en trop, débute en équipe réserve face à l’équipe première et est impliqué sur les quatre buts marqués. Les nombreux forfaits en attaque de l’America force l’entraîneur à aligner précipitamment Heleno pour un match contre São Cristóvão. Le 4 novembre 1951, Heleno dispute son premier match au Maracanã. Dès le début de la rencontre, Heleno dribble deux joueurs et subit une faute. Immédiatement, Heleno s’énerve. Il bouge peu sur le terrain, crie beaucoup sur ses partenaires. Après seulement vingt-cinq minutes de jeu, il est expulsé pour conduite antisportive à l’encontre de ses propres coéquipiers. En sortant, il tente encore d’agresser un photographe. Heleno sèche une semaine d’entraînement, revient comme si de rien n’était, mais son contrat est rompu. Heleno a disputé son dernier match au Maracanã, son dernier match en carrière.
La disparition d’une légende
La suite ne sera qu’une longue liste de tristes anecdotes. Toujours dépendant à l’éther, Heleno enchaîne les hôpitaux psychiatriques, où on le diagnostique à tort maniaco-dépressif. Il porte une camisole de force alors que le « clube dos cafajestes » s’éloigne de lui. Heleno plonge dans la folie, parle tout seul et se sent persécuté. Il confond les personnes, ne reconnaît pas sa mère, s’enfuit des cliniques. Il se rend tous les jours au centre d’entraînement du Botafogo, pensant qu’il joue encore au club. À Copacabana, il paye des personnes pour qu’elles le frappent le plus fort possible au visage. Heleno tente de se suicider et en 1954, on lui diagnostique enfin une syphilis nerveuse, une maladie sexuellement transmissible, qu’il aurait attrapée plusieurs années auparavant. Une maladie à un stade avancé, qui progresse et qui est irréversible. Il subit un lourd traitement, il ne reconnaît plus ses proches et ne vit plus dans la réalité, mangeant du papier ou ses vêtements autrefois si élégants. Heleno perd beaucoup de poids, ne parle plus. Heleno meurt un dimanche, le 8 novembre 1959, à trente-neuf ans. Dans sa ville natale de São João Nepomuceno, les commerces et écoles sont fermés, mais aucun dirigeant de la CBD, de la Metropolitana ou du Botafogo ne se déplacera pour l’enterrement. Parmi la presse carioca, Ângelo Gomes sera le seul à assister aux funérailles de celui qui est toujours le quatrième meilleur buteur de l’histoire du Botafogo.
Le lendemain de son décès, le journaliste français Albert Laurence, écrit pour Última Hora. « Heleno de Freitas a été le plus grand avant-centre que nous avons vu en quasiment un demi-siècle à fréquenter les stades de football du monde entier. Le plus grand, au moins, dans notre conception personnelle de la merveilleuse et difficile position de commandant de l’attaque. Le plus grand parce qu’il synthétisait parfaitement, à notre avis, la combinaison idéale du center-forward européen classique, destructeur de défenses, et celle du joueur brésilien, d’une habileté extraordinaire. Le plus grand parce qu’il était, en une seule fois, un combattant terrible et un cérébral, liant l’intelligence de jeu et l’inspiration géniale à l’esprit de lutte et la rage de vaincre, possédant la malice et l’efficacité, tirant des deux pieds et jouant de la tête magnifiquement ». Armando Nogueira rend également hommage à Heleno à sa mort : « Heleno de Freitas, le crack aux plus belles expressions corporelles que j’ai vues dans un stade est mort, sans gestes, d’une paralysie progressive et repose aujourd’hui au cimetière de São José Nepomuceno, où il est né un jour pour jouer la propre vie dans un match sans mi-temps entre la gloire et la déchéance ». Heleno de Freitas n’aura pas eu une renommée internationale à la hauteur de son talent, la faute peut-être à l’absence d’une participation à la Coupe du Monde, d’abord à cause de la guerre, puis à cause de sa déchéance alors qu’il avait seulement trente-et-un ans en 1950. Avec le meilleur buteur du championnat sud-américain 1945 dans son effectif, peut-être que le parcours brésilien aurait été différent, bien que le palmarès collectif d’Heleno reste très maigre en club également. Heleno laisse en tout cas derrière lui l’image d’un joueur caractériel, d’un démon sur le terrain. « Heleno avait la gueule de Rodolfo Valentino et l’humeur d’un chien enragé » écrivait Eduardo Galeano. Car Heleno était aussi un parfait gentleman en dehors du terrain, séducteur avec les femmes et à l’aise avec les hommes les plus riches du Brésil. « Il enseignait les bonnes manières mêmes aux directeurs du Botafogo. Il y avait des personnes au club de General Severiano qui devant Heleno, se sentaient mal vêtus, socialement inférieurs » écrit Mário Filho dans son livre O Negro no futebol brasileiro avant de poursuivre : « L’élégance d’Heleno au siège social ou dans une réunion, disparaissait sur le terrain », ne laissant place qu’aux buts, gestes techniques et expulsions.
Initialement publié le 8/11/2020, dernière mise à jour le 8/11/2022