Au début du XXe siècle, un grand président de fédération et un joueur écossais révolutionnent le football en Uruguay, bien aidés en cela par une formidable génération de footballeurs. En 1912, l'Uruguay répand les premières poussières d'étoile, en prenant la main sur son adversaire de toujours, l'Argentine. Récit d'une époque lointaine.

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La Uruguay Association Football League (UAFL) est fondée le trente mars 1900 à l'initiative d'Henry (Enrique) Lichtenberger, Franco-brésilien de vingt-sept ans à l'époque et fondateur du club d'Albion FC. Ce dernier souhaitait depuis quelques années déjà imiter les Argentins et fonder une ligue uruguayenne regroupant les clubs locaux et organiser ainsi un championnat. Sept ans après la première tentative de 1894, c'est chose faite en cette fin d'été de 1900. Les clubs qui accompagnent Lichtenberger sont évidemment Albion, mais aussi le CURCC de Villa Peñarol, Deutscher FK et Uruguay Athletic Club. La nouvelle ligue est aidée par les entreprises étrangères propriétaires des moyens de transports en commun, qui voient d'un bon œil ce public qui paie durant les week-ends pour aller à l'autre bout de la ville (le stade du CURCC est à onze kilomètres du centre-ville par exemple) et voir vingt-deux hommes taper dans un ballon. Les premiers duels opposent le CURCC, club d'une entreprise étrangère, à Albion, club fondé par l'aristocratie. Nacional rejoint la ligue en 1901 et supplante petit à petit Albion dans le rôle de l'équipe des joueurs locaux et indépendants d'une entreprise étrangère. En attendant, le football uruguayen est marqué par une certaine instabilité en comparaison au voisin argentin. La naissante UAFL (ancêtre donc de l'AUF) connaît cinq présidents en six ans, un pays qui souffre par ailleurs d'une guerre civil (en 1904), alors que côté argentin, Francis Boutell reste à la tête de la naissante fédération argentine, pilier de l’institutionnalisation du football de l'autre côté du Rio de La Plata. Boutell soutient la création de la Fédération Uruguayenne et lance l'idée d'un premier tournoi de clubs entre ceux jouant à Buenos Aires, Montevideo et Rosario, le Tournoi Competencia. Belgrano Athletic Club, de Buenos Aires, remporte la première édition (au bout de cent trente-sept minutes de jeu, après prolongations). Boutell et Lichtenberger sont amis, malgré vingt-deux ans d'écart, car Boutell a longtemps vécu à Montevideo avant de partir sur l'autre rive. C'est l'amitié entre les deux qui permet l'organisation d'un premier match entre deux « sélections ».

Le jeudi 16 mai 1901, sur le terrain d'Albion FC, une sélection de l'Uruguay composée principalement de joueurs d'Albion, mais aussi du Nacional (mais sans aucun joueur du CURCC car ces derniers sont tous salariés de l'entreprise britannique et ne sont pas libérés) affrontent une sélection de joueurs argentins. La presse uruguayenne donne un large écho à la rencontre, alors que la presse argentine semble l'ignorer. C'est pourtant bien le premier match entre deux équipes de deux pays différents en dehors du Royaume-Uni. En avance dans le développement de son football et de ses équipes, l'Argentine bat l'Uruguay sur le score de trois buts à deux. Grâce à une forte proximité géographique, bien rare en Amérique du Sud, qui permet de partir un soir en train à vapeur, de traverser le Rio de la Plata et de pouvoir jouer dès le lendemain, le clásico entre l'Uruguay et l'Argentine était né.

Dès 1903, ces confrontations internationales sont institutionnalisées, avec la création d'un trophée, qui sera désormais joué tous les 15 août. Le distributeur de thé Lipton appuie la démarche et finance la compétition. Des règles sont établies, indiquant notamment que seuls les joueurs nés sur le territoire du pays qu'ils représentent pourront participer (élément important, à une époque où de nombreux ouvriers britanniques ou écossais jouaient encore dans les équipe et dans les sélections des deux pays). En 1906 commence aussi à être organisée la Copa Newton, coupe identique à la Copa Lipton, mais durant laquelle les joueurs nés à l'étranger peuvent participer. La première édition est remportée par l'Argentine le 21 octobre 1906, avec notamment un joueur argentin Héctor Henman, qui avait joué en 1904 pour une sélection d'Afrique du Sud. Comme nous l'avons vu, l'Argentine domine fortement les premières confrontations entre les deux pays. Des sept matchs joués entre les deux pays jusqu'en 1907, cinq ont été remportés par l'Argentine, un seul par l'Uruguay. La seule victoire de l'Uruguay remonte au 13 septembre 1902, à Buenos Aires, quand l'équipe de Nacional entière représente l'Uruguay et bat l'Argentine sur ses terres. Le septième match pourrait être considéré comme un match nul, car il fut arrêté en raison d'une luminosité insuffisante, selon le livre Héctor Gómez : un hombre de acción, d'Atilio Garrido. Au niveau des clubs, seuls les Argentins gagnent les sept premières éditions, entre Alumni, Rosario Athletic et Belgrano Athletic. Mais en Uruguay, en 1907, un homme prend la présidence de la fédération et choisi un chemin différent : Héctor Rivadavia Gómez.

Héctor Rivadavia Gómez et le sens du football

La première décision de Gómez est de revoir l'organisation de la ligue. Un nouveau règlement est édicté afin de faire respecter l'organisation mise en place et faire cesser certaines dérives des premières années durant lesquelles des clubs avaient cru pouvoir arrêter des matchs ou se retirer de la ligue en cours d'année. Ses réformes sont adoptées par tous les clubs et pour la première fois, grâce à son travail et à son action, un président, lui-même, est réélu à son poste. Les clubs s'ajoutent petit à petit à la ligue uruguayenne, pour rejoindre le nombre de dix équipes en 1908, et une seconde division est lancée pour accueillir toutes les équipes de quartier qui commencent à s'inscrire. Le championnat devient un vrai championnat, institutionnalisé et de nouvelles équipes s'imposent comme Wanderers ou le River Plate FC. Mais en plus de l'organisation, Gómez prend des décisions sur le jeu en tant que tel en Uruguay. Il n'y a pas à l'époque de directeur technique ou de sélectionneur, que ce soit dans les clubs ou pour la sélection, le choix des joueurs est alors fait par les dirigeants. En Argentine, les clubs et la sélection suivent un modèle anglais, notamment grâce, ou à cause, des vingt-huit rencontres jouées entre 1904 et 1909 par des équipes anglaises (Everton, Southampton ou Tottenham notamment) à Buenos Aires. C'est un football que le qualifierait aujourd'hui de kick and rush, où la défense relance très rapidement vers l'avant en cherchant l'attaquant au loin, espérant de lui un exploit.

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John Harley, le premier centrojás

Le 12 octobre 1908, le CURCC de Villa Peñarol (que nous appellerons par la suite et par soucis de simplification Peñarol, car c'est ainsi que le club était alors mentionné dans les médias) joue un match amical en Argentine contre le club de Ferrocaril Oeste. Peñarol gagne le premier match matchs quatre buts à rien, grâce notamment à un triplé de José Piendibene. Du côté argentin, on retrouve un vieux joueur connu du côté de Peñarol et qui est sur le point de mettre fin à sa carrière en Argentine, James Buchanan, Écossais ayant marqué les premières années du club carbonero. Côté argentin, au poste de « Centre half », numéro cinq comme on le dirait en Uruguay ou l'équivalent de milieu récupérateur aujourd'hui, joue un autre Écossais, John Harley. José Piendibene l'observe et est émerveillé par la qualité de son football à base de passes courtes, de jeu brut. Dans le livre Historia de Peñarol, de Luciano Álvarez, il est décrit comme « petit, à la démarche chaloupée, qui par une espèce de magie, sans courir beaucoup, réussit à contenir les attaquants rivaux et à sortir la balle au ras du sol à son compagnon le mieux situé, attaquant ou défenseur ». Lors de la revanche à Montevideo le 25 octobre de la même année, Peñarol s'impose un à zéro sur un but de Pedro Perucho Zibecchi. Pourtant, selon la presse, le meilleur joueur sur le terrain n'est ni Zibecchi, ni Juan Pena, mais bien à nouveau l'Écossais Harley. Sur la recommandation de Piendibene, Peñarol commence alors immédiatement à discuter avec le joueur pour l'embaucher au sein du Ferrocarril Central del Uruguay, pour qu'il devienne joueur de Peñarol. C'est chose faite pour 1909 et Harley s'installe donc en Uruguay. Il y apporte une vision du football, qui n'est pas celle de l'Angleterre mais celle de l’Écosse : le jeu par passes à ras-de-terre. C’en est fini d'envoyer de très longs ballons vers l'un des attaquants pour que ce dernier tente de tromper le gardien en deux touches. Harley récupère le ballon et passe en général à l'un des trois « centraux » dont le jeu se rapproche ainsi de ce que nous pourrions voir aujourd'hui des milieux de terrain. Harley est aussi le premier joueur uruguayen d'une longue tradition de milieu, qu'aujourd'hui nous qualifierions de défensif alors qu'il était bel et bien créatif dans sa vision du jeu, le premier d'une lignée qui inclura d'autres joueurs de Juan Delgado au grand Obdulio Varela en passant par Nestor Tito Gonçalves. Dans ce Peñarol, les pointes ne sont plus sur les ailes, les joueurs de couloirs reculant légèrement, mais ce sont bien les attaquants axiaux qui occupent la tête du triangle. Dès 1909, à Peñarol puis en Uruguay, le triangle d'attaque est inversé. Pour être précis, on ne parle pas de triangle mais d'attaque en éventail, avec un attaquant de pointe et beaucoup plus de joueurs qu'avant dans le cœur du jeu. John Harley change non seulement la façon de jouer en Uruguay, mais il est également un fervent adepte du fair-play, tirant un penalty volontairement à côté en 1913 contre Central Español quand il pense que son équipe a été favorisée par l'arbitre. Dès son arrivée, Gómez voit dans le football d'Harley l'avenir de ce sport et de la sélection. Il fait appel à lui pour redorer le blason de l'Uruguay après de nombreuses défaites contre le voisin argentin. La première sélection d'Harley a lieu le 10 octobre 1909 en terres argentines. L'Uruguay perd trois buts à un, mais une révolution est en marche.

Le football uruguayen est né un 15 août 1910

Le 12 juin 1910, pour la Coupe du Centenaire de l'Argentine, l'Uruguay s'est fait étriller à nouveau quatre buts à un par les Argentins, sans Harley. Durant la même compétition, l'Uruguay bat le Chili trois buts à rien (les Chiliens ayant eu cinquante-deux heures de train pour arriver à la capitale argentine et prendre huit buts en deux matchs). Il s'agit du premier tournoi que l'on pourrait qualifier de sud-américain, six ans avant le premier tournoi officiel. En août, la Copa Lipton se joue à Montevideo, comme tous les ans, mais le natif de Glasgow ne peut pas participer au onze uruguayen. Malgré tout, Gómez, qui a été impressionné par l'année qu'a effectué l'Écossais à Peñarol, reproduit le schéma avec un autre joueur, José Durán à qui il demande de jouer de la même façon : un joueur clef au milieu, un jeu à base de passes courtes et une attaque en éventail. L'Uruguay joue avec cinq joueurs d'attaque dont José Piendibene, et tente de mettre en place ces consignes. Au stade Belvedere, à l'époque terrain de Wanderers, et alors que pour la première fois de son histoire l'Uruguay joue en maillot couleur celeste, l'Uruguay s'impose trois buts à un. L'attaque, composée de Módena, Dacal, Piendibene, Carlos Scarone et Zibechi, émerveille l'Uruguay. La Celeste jouait en bleu ciel sur suggestion de Ricardo Le Bass, délégué de Wanderers auprès de l'AUF, qui avait repris un maillot utilisé par River Plate FC lors d'une victoire historique contre Alumni, les deux équipes jouant en rouge et blanc, River Plate FC avait utilisé pour la première fois cette couleur bleu ciel et cette dernière lui avait porté bonheur. Footballistiquement, avec ce match, « l'influence d'Harley a été décisive en Uruguay dans la modification de notre technique et de notre tactique du football » indique César Gallardo, auteur de Historias de Futbol. Pour la première fois, l'Uruguay termine l'année 1910 avec un solde positif contre les Argentins, ayant aussi gagné un match contre Alumni. La révolution est confirmée dès 1911, avec la victoire uruguayenne à Buenos Aires lors de la Copa Lipton suivante, deux buts à zéro, but de Piendibene et de Dacal. En Uruguay, la révolution écossaise touche également le championnat local, Peñarol étant champion avec huit points d'avance sur River Plate FC, gagnant ses deux affrontements contre Nacional de la saison quatre buts à zéro et sept buts à trois.

Le football de 1912

Le 15 août 1912, pour la première fois cette année-là, l'Uruguay et l'Argentine se retrouvent à nouveau, cette fois au Parque Central, pour une nouvelle Copa Lipton. L'Uruguay ne peut toujours pas compter sur Harley pour cette coupe, mais peut compter sur une attaque composée de José Piendibene, Carlos Scarone et Ángel Romano. Au milieu, Durán gère les attaques adversaires. La presse uruguayenne, citée dans « 100 años de Futbol », écrit « le match a été brillant, sans précédents dans nos annales sportives. […] Les attaquants, guidés par Piendibene, furent une force consciente et puissante, dont les efforts se conjuguaient vers le but adverse ». Pour la troisième fois d'affilée, l'Uruguay gagne la Copa Lipton, sur des buts de Dacal et Scarone, mais l'épopée ne fait que commencer. Le 22 août, l'Uruguay reçoit de nouveau l'Argentine pour la Copa Honor, sorte de revanche de la Copa Lipton. Malgré, ou à cause de nombreux changements côté argentin, l'Uruguay s'impose trois buts à rien, buts de Dacal, Scarone et Romano. La presse uruguayenne raconte : « Le match a été supérieur à celui de la Copa Lipton, notamment parce que les joueurs argentins ont été supérieurs à ceux d'une semaine auparavant, générant plus de jeu au milieu et plus de combinaisons en attaque. Face à un tel adversaire, qui avait fait des changements, dans un souci de revanche, l'équipe uruguayenne a compris qu'elle devait multiplier ses efforts. Le match d'hier a donc été une lutte de haut vol, une bataille au corps à corps. Il n'y a malgré tout pas eu de violence, qui aurait pu prouver que quelqu'un n'avait pas sa place sur le terrain.À la façon de jouer, on pourrait dire que les deux équipes méritaient d'être comme elles étaient sur le terrain. Les deux équipes ont bien combiné, avec précision, surtout l'Uruguay, car leurs adversaires, comme ils en ont l'habitude, ont sacrifié plus d'une fois la passe pour des actions individuelles, jeu qui n'est plus de cette époque ». Un journal argentin précise que « l'équipe uruguayenne est un ensemble d'une admirable harmonie. Bonne défense qui soutient l'attaque, excellente ligne d'attaque, d'une maîtrise technique absolue ».

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Sauver l'honneur

En 1912, le football argentin entre en crise. En plus de la vieille ligue argentine, une fédération dissidente apparaît et, le 22 septembre, l'Uruguay présente son effectif habituel pour jouer une argentine affaiblie au vieux stade du Gimnasia y Esgrima. L'Argentine se replie en défense pour essayer dans ces circonstances difficiles de conserver le zéro à zéro, mais José Piendibene, après un magnifique dribbling, trompe le gardien argentin. Troisième victoire d'affilée de l'Uruguay, cette fois en terres argentines. La Nación indique: « Nous n'avions jamais vu sur les terrains argentins une attaque qui combine de tel façon aussi parfaite et lucide. […] Nous avons sans doute déjà eu des individualités plus brillantes, mais le collectif que nous avons vu hier surpasse tout ce que nous avons pu voir sur les bords du Rio de La Plata ».

Le 6 octobre, une dernière rencontre internationale est organisée à Buenos Aires pour « sauver l'honneur » des Argentins. L'Uruguay mène rapidement deux buts à rien par Romano et Dacal, mais le football est déjà ce sport impitoyable qu'il est et ce qu'il sera toujours : l'Uruguay se relâche et, avant la pause, Arnoldo Watson Hutton (fils du fondateur de la fédération argentine) trompe Saporiti d'une frappe lointaine. Au retour des vestiaires, l'Argentine continue de surprendre avec deux buts coup sur coup de José Viale, bien parti depuis son côté gauche. L'Argentine est sur le point de surprendre l'Uruguay et de créer la surprise, menant trois buts à deux. Mais en toute fin de match, sur une magnifique passe plein axe, Durán trouve Piendibene. Ce dernier attire les deux frères Juan et Jorge Brown, défenseurs centraux de l'Argentine, et décale Héctor Scarone qui trompe le gardien argentin. L'honneur est sauf pour l'Argentine qui aurait pu encaisser sa quatrième défaite de l'année. Mais le principal demeure : par son jeu, l'Uruguay prend l'ascendant sur l'Argentine grâce à un onze légendaire, un président de fédération ayant réorganisé le football, et un Écossais jouant la balle au sol. C'est cette base qui permettra à l'Uruguay de dominer l'Argentine encore et encore en 1916, 1928 et 1930. En cette année 1912, d'autres matchs sont organisés avec soit avec des équipes B, soit contre des équipes qui ne sont pas des « sélections nationales ».  

Un onze de légende

Sur ces quatre matchs, le onze de l'Uruguay a très peu bougé. Cayetano Saporiti dans les cages, José Benincasa et Martín Aphesteguy en défense centrale. Jorge Pacheco, José Maria Durán et Alfredo Foglino au milieu de terrain. Vicente Módena, Pablo Dacal, José Piendibene, Carlos Scarone et Ángel Romano en attaque. Certains joueurs ont laissé une empreinte modeste. José Durán par exemple a été loué comme un joueur exceptionnel de l'année 1912, avant finalement en 1913 de choisir des études de droit et d'arrêter le football à vingt-trois ans. Beaucoup ont poursuivi leur carrière au niveau national comme le défenseur Benincasa, surnommé l'infranchissable, neuf fois champion d'Uruguay durant ses vingt ans de carrière. Il ne sera pas champion d'Amérique du Sud, mais son frère Miguel si, en 1916. Carlos Scarone sera lui bien champion d'Amérique du Sud en 1917 et 1920 (en plus de neuf titres de champion avec Nacional), mais c'est son frère qui restera un peu plus dans l'histoire en remportant les titres de 1924, 1928 et 1930. Côté gardien, Cayetano Saporiti gardera longtemps le record de sélections pour un gardien, jusqu'à Rodolfo Rodríguez dans les années quatre-vingts. Il était connu pour déjà beaucoup crier et, ce qui peut paraître basique aujourd'hui, pour être capable de facilement se saisir du ballon à une époque où les gardiens jouaient souvent avec les points. Il jouera jusqu'à 1919, ou sur la fin de sa carrière il sera tragiquement remplacé par Roberto Chery.piendibene

Enfin, l'équipe dispose de deux cracks, deux joueurs différents, José Piendibene et Ángel Romano. José Piendibene, de trois ans l'aîné, était l'attaquant star de cette équipe. Il avait été surnommé le Maestro par un défenseur argentin d'Alumni et disposait d'un sens du but incroyable. Cinq fois champion d'Uruguay avec Peñarol (environ cinq-cents matchs pour deux-cent-cinquante-trois buts), trois fois champion d'Amérique du Sud (en jouant vraiment deux championnats en tant que titulaire), il aurait dû être Champion du Monde en 1924. Malheureusement, le schisme du football uruguayen met un terme prématuré à sa carrière internationale. Il a malgré tout révolutionné tactiquement le football uruguayen, en se repliant souvent plus bas en « faux numéro neuf » pour pouvoir toucher infiniment plus le ballon que ce qu'un attaquant normal faisait à l'époque. Avec Harley, ils ont révolutionné tactiquement le football uruguayen, d'abord avec Peñarol puis avec l'Uruguay, ce football qui brillera tant, sans lui, à Paris. Il conserve quelques records, comme celui de meilleur buteur du clásico du Rio de la Plata, avec dix-sept buts marqués aux Argentins.

À ces côtés, se trouve le loco Ángel Romano, celui dont on dit qu'il était capable de tellement dribbler qu'il en oubliait de marquer. Attaquant multifonction, capable de jouer à tous les postes à une époque où les rôles sont plutôt bien établis, il fait partie de ces joueurs dont la technicité a permis à l'Uruguay de l'époque de se développer et de s'envoler vers la gloire internationale. Il déclarera bien des années après : « quelle équipe que cette équipe de 1912 ! C'était la meilleur de toutes. romano Et j'ai joué pour Nacional en 1917, 1924 ou pour la tournée de 1925. Mais des comme cette équipe je n'en ai pas revues. Módena et Dacal, quels ailiers ! Ils rentraient toujours et ça jouait à toi à moi. Quelle intelligence Módena, comment il jouait avec la balle ! Et Piendi ! Avec Carlos Scarone on jouait de mémoire, il jouait entre le back et le half adverse (NDLR : entre les lignes défensives et du milieu) ! C'était du football ! ». Il est l'un des premiers, à dix-huit ans, à quitter l'Uruguay pour aller jouer à Boca Juniors. Malgré l'époque amateur, son contrat lui offre la maison, la pension complète, cent-cinquante pesos par semaine et un emploi dans une société « amie », Bunge y Borne, où il fait semblant d'aller travailler. Il ne reste qu'un an à Buenos Aires avant de revenir au Nacional et de remporter huit titres avec le club bolso, au sein duquel il restera jusqu'à la fin de sa carrière. Il sera du voyage à Paris en 1924, devenant champion du monde à trente et un ans, douze ans après cette fameuse année de 1912.

John Harley jouera beaucoup pour Peñarol, mais assez peu avec l'Uruguay, dix-sept sélections dont beaucoup de moindre importance, ne pouvant jouer la fameuse Copa Lipton. Mais sa capacité à jouer au sol sur des passes courtes dans le cœur du jeu a révolutionné d'abord Peñarol puis le football de l'Uruguay. Il travaillera toute sa vie au sein du Ferrocaril Central et restera un fan de Peñarol jusqu'à la fin. Il est enterré dans sa terre d'adoption, en Uruguay.

1912 est la dernière année de Gómez à la tête de l'AUF. Il redevient ensuite pendant un temps simple délégué, mais ses relations avec la fédération argentine et les liens noués lors des premiers tournoi sud-américains officieux comme celui du centenaire de l'Argentine seront la clef pour son action future, la fondation de la CONMEBOL en 1916 et l'obtention par l'Uruguay de l'organisation de la première Coupe du Monde de Football en 1930. Il reste l'un des plus grands dirigeants de l'AUF de l'histoire.

 

 

Initialement publié le 18/06/2020, dernière mise à jour le 15/08/2022

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba