L’histoire de Teodoro Fernández est sans doute le plus important chapitre de l’histoire du football péruvien. Né quasiment au début de l’arrivée du football au Pérou, il a vécu son évolution et a participé à son essor avant d’y laisser une trace indélébile.

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Épisode 1: l’enfant prodige de Hualcará

L’hacienda de Hualcará

L’histoire commence le matin du 20 mai 1913 dans une hacienda située à environ cent-cinquante kilomètres au sud de Lima, proche de la ville de San Vicente de Cañete. Ce jour-là, Doña Raymunda Meyzán, épouse de Tomás Fernández, donne naissance à son cinquième enfant qui sera nommé en hommage à son grand-oncle maternel, Teodoro. Après Alberto, José, Arturo et Eduardo, c’est donc un nouveau garçon de la famille Fernández-Mayzán qui vient prêter main forte pour les travaux de l’Hacienda Hualcará administrée par le père. Tomás Fernández Ciscneros est le fils d’un immigré sévillan, Tomás Fernández y Rodrigo, venu prospérer au Pérou dans les années quatre-vingts du XIXème siècle. Sa qualité de bilingue anglo-espagnol acquise en ayant vécu ses jeunes années dans le royaume de la reine Victoria, lui a permis de travailler en qualité de traducteur pour la British Sugar Company dirigée par un Augusto Leguía, futur président du Pérou. Profitant de ses bonnes relations, Tomás Fernández y Rodrigo envoie son fils dans une des haciendas cañeras, où était produit le sucre de canne, de la Peruvian Sugar Company. C’est donc dans ce décor que le jeune Lolo Fernández pousse ses premiers cris puis, plus tard, ses premiers ballons.

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Famille Fernández-Meyzán (Lolo est le troisième debout en partant de la gauche)

Le football est déjà bien présent au Pérou au début du XXème siècle et les frères Fernández s’y donnent à cœur joie en jouant avec des boules de chaussettes et même des vessies de porc avant d’obtenir enfin un vrai ballon de cuir. Avec ce ballon, le jeune Lolo s’entraine à frapper de plus en plus fort contre le mur en quincha de l’église de Hualcará jusqu’à y faire un trou. Les habitants du village sont stupéfaits et se demandent comment un enfant peut dégager une telle puissance. Il se trouve que le ballon avait impacté le mur à l’endroit où une alcôve laissait un vide à l’intérieur de l’église facilitant ainsi son effondrement. Mais l’histoire fait déjà le tour de la région et une légende est née. À ses dix ans, Lolo débute officiellement sous les couleurs du Huracán Hualcará le 30 août 1923 contre l’Alianza San Vicente. Grâce à son attirance pour le but, il se convertit en goleador de l’équipe en enchaînant but sur but. Lors d’une rencontre, il marque à douze occasions car le gardien adversaire préférait éviter ses tirs surpuissants, ce qui renforce une nouvelle fois la légende de surhomme. Il s’épanouit dans cet environnement rural où rien ne lui manque : famille, amis et football. Sa passion pour le ballon rond prend son importance lorsque Lima accueil le tournoi Sudamericano en 1927. Un évènement sportif de cette ampleur n’avait jamais eu lieu au Pérou qui construit un grand stade de vingt mille places pour l’occasion, le Stadium, ancêtre de l’actuel Estadio Nacional. Quelle fierté pour le jeune Lolo et le peuple péruvien d’accueillir une compétition internationale de football qui voit défiler les plus grands joueurs du continent. Malheureusement, loin de Lima et à une époque où les matchs ne sont pas encore retransmis à la jeune Radio Nacional del Perú, notre jeune Teodoro se contente seulement des commentaires de ceux qui avaient vu les matchs. La lourde défaite pour le premier match officiel de la sélection péruvienne face aux médaillés d’or uruguayens, la première victoire de l’histoire face aux Boliviens et la nouvelle défaite contre l’Argentine malgré un golazo du géant Alejandro Villanueva.

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La sélection péruvienne entre sur la pelouse du Stadium pour le match contre l’Uruguay lors du Sudamericano 1927

À 16 ans, ses parents décident de l’envoyer étudier dans la capitale comme ses frères ainés. C’est ainsi qu’il débarque à Lima en 1929 dans une ville alors en pleine expansion pour se convertir en une capitale moderne. Même s’il avait beaucoup entendu parler de la modernité de Lima par ses frères déjà installés, chaque voiture qui passait, chaque grande avenue avec ses lumières impressionnent le jeune Lolo. Il est inscrit au collège Residencia de Estudiantes, dirigé par le recteur Elías Ponce Rodríguez, reconnu pour motiver ses élèves à la pratique du sport. Alors, Lolito joue au football dès que possible, c’est-à-dire, matin, midi et soir dans le patio du collège. Des matchs intenses entre les internes et les externes avaient lieu dans un terrain plus grand en face du collège. De temps en temps, un certain Plácido Galindo, un des fondateurs de la Federación Universitaria, venait en spectateur et ne passait pas inaperçu aux yeux de Lolo qui rêvait d’intégrer une équipe de football. Surtout que son frère Arturo, de sept ans son ainé, jouait déjà pour Ciclista Lima au poste de back central. Il était encore trop tôt pour penser football, car il fallait déjà se concentrer sur les études mais pour faire patienter son frère, Arturo l’invite en tribune au fameux Stadium lors d’un match amical entre son équipe, Ciclista Lima et les Chiliens de Colo-Colo en tournée à Lima pour renforcer les liens entre les deux pays. Quelques mois avant, le Pérou et le Chili avait signé un traité qui restituait la ville de Tacna au Pérou perdue pendant la Guerre du Pacifique.

1929, c’est aussi l’année de la douzième édition du Sudamericano qui a lieu en Argentine. C’est aussi le premier tournoi que Lolo arrive à suivre en léger différé par télégramme en se rassemblant avec les autres supporters devant les principaux médias liméniens disposant de cette technologie. Il connait alors ses premières déceptions de supporters avec trois lourdes défaites contre l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Un tournoi raté en partie causé par l’absence des joueurs de l’Alianza Lima qui avaient refusé d’être convoqués après un conflit les opposant à la fédération. Difficile en effet de se passer de cadors comme José Maria Lavalle, Juan Valdivieso, Demetrio Neyra et surtout du goleador Alejandro Villanueva. L’Alianza Lima sera sanctionnée et suspendue pour le championnat de 1929. Pendant ce temps, la Federación Universitaria profite de l’absence de la meilleure équipe du moment pour se couronner championne pour la première fois de son histoire. Quelle joie pour le jeune étudiant Lolo Fernández de voir l’équipe universitaire remporter un titre qui efface l’amertume laissé par le Sudamericano. Son allégresse ne s’arrête pas là car l’histoire avec le club Federación Univeristaria ne fait que commencer. À la fin de l’année, une nouvelle faisait sauter de joie la famille Fernández-Meyzán : l’ainé Arturo signe chez le champion, l’équipe de l’université, le club de cœur du jeune Lolo ! Encore mieux, dans l’optique de faire prospérer sa famille, Arturo a posé ses conditions pour quitter le Ciclista Lima : le club universitaire devra aussi s’attacher les services de ses frères José et Teodoro. La Federación Universitaria accepte de faire passer un essai aux frères Fernández pour intégrer l’équipe réserve. Alors qu’un doux rêve prend forme pour un jeune Lolo de dix-sept ans, sans le savoir le club crema va bientôt signer sa future idole.

La gloire de mon frère

Après l’église de Hualcará et les jeunes gardiens des équipes de San Vicente de Cañete, Lolo fait une nouvelle victime pour son premier match d’essai. Il frappe tellement fort aux buts qu’il fracture le doigt du gardien de la réserve, Guillermo Gastañeta. Les dirigeants sont impressionnés par le petit frère d’Arturo et décident de sécuriser une bonne fois pour toute l’avenir de ce jeune prodige en le signant contre douze livres, soit l’équivalent de nos jours d’une quarantaine d’euros. Pendant que les frères Fernández débarquent à la U, un nouvel évènement sportif mondial se profile. Il ne s’agit plus de Jeux Olympiques mais bien d’un tournoi international uniquement consacré au football qui aura lieu en 1930 dans la République Orientale d’Uruguay. Le Pérou y est invité et souhaite absolument participer à ce rassemblement historique du football mondial. Pour mener à bien les intérêts sportifs du Pérou, la fédération de football voit les choses en grand et nomme celui qui avait été le tout premier sélectionneur de la grande Espagne, le dénommé Paco Bru. Pour composer son équipe, Bru s’appuie sans surprise sur le meilleur club du moment et grâce à son titre fraichement remporté, la Federación Universitaria place plusieurs de ses joueurs en sélection nationale. La liste finale est très attendue chez les Fernández-Mayzán car Arturo fait figure de favoris pour y faire partie. Coup de tonnerre ! L’ainé des Fernández ne figure pas dans la liste des convoqués par le maestro Paco Bru, la faute à un budget très restreint par le Comité Sportif Péruvien qui limite la délégation à seulement dix-huit joueurs laissant sur le carreau deux joueurs de la U. La Federación Universitaria s’est finalement chargé elle-même de couvrir les coûts pour que ses deux joueurs puissent garnir les rangs de la sélection. C’est comme cela qu’Arturo Fernández et un attaquant du nom de Luis Souza ont également pu rejoindre l’Uruguay. Soulagement pour Arturo et émotion pour Lolo qui voit son frère devenir un mondialiste.

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La sélection péruvienne lors du Mondial de 1930.

C’est vers fin juin, début juillet que Lolo, empli de fierté, salue son frère qui part pour Montevideo qui s’installe dans le quartier de Pocitos avec la sélection péruvienne. Pour cette historique première Coupe du Monde, le Pérou est dans le groupe de la Roumanie et du pays hôte, l’Uruguay. Pour leur premier match, les Péruviens sont surpris par le froid intense de Montevideo. Depuis Lima, Lolo suit attentivement les télégrammes qui arrivent au fur et à mesure avec des nouvelles loin d’être rassurantes. Le match vient à peine de commencer que les Roumains inscrivent le premier but. Les hommes de Paco Bru sont dépassés dans le jeu et l’expulsion de Placindo Galindo à la 25e ne fait qu’empirer la situation. Lorsque l’arbitre chilien, Alberto Warnken, porte le sifflet à sa bouche pour mettre fin au match, Lolo et la foule liménienne sont abasourdis par le score de trois buts à un. Le but de Luis Souza, qui avait été convoqué sur le fil, sauve l’honneur des péruviens mais est surtout historique pour être le premier de la sélection dans une Coupe du Monde. Pour le deuxième match, le Pérou à l’honneur d’inaugurer le stade Centenario le 18 juillet 1930 face à l’Uruguay. Entourés de cinquante mille spectateurs acquis à la cause uruguayenne, les Péruviens jouent d’égal à égal face aux doubles champions olympiques mais perdent sur la plus petite des marges avec un seul but inscrit par Héctor Manco Castro. Malgré la défaite, le Pérou est fier d’avoir pu regarder dans les yeux cet Uruguay qui se hisse en finale tout comme l’Argentine. La sélection bicolore reste à Montevideo pour suivre le dénouement de ce dernier match passionnant et historique qui a des airs de match de barrio entre voisins du Rio de la Plata. La finale est arbitrée par le belge John Langenus, considéré par les observateurs « just as good as in England » et qui exige qu’un bateau se tient prêt au port pour être exfiltré vers l’Europe en cas de débordement des Sud-américains. Aucun incident majeur ne précipite le départ de notre arbitre belge et après une finale qui a tenu toute ses promesses avec un beau duel et un score final quatre buts à deux, les Uruguayens soulèvent le trophée Jules Rimet.

Pour Arturo Fernández, il est temps de quitter la magnifique ville mondialiste de Montevideo pour rejoindre Lima. À son arrivée au port du Callao, une multitude d’embarcations escortent le bateau de la sélection jusqu’aux quais bondés de monde. Dans cette foule venue accueillir les mondialistes, Lolo retrouve son frère, son idole. C’est maintenant à son tour de commencer sa carrière.

Romain Lambert
Romain Lambert
Parisien expatrié sur les terres Inca, père d’une petite franco-péruvienne, je me passionne pour le football de Lima à Arequipa en passant par Cusco. Ma plus forte expérience footballistique a été de vivre le retour de la Blanquirroja à une coupe du monde après 36 ans d’absence.