En 2004, le Brésil et l’Argentine s’affrontent en finale de la Copa América, une première depuis 1937. Grâce à un but au bout du temps additionnel du meilleur buteur du tournoi, Adriano, le Brésil remporte la Copa América face au plus grand rival.

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En raison de la formule du championnat sud-américain, ancêtre de la Copa América, les finales entre le Brésil et l’Argentine ont été rares au cours de l’histoire. À l’époque, il y avait une poule unique, où tout le monde affrontait tout le monde et seulement en cas d’égalité entre deux équipes, une finale était disputée. Ce fut le cas en 1937, où l’Argentine et le Brésil s’affrontent en match d’appui deux jours après la victoire de l’Argentine sur le Brésil en poules, remettant les deux équipes à égalité. En prolongation, l’Argentine s’impose 2-0 à domicile dans un match âprement disputé et interrompu quarante-cinq minutes en raison d’une bagarre générale. Au cours du XXe siècle, les deux équipes se sont affrontées plusieurs fois lors du dernier match du championnat sud-américain, offrant ainsi une « finale » au tournoi. Avec une constante, l’Argentine championne, comme ce fut le cas en 1925, 1946, 1957 ou 1959. En 1991, l’Argentine remporte la Copa América au terme d’un tour final disputé entre quatre équipes. Le Brésil termine deuxième, handicapé par sa défaite face à l’Argentine dès le premier match du tour final. Le championnat sud-américain 1937 reste donc le seul du XXe siècle à avoir offert une véritable finale BrésilArgentine.

En 1993, le format change à nouveau, avec une vraie finale entre deux équipes, comme ce fut le cas lors des éditions entre 1975 et 1987. L’Argentine élimine le Brésil en quarts de finale et remporte ce qui est encore aujourd’hui sa dernière Copa América au terme d’une finale contre le Mexique. Le Brésil prend sa revanche deux ans plus tard, à nouveau en quarts de finale, mais s’incline cette fois en finale, face à l’Uruguay. Le troisième quart de finale entre les deux plus grands ennemis a lieu en 1999, le Brésil s’impose 2-1 grâce à des buts de Rivaldo et Ronaldo et retrouve en finale l’Uruguay pour conserver son titre acquis en 1997. L’Argentine refuse de participer à l’édition suivante, en 2001, en raison du manque de sécurité en Colombie, alors que le Brésil sort dès les quarts, après une triste élimination face au Honduras, qui avait justement pallié le forfait argentin.

Une Seleção reformulée

Le Brésil s’avance avec confiance vers l’édition suivante en 2004 au Pérou, fort de son statut de champion du monde. Et même triple champion du monde, puisque comme les Brésiliens aiment le rappeler, la Seleção remporte en 2003 les Coupes du Monde U17 et U20. Le Brésil doit cependant passer par les éliminatoires de la Coupe du Monde, la FIFA n’attribuant plus de place automatique au champion en titre. L’occasion de retrouver l’Argentine, qui a fait le choix de la continuité en maintenant Marcelo Bielsa comme sélectionneur malgré l’élimination au premier tour de la Coupe du Monde 2002. Au Mineirão, le Brésil écrase l’Argentine 3-0 avec trois penalties provoqués et transformés par Ronaldo. Dix ans après son dernier match au Mineirão sous les couleurs de Cruzeiro, Ronaldo rejoint Pelé et Rivaldo parmi les joueurs brésiliens à avoir inscrit un triplé contre l’Argentine. C’est donc un Brésil confiant qui se présente au Pérou, malgré l’absence de certains cadres, autorisés par Carlos Alberto Parreira à profiter de vacances prolongées. L’Argentine envoie elle ses meilleurs joueurs afin de gagner un titre qui lui échappe depuis 1993.

Sans Ronaldo, le titulaire à la pointe de l’attaque brésilienne est un joueur de vingt-deux ans, Adriano. Présenté comme le successeur de Ronaldo, Adriano a fait six bons mois à l’Inter après un prêt convaincant à Parme. Il débute réellement en Seleção en 2003 après un seul match joué en 2000 lorsqu’il évoluait encore au Flamengo. Il marque son premier but face au Nigeria, mais joue peu en raison du retour au premier plan de Ronaldo. Adriano ne compte que sept sélections avant le premier match de la Copa América, remporté 1-0 face au Chili grâce à un but de Luís Fabiano. Même sans plusieurs champions du monde, comme Cafu, Roberto Carlos, Ronaldinho, Rivaldo ou encore Ronaldo, le Brésil reste une équipe incroyable, avec des joueurs d’exception. À l’image de son maître à jouer, capitaine et numéro 10, Alex, qui délivre trois passes décisives face au Costa Rica. Adriano en profite avec un fabuleux triplé, dont un but après avoir éliminé le gardien, à la manière du Fenômeno. La défaite lors du dernier match de poules, face au Paraguay, est sans conséquence, le Brésil file en quarts de finale.

Dans le groupe A, l’Argentine a impressionné, avec des victoires 6-1 sur l’Équateur et 4-2 contre l’Uruguay, mais a également subi un revers, 1-0 face au Mexique. Le Mexique retrouve justement le Brésil en quarts de finale mais craque rapidement avec un penalty provoqué par Adriano et transformé par Alex. En seconde période, Adriano marque deux buts, une frappe en force pied gauche et un but après avoir à nouveau dribblé le gardien. En fin de match, Adriano réalise une somptueuse talonnade pour Ricardo Oliveira, qui n’a plus qu’à pousser le ballon au fond des filets pour porter le score à 4-0, résultat final. L’Argentine s’impose de son côté sur la plus petite des marges face au Pérou grâce à un but de Carlos Tévez, qui ouvre également le score en demi-finale face à la Colombie, finalement battue 3-0. Le Brésil obtient son ticket pour la finale dans la douleur, Adriano égalise en début de seconde période face à l’Uruguay et le match se joue aux tirs au but. Adriano transforme le sien, Júlio César en arrête un et Alex envoie le Brésil en finale, face à l’Argentine.

Au bout du temps additionnel

En conférence de presse avant la finale, Carlos Alberto Parreira met la pression sur l’Argentine et son obligation de gagner, rappelant que le Brésil a un jeune groupe et que le principal est de préparer la Coupe du Monde 2006. Au contraire du Brésil, l’Argentine a en effet envoyé la grosse équipe avec des joueurs comme Gabriel Heinze, Roberto Ayala, Javier Zanetti, Juan Pablo Sorín et les futurs « Brésiliens », Andrés D’Alessandro, Javier Mascherano et Carlos Tévez. Soixante-sept ans après la dernière finale d’un championnat sud-américain entre le Brésil et l’Argentine, les deux équipes se retrouvent au stade Nacional de Lima pour une nouvelle finale. L’Argentine ouvre le score grâce à un penalty de Kily González à la vingtième minute de jeu et, comme un signal, le Brésil égalise juste avant la mi-temps, Luisão reprenant de la tête un coup franc d’Alex.

Le match est tendu et va se jouer dans les dernières minutes. À la 87e minute, César Delgado permet  à l’Argentine de reprendre l’avantage et de se rapprocher d’un premier titre depuis 1993. Les Argentins provoquent les joueurs brésiliens, à l’image de Carlos Tévez qui tente un elastico près du poteau de corner, ce qui va irriter le sélectionneur brésilien Carlos Alberto Parreira, mais aussi Marcelo Bielsa qui sort Tévez juste après. Dans le temps additionnel, le commentateur brésilien Galvão Bueno semble résigné : « Certaines défaites sont difficiles dans l’histoire, mais ce n’est pas le cas de celle-ci. La Seleção ne savait pas si elle pouvait arriver en finale, elle y est arrivée et a affronté une Argentine qui a été meilleure, pas seulement sur ce match, mais dans tout le tournoi. Elle a mis quatre buts à l’Uruguay, trois à la Colombie en demi-finale. Elle a envoyé l’équipe principale car elle n’était pas bien dans les éliminatoires ». Galvão Bueno est interrompu par un ultime centre de Diego dans la surface, à vingt secondes du coup de sifflet final. Adriano récupère le ballon et d’instinct, frappe en force. Le Brésil revient miraculeusement à 2-2.

Du rêve au cauchemar

Comme une évidence, le Brésil remporte la séance de tirs au but, Adriano ouvrant parfaitement la séance pour la Seleção. Avec sept buts, dont le but le plus important du tournoi, Adriano est élu meilleur joueur du tournoi et termine meilleur buteur, loin devant les trois buts du trio Javier Saviola – Kily González – Carlos Bueno. En 2021, pour Players Tribune, Adriano revenait sur ce match : « Chaque Brésilien se souvient de ce match. On perdait contre ces enfoirés dans les dernières minutes. Ils faisaient de l’antijeu, se moquaient se nous, essayaient de rentrer dans nos têtes pour gagner du temps. Luís Fabiano voulait frapper tout le monde. “Oublie le match, on va les défoncer”. Ce qui s’est passé ensuite, c’était comme un rêve. Un film, une musique, je ne sais pas, mais ça ne semblait pas être la réalité. Un ballon en hauteur, une confusion, des corps, des coups de coude. Je ne voyais rien ! Si tu regardes la vidéo, j’envoie mon coude pour toucher quelqu’un. Et le ballon arrive sur mon pied. Un cadeau du ciel. Je te mentirais si je te disais que je savais où je visais. J’ai juste frappé avec le pied gauche, le plus fort possible. Et voilà, bisous du gros pour les Argentins ! Le ballon a fait trembler les filets et je ne saurais expliquer la sensation. Incroyable. On a juste égalisé mais on savait qu’on leur avait fait mal. On savait ce qui allait se passer aux tirs au but. Juan a mis le sien et c’était bon, on était champions, l’Argentine non. Battre l’Argentine de cette façon, pour mon pays, avec ma famille qui regarde le match… C’est sûrement le plus beau jour de ma vie. Comment je pourrais ne pas penser que Dieu a baissé sa main du ciel pour toucher ma vie ? ».

La vie d’Adriano va pourtant basculer seulement neuf jours plus tard. « J’étais de retour en Europe avec l’Inter. J’ai reçu un appel de la maison. Ils m’ont dit que mon père était mort, une attaque cardiaque. Je ne voulais pas parler de ça, mais je vais te le dire, après ce jour, mon amour pour le football n’a plus jamais été le même. Il aimait le football, alors j’aimais le football. C’est aussi simple que ça. C’était mon destin, quand je jouais au football, je jouais pour ma famille. Quand je marquais, je marquais pour ma famille. Donc quand mon père est mort, le football n’a plus jamais été le même. J’étais de l’autre côté de l’océan, en Italie, loin de ma famille et je n’arrivais pas à gérer tout ça. J’étais si déprimé, j’ai commencé à boire beaucoup. Je n’avais pas envie de m’entraîner. Ça n’avait rien à voir avec l’Inter, je voulais juste aller à la maison. Pour être honnête, même si j’ai marqué beaucoup de buts en Série A pendant des années, et même si les supporters m’aimaient réellement, je n’étais plus heureux. C’était mon père, je ne pouvais pas simplement appuyer sur un bouton et me sentir le même à nouveau ».

Adriano va vivre quelques très belles saisons avec l’Inter Milan et rejoue une finale contre l’Argentine, un an après la Copa América. Le doublé d’Adriano en finale permet au Brésil de battre l’Argentine 4-1, Adriano termine une nouvelle fois meilleur buteur et meilleur joueur d’un tournoi avec la Seleção. En 2007, Brésil et Argentine se retrouvent pour une nouvelle finale de la Copa América, avec une nouvelle goleada brésilienne, sur le score de 3-0. L’Argentine se consolera avec les Jeux Olympiques. Vainqueur en 2004, juste après la défaite contre le Brésil (Carlos Tévez termine meilleur buteur du tournoi avec huit buts), l’Argentine conserve son titre en 2008. En demi-finale, l’Argentine de Lionel Messi et Juan Román Riquelme corrige le Brésil 3-0. Depuis, Brésil et Argentine se sont retrouvés une seule fois en Copa América. En 2019, dans une demi-finale jouée au Mineirão, le Brésil bat l’Argentine 2-0 et file vers un nouveau titre de la Copa América remporté à domicile. Avant de répéter l’histoire au Maracanã ?

 

Crédit photo : imago/Stellan Danielsson

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.