Il existe des soirées, où un joueur transcende les limites du terrain pour entrer dans la légende. Le 9 novembre 1980, un jeune prodige alors âgé de vingt ans nommé Diego Armando Maradona écrivait l’un des premiers grands chapitres de son histoire.

Tout commence par des mots, des paroles imprudentes prononcées par Hugo Gatti, le gardien de but âgé de trente-six ans, considéré comme une légende de Boca Juniors. Le 31 octobre, à quelques jours du match comptant pour la 12e journée du Torneo Nacional opposant son Boca à Argentinos Juniors, Gatti se lâche lors d’une interview donnée au journal El Litoral au sujet d’un jeune dont tout le monde parle, Diego Armando Maradona : « Savez-vous ce qui m’inquiète ? Son physique…J’ai le sentiment que dans quelques années, il ne pourra plus contenir sa tendance à être un petit gros ». Le terme utilisé, « gordito » est reçu comme une provocation par Diego.

Déjà inarrêtable

En 1980, Maradona est déjà l’objet de toutes les attentions. Le jeune meneur de vingt ans arbore le numéro 10 et porte le brassard de capitaine du Bicho. Mais surtout, il ravage déjà les défenses du pays : meilleur buteur du Metropolitano 1978 (vingt-deux buts), il reste sur une saison 1979 au cours de laquelle il inscrit vingt-six buts en vingt-six matchs (douze lors du Metropolitano – meilleur buteur, quatorze lors du Campeonato Nacional – meilleur buteur) et à l’issue de laquelle il est élu joueur de l’année. Cette même année, il prend sa revanche sur sa non convocation pour la Coupe du Monde organisée au pays par un titre décroché lors du championnat du monde des moins de vingt ans dont il est le meilleur joueur. La polémique des déclarations de Gatti enfle, ce dernier s’excuse même avant le match : « J’espère que Diego m’a compris. À aucun moment, je n’ai voulu dire qu’il était grassouillet, j’ai juste dit qu’il devrait prendre soin de son physique. Il est le meilleur joueur du pays ». Reste que les mots de Gatti ont touché Diego. Le matin du match, il regarde Miguel Ángel López, l’homme qui l’a lancé, et lui dit « je vais lui mettre quatre buts ».

Récital à Amalfitani

Leader de la Zone B, Argentinos se présente au José Amalfitani de Vélez pour affronter un Boca à cinq points derrière. Le récital Maradona ne met pas longtemps à débuter. À peine deux minutes se sont écoulées avant le premier éclair : el Pelusa contourne Ruggeri par une série de dribbles impressionnants, qui suscite les applaudissements des supporters. Il enchaîne avec des passes subtiles, des talonnades pour Carlos Vidal et Pedro Magallanes, démontrant sa facilité déconcertante à échapper à ses adversaires. Dans ses pas, le Bicho prend l’initiative, génère des situations dangereuses sur coups de pied arrêtés. Boca met un quart d’heure pour reprendre le contrôle de la rencontre, Mario Zanabria se montre au milieu, Carlos Randazzo est dangereux des deux côtés du terrain avec le soutien efficace de Jorge Coch, créant ainsi quelques opportunités. Leurs efforts portent leurs fruits lorsque D’Angelo commet une faute sur Hugo César Coscia dans la surface, offrant un penalty pour Boca que Jorge Ribolzi converti à la 20e minute. La joie est de courte durée. Trois minutes plus tard, Diego sort de nouveau de sa boite, il tente une passe en cloche dans la surface et provoque la main d’Hugo Alves, conduisant à un autre penalty. El Díez égalise d’un tir audacieux plein centre.

Diego est lancé. Trois minutes plus tard, il est de nouveau fauché par Abel Alves, sur le coup franc, Silvano Espíndola donne l’avantage au Bicho. Malgré une défense de Boca qui surveille Maradona de près, le génie argentin continue à influer sur le jeu, génère des dangers. Mené au score, Boca est contraint d’intensifier son attaque, mais souffre d’un manque de précision ainsi que d’un marquage parfois douteux face à son adversaire. À la 32e minute, Zanabria obtient un coup franc à l’entrée de la surface et égalise d’une frappe puissante. À cinq minutes de la pause, Oscar Ruggeri fauche Maradona. Le numéro 6 xeneize est averti par l’arbitre de la rencontre, Juan Carlos Loustau, mais il commet une nouvelle faute quelques instants plus tard sur Diego et se voit sermonné par l’arbitre, l’expulsion n’est pas loin. Le coup franc est très excentré sur la droite. Maradona prend le ballon et observe Gatti. Pour le commun des mortels, il n’y a pas d’angle pour un tir direct, un centre est le choix logique. Mais Maradona n’était pas un joueur ordinaire. Il frappe directement le coup franc et le dépose dans la lucarne droite de Gatti. 3-2 en faveur d’Argentinos. Le but est tellement impressionnant que même les supporters de Boca applaudissent !

Le second acte est marqué par le retour du soleil, ajoutant une touche de beauté supplémentaire au duel. Sous cette lueur bienvenue, Argentinos Juniors se lance de nouveau à l’attaque. Pedro Pasculli sert parfaitement Maradona au cœur de la défense xeneize. Avec son élégance caractéristique, le numéro 10 s’emmène le ballon avec la poitrine puis décoche un tir du pied gauche avec une puissance calculée pour déjouer le gardien Hugo Gatti, permettant ainsi au ballon de pénétrer paisiblement dans le but vide. 4-2, triplé de Diego. Ce but met en exergue les failles défensives de Boca, qui laissait des espaces béants et peinait à contenir l’ardeur du capitaine adverse. Peu après ce quatrième but, les Xeneizes tentent de riposter, le jeune attaquant Ricardo Gareca entre peu avant l’heure de jeu, mais le duel Maradona – Gatti se poursuit, parfois avec quelques intermédiaires comme Vidal ou Pasculli. Réduit à dix après l’exclusion de Jorge Ribolzi, Boca est devenu une proie facile. Ne reste plus à Diego qu’à remplir sa promesse, il le fait à l’entrée du dernier quart d’heure après une nouvelle incursion plein axe qui lui permet d’obtenir un coup franc à l’entrée de la surface. Alors que Gatti organise son mur, Diego prend son élan, décoche un tir puissant mais avec suffisamment d’effet pour que la balle contourne le mur et termine sa course dans le coin supérieur du but. 5-2 Argentinos, quadruplé pour el Díez. Le spectacle offert par l’équipe de La Paternal est total. Vaincu et abattu, Hugo Gatti reste impuissant face à la vengeance totale d’un Maradona irrésistible, indomptable, génial, immortel. Si Boca réduit quelque peu l’écart en fin de partie par Ricardo Gareca, le 5-3 final confirme la suprématie d’Argentinos Juniors dans ce groupe et entérine l’élimination de Boca.

La réponse de Dieguito fait évidemment les gros titres de tous les journaux du pays, renforçant encore davantage la perception de son exceptionnalité. Cette performance exceptionnelle a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire du football argentin, le match confirmant alors ce que beaucoup avaient déjà pressenti : Maradona est destiné à devenir une légende de ce sport, une icône du football argentin et mondial.

Diego continue à briller avec Argentinos Juniors. Malgré ses dix-huit buts, Maradona ne parvient pas à offrir le titre au Bicho, éliminé en quarts de finale par Racing, futur finaliste. Il termine l’année 1980 avec un cinquième titre consécutif de meilleur buteur du championnat (ses dix-huit buts s’ajoutant aux vingt-cinq inscrits lors du Torneo Nacional), une première dans l’histoire du football argentin. De son côté, l’année suivante, Hugo Gatti perd sa place de titulaire à Boca. Une année 1981 qui voit le club azul y oro être emmenée par un nouveau numéro 10, Diego Maradona. Gatti finit récupérer sa place, Diego ne passe qu’une saison à ses côtés, son histoire s’écrivant ensuite en Europe. Bien que la prédiction d’El Loco concernant l’embonpoint de Maradona se soit finalement avérée exacte, il a sans doute retenu une leçon ce jour-là : ne jamais sous-estimer ni provoquer un prodige de vingt ans, capitaine de son équipe, capable de gestes techniques et de buts extraordinaires et répondant au nom de Diego Armando Maradona.

 

 

Initialement publié le 14/08/23, dernière mis à jour le 09/11/24. Avec Nicolas Cougot

Vincent Dupont
Vincent Dupont
Éperdument amoureux d'une région où fútbol est synonyme de religion, sur les rives du Rio de la Plata j'assouvis ma passion.