Le quartier de La Teja est Progreso et Progreso est La Teja. Les gauchos du Pantanoso, le Pantanoso étant une rivière du quartier, et leurs couleurs sang et or sont la fierté de ce quartier populaire et ouvrier, de gauche, comme l'ancien président du club et du pays Tabaré Vázquez. Le club a connu la gloire en 1989 avant de connaître la déroute en 2010, et de renaître plus fort. Toujours plus fier d'être du quartier de La Teja. Voici son histoire.

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La Teja fait partie de ce groupe de quartiers dont on vous a déjà parlé lors des articles sur Fénix ou Rampla Juniors qui se sont développés au début du vingtième siècle à l'ouest de Montevideo. La Teja est en effet situé entre le quartier de Capurro et celui du Cerro, deux autres bastions industriels et ouvriers uruguayens. En 1841, une grande usine de salaison des viandes est installée du côté de La Teja (les viandes uruguayennes ont besoin d'être abondamment salées pour être embarquées par bateau vers le monde entier à une époque où il n'y a pas de réfrigérateurs). Mais rapidement, cette industrie subit une importante transition vers la mise en boîte de la viande, cette dernière n'est plus salée, mais mise en conserve dans des entrepôts frigorifiques. Ces entrepôts nécessitant beaucoup d'espace, ils s'installent dans le quartier du Cerro, et les terrains de l'usine de salaison sont repris en 1914 par l'entreprise nationale des produits pétroliers et parapétroliers, ANCAP. L'installation d'ANCAP et de ses syndicats confirment l'ancrage à gauche de ce territoire, acquis au début du siècle aux idées anarchistes.

Dès 1914, des jeunes du syndicat des tailleurs de pierre commencent à jouer au football avec un maillot noir, la couleur de l'anarchisme, à une époque où il est plus courant d'avoir comme couleur des couleurs vives comme le jaune, le bleu ou le violet par exemple. Le nom du club, Progreso, est celui d'une rue du quartier mais aussi l'un des mots-clefs de l'anarchisme, mouvement de gauche puissant du début du siècle. Le club s'affilie d'abord à une ligue de Montevideo, la Ligue Nationale de Football. Le club a alors comme dirigeant un certain José Vázquez, fils d'immigrant espagnol galicien. Mais le club souhaite rejoindre s'inscrire auprès de l'AUF et est donc fondé officiellement comme institution le 30 avril 1917, sous le nom de Club Atlético Progreso, et le premier président est un maître d'école amateur de football, Héctor Verdesio. Ce dernier fait aussi partie des premiers joueurs du club, au côté de Vázquez, qui s'inscrivent en troisième division en 1918. Le premier match est une victoire deux à zéro contre le club de Maroñas, et Progreso reçoit pour la première fois à La Teja le 7 juillet 1918. Le premier match se joue au Stade « Parc des sables », qui portait son nom car il est tout proche de la baie de Montevideo et son terrain pouvait être très sablonneux. Le club n'obtient de la ville un terrain pour son stade qu'en 1926. Le terrain se situe juste à côté de la raffinerie ANCAP, mais son terrain est bel et bien en terre et un stade de football peut y être construit. À la même époque, et à la demande de joueurs d'origine catalane, le club prend les couleurs jaune et rouge. Il continue de jouer en deuxième division, perdant un barrage en 1939 contre Bella Vista, avant de finalement accéder au rêve de jouer en première division en 1946.  Le premier match est une victoire contre Liverpool. Le club redescend malgré tout immédiatement, et continue l’ascenseur entre les trois divisions du football uruguayen.

Tabaré Vázquez et le titre de 1989

paladinoLe fondateur José Vázquez a un fils, Héctor Vázquez. Ce dernier est leader syndicaliste au sein de l'entreprise ANCAP, entreprise dont il est licencié suite à une grève à cause de laquelle il devra passer quelques temps en prison à une époque, les années cinquante, où la crise économique et politique est venue tendre le pouvoir vers un régime chaque jour plus dur. Ce même Héctor Vázquez a cinq enfants avec son épouse, dont le quatrième, Tabaré Vázquez est un médecin spécialiste du cancer qui est resté fidèle à son quartier au sein duquel il est très engagé dans la vie de différentes associations, dont le club de football. Il en devient président en 1979, en pleine dictature militaire. Cette même année 1979, le club remonte en première division après une finale devant onze mille personnes au Centenario contre Miramar Misiones. L'arrivée de Vázquez coïncide avec l'agrandissement du Paladino, qui permet notamment désormais au club de recevoir les deux grands dans son quartier. L'équipe continue de se développer et gagne, de la main de Roberto Fleitas, la Copa Competencia en 1985, tournoi annexe au championnat regroupant toutes les équipes du championnat de première division. L'équipe est championne devant Rampla Juniors, et Roberto Fleitas quitte Progreso pour gagner la Copa América avec l'Uruguay en 1987 puis la Libertadores et l'Intecontinentale avec Nacional en 1988. En attendant, du côté de La Teja, Progreso continue de progresser avec une première participation en 1987 à un tournoi continental, dans un groupe comprenant Peñarol (futur champion du tournoi), l'Alianza Lima et San Agustín. Progreso obtient une victoire contre San Agustin trois à zéro, ainsi que trois nuls, mais ne passe pas la phase de groupes.

En 1988, le club termine dernier d'un championnat dominé par Danubio, mais c'est Miramar Misiones qui descend en deuxième division. Le club doit se ressaisir en 1989, dans un championnat comprenant évidemment les deux derniers champions de la Libertadores, Peñarol et Nacional. Le championnat souffrant de difficultés économiques commence très tard dans l'année, le système choisi est d'un simple match entre chacune des treize équipes du championnat. À ce petit jeu du plus court championnat de l'histoire du football professionnel uruguayen, l'équipe « de coupe » emmenée par Saùl Rivero, ex-adjoint de Fleitas s'impose contre Peñarol et Nacional notamment, ne perdant qu'un seul match de tout le tournoi contre Wanderers, et a la possibilité d'être sacrée championne à une journée de la fin contre Bella Vista. L'équipe emmené par des joueurs de caractère comme Leonardo Ramos, Leonel Rocco ou le buteur Jonnhy Miqueiro obtient le match nul et donc le titre. La Teja peut chavirer.

Tabaré Vázquez quitte la présidence de ce club de quartier fondé par son grand-père, présidence prise en 1979 en deuxième division et laisse le club champion et participant à la Libertadores 1990. Vázquez continuera de venir régulièrement au Paladino voir son Progreso. Il le fera d'abord en tant que maire de Montevideo de 1990 à 1994, puis en tant que président de la République de 2005 à 2010 puis de 2015 à 2020, étant le premier président de cette gauche démocratique du Font Large, Frente Amplio, obtenant toujours des scores impressionnants, autour de 80%, dans son quartier de La Teja. Le 28 février dernier, Vázquez a tenu une sorte de discours d'adieu à La Teja, au moment de laisser le pouvoir, de le transmettre au nouveau président du parti opposé. Dans son quartier, devant le peuple de La Teja, il a récité ses vers de Mario Benedetti :

N'abandonnes pas s'il te plaît ne cèdes pas,

Même si le froid brûle,

Même si la peur mord

Même si le soleil chauffe et le vent se tait,

Il y a encore le feu de ton âme,

Il y a encore de la vie dans tes rêves,

Parce que chaque jour est un commencement,

Parce que c'est l'heure et le meilleur moment,

Parce que tu n'es pas seul,

Parce que je t'aime

Une longue descente aux enfers

Pour en revenir au club, il participe donc à la Copa Libertadores 1990, pour la deuxième fois de son histoire. Progreso y connaît plus de succès dans un groupe composé du Defensor (aucun des deux grands n'étant qualifié en Libertadores pour la première fois de l'histoire) mais également de deux clubs vénézuéliens, l'improbable Pepeganga, champion 1989 qui disparait à la fin de l'année 1990, et les Mineros de Guayana.  Progreso termine premier du groupe avec deux nuls contre le Defensor mais deux victoires contre les clubs vénézuéliens. Progreso doit affronter le Barcelona SC et, après une défaite deux à zéro, ne peut obtenir mieux que le match nul deux partout au retour. Leur adversaire sera finaliste de cette édition 1990, perdant en finale contre l'Olimpia de Cubilla.

Le club redescend en deuxième division en 1995, pour ne remonter qu'en 2002, une saison, puis redescend. Il en fait de même en 2006, remontant pour deux saisons pour finalement redescendre. À chaque descente, le club s'endette pour conserver son effectif et essayer de remonter immédiatement. La dette de salaires impayés s'accumule. En 2010, le club joue les play-offs de montée mais perd contre l’adversaire de toujours pour la montée, Miramar Misiones. Quelques mois plus tard, avec une dette de salaire trop importante, le club ne reprend pas. Il est désaffilié de l'AUF pour une saison, le quartier est en deuil. Gabriel Franco, le président, démissionne. Seuls les équipes de jeunes continuent. Interviewé pour le magazine El Gráfico, une supportrice déclare : « on voit les équipes [de jeunes] sur le terrain et on pleure. C'est un sentiment pur, un amour éternel. Une partie de nous est heureuse, l'autre triste. Des fois je ne peux pas voir les couleurs de l'équipe parce que l'émotion devient trop forte. C'est une douleur inexplicable. Mais nous nous en sortirons, nous nous en sortirons ».

Refondation et retour en Libertadores

Heureusement, poussé par tout un quartier, le club renaît dès l'année suivante, étant affilié à nouveau dès la saison 2011/12 à la seconde division. L'équipe est entraînée par Leo Ramos, champion avec le club en 1989, qui entraînait l'année précédente les moins de 16 ans. Il termine troisième du classement annuel et s'impose avec ses jeunes successivement contre Plaza Colonia, Miramar Misiones et Huracán pour gagner une place en première division dès l'année du retour, avec donc de nombreux jeunes mais aussi d'anciens du club comme Fabián Canobbio ou son frère Carlos. Fabián Canobbio vient de jouer dans la décennie précédente au Celta de Vigo ou à Valencia. Le club redescend à nouveau et traverse une nouvelle crise, passant plusieurs saisons dans les bas-fonds du classement évitant la relégation à un moment où il n'y a pas de descente en troisième division amateur. L'année 2017 est l'année du grand retour avec la nomination de Fabián Canobbio comme président du club, qui apporte son expérience et l'amour de Progreso. Dès 2017, le club obtient la montée après avoir terminé troisième de deuxième division. Le club doit passer par des barrages et battre Villa Española, Central Español et Villa Teresa pour finalement avoir le droit de rejouer au sein de l'élite en 2018. Depuis, il continue de monter lentement mais sûrement, avec une neuvième place en 2018 (à 0,5 points de la Sudamericana, que Progreso n'a encore jamais joué) et une quatrième place en 2019, qui ouvre de nouveau la porte à une participation en 2020 à la Libertadores. Ce tour préliminaire est joué, trente ans après, contre le Barcelona. À nouveau, les Équatoriens sont les bourreaux de Progreso puisque le club de La Teja est éliminé, mais dix ans après l'arrêt de l'activité en 2010, l'essentiel est ailleurs. Progreso revit.

Le quartier et son rôle social

Progreso reste un club à part, marqué par un important héritage. Sous la présidence de Vázquez, le club a ouvert une cantine populaire pour enfants et a refusé d'installer des loges au stade (les fameux palcos sud-américains) car chacun doit voir le match de la même façon, « il ne doit pas y avoir de différences en tribunes ». Aujourd'hui, le club comprend aussi un théâtre, une école pour adulte. Le Paladino est un stade magnifique, au bord du Rio de La Plata, entouré d'arbres, mais également de la raffinerie d'ANCAP, toujours présente. Progreso y reçoit désormais les deux grands sans problème, générant chaque fois une fête dans le quartier. Et peu importe quelle est la position au classement du club, Progreso es La Teja y La Teja es Progreso.

 

 

Article initialement publié le 30/04/2020, mise à jour le 30/04/2022

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba