Rares sont les joueurs libanais à faire parler d’eux en-dehors de leur pays. Roda Antar, Youssef Mohammed, Hassan Maatouk, et c’est à peu près tout… Mais depuis le 4 novembre, lumière a été faite sur un des éléments les plus importants et les plus mésestimés de l’équipe des Cèdres : le gardien Mehdi Khalil, fraîchement nommé MVP de l’AFC Cup 2019.

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Il faut le voir, ce grand gaillard, en train de houspiller sa défense. Il ne reste qu’une poignée de minutes dans cette finale opposant Al-Ahed aux Nord-Coréens d’April 25. Alors que leurs adversaires font le dos rond depuis la première mi-temps et l’expulsion de leur gardien, l’ouverture du score d’Al-Ahed va les forcer à sortir de leur torpeur pour inscrire un but vital. Les Libanais chancellent en défense mais Khalil s’envole, se détend, expédie centres et frappes adverses au loin. Le coup de sifflet final retentit, les joueurs d’Al-Ahed lèvent les bras au ciel, conscients d’avoir écrit l’histoire de leur club et de leur pays, brandissant la coupe qu’aucune équipe libanaise n’avait eu l’occasion de soulever. Au milieu des réjouissances, Mehdi, le géant des cages, reçoit le titre de MVP du tournoi, une récompense méritée pour une performance remarquable, lui qui n’a encaissé que trois buts en onze matchs, dont deux contre le dernier du groupe au premier tour !

Revenons au commencement. Après le Big Bang, quelques milliards d’années se sont écoulées jusqu’au jour de grâce du 19 septembre 1991. Ce jour-là, dans la moiteur de Freetown au Sierra Leone, Mehdi Khalil braille pour la première fois. Descendant, au même titre que la star Roda Antar, d’une famille libanaise installée en Afrique depuis la moitié du XIXe siècle pour les pionniers, voire depuis la guerre civile pour les plus tardifs, Mehdi s’intéresse tôt au football et sa croissance le pousse dans les cages du FC Johansen, club fondé par le couple norvégien Isha et Arne Johansen. Il faut croire que les bons liens conservés par le couple avec sa Scandinavie natale permettent à Mehdi de rejoindre les rangs du club suédois du Köping FF en 2011. Il ne lui faut, par la suite, qu’une petite saison pour atterrir chez le grand Djurgårdens, l’un des fleurons du football suédois. Mais, abonné au banc de touche ou à la réserve, Mehdi voit son avenir s’assombrir au pays du froid. C’est alors que le Safa SC, club de Beyrouth soutenu historiquement par la communauté druze, fait appel à lui. Il n’hésite pas, prend l’avion, enfile ses gants et passe quatre années couronnées de succès à Beyrouth, enquillant deux championnats (12/13 et 15/16), une FA Cup (13/14) et une Supercoupe (2013). Le bon parcours du club en AFC Cup 2014 (hutiièmes de finale, seulement deux buts encaissés) achève de construire la légende du gardien, qui rejoindra le poids lourds du championnat, en 2017. Bien lui en a pris puisqu’il rafle tous les trophées disponibles avec le club de Beyrouth-sud : deux championnats, deux FA Cup, trois Supercoupes et donc l’AFC Cup 2019, arrachée aux plus grands grâce à une défense de fer dont Khalil est le patron incontesté.

Surnommé « Al-Jabal » (la montagne) pour sa stature (1m96), Mehdi Khalil défend les cages du Liban depuis 2013, prenant progressivement la place d’Abbas Hassan. Titulaire avec les Cèdres lors de la Coupe d’Asie 2019, il repousse longtemps l’échéance lors du premier match contre le Qatar avant de s’incliner sur un somptueux coup-franc de Bassem Rawi. Par après, il contre le tir d’Akram Afif mais Almoez Ali a bien suivi et propulse le ballon dans les filets. Lors du deuxième match contre l’Arabie saoudite, il est impuissant sur la magnifique volée d’Al-Muwallad et s’incline sur un joli but d’Al-Moghawi. Lors du dernier match contre les Nord-Coréens, il a la vue masquée sur le coup-franc marqué par Pak Kwang-Ryong mais multiplie ensuite les arrêts décisifs. Malgré une victoire contre ces mêmes Nord-Coréens, les Libanais sont éliminés.

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Le show Khalil n’est cependant pas fini puisqu’il va écœurer l’ensemble des attaquants présents en AFC Cup 2019. S’il tient deux clean-sheet contre Al-Qadsiya et Malkiya, il concède un premier but stupide contre les Omanais d’Al-Suwaiq, une tête piquée pas inarrêtable, avant de perdre un face-à-face en fin de match. Il garde sa cage inviolée encore deux autres matchs avant de se prendre une tête à bout portant lors du retour contre Malkiya. Trois buts en six matchs, le bilan est flatteur mais ce n’est rien comparé à la suite. En quarts et en demie, Mehdi Khalil fait du ballon sa chose et dégoutent littéralement les favoris du tournoi, les Jordaniens d’Al-Wehdat et d’Al-Jazeera. Il s’occupe de préserver ses filets, ses collègues de trouer ceux des adversaires et c’est ainsi qu’Al-Ahed atteint la finale et la remporte, même si Khalil n’aura pas eu un boulot exceptionnel à effectuer lors de cette confrontation face aux Nord-Coréens.

Plutôt explosif pour un gardien de ce gabarit, il est excellent sur les tirs de loin et possède des réflexes assez intéressants sur sa ligne. Adepte des sorties kamikazes à la Anthony Lopes, il préfère également dégager du poing plutôt que capter le ballon. Son gros point faible se situe sur les ballons à ras de terre, sur lesquels il n’est pas toujours assez vif pour se coucher mais globalement c’est un gardien fiable, l’un des meilleurs du Moyen-Orient, et qui, a 28 ans, pourrait s’offrir un dérobeur challenge dans un championnat spectaculaire (Turquie ? Allemagne ? Japon ?) pour faire admirer ses prouesses de voltigeur.

Quasiment éliminé de la course à la Coupe du Monde, le Liban aura bien besoin de son géant pour encore espérer toucher son rêve. Que ses adversaires se le disent, Khalil est prêt à leur rentrer dans le lard s’il faut faire gagner son équipe !

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.