Nous voilà de retour dans les tribunes du stade Idriss Mahamat Ouya de N’Djamena, pour la finale d’un tournoi qui oppose les jeunes des différents arrondissements de la capitale : la Coupe de la Paix. Le public s’est massé dans la tribune officielle ombragée pour encourager les  joueurs, mais pas seulement...

Alors que les 22 acteurs se donnent à fond sur le terrain sous une chaleur toujours aussi écrasante, ils sont accompagnés aujourd’hui dans leurs performances par des acteurs inattendus sur le bord d’un terrain de football. Pas les entraîneurs, non, ni même un officiel. Mais plutôt un groupe d’animateurs qui font cracher les grandes enceintes au bas de la tribune et qui commentent le match pour le plaisir des spectateurs.

Comédien humoriste connu et reconnu au pays de Toumaï, Alhadj Tawa se positionne comme un consultant dans ses interventions. Accompagné dans sa performance par deux journalistes Kadnouba Théophile et Charlie N’Djekaoussem, ils unissent leurs forces pour décrire le match dans un style tout en envolées lyriques, à faire passer Eugène Saccomano pour un commentateur austère...

Les interventions se font sans discrimination dans les deux langues officielles du pays, tantôt en arabe, puis en français. Les attaques gratuites, jeu de mots et blagues s’enchaînent. Les noms des joueurs sont écorchés, quand ils ne sont carrément pas zappés. Surtout le trio n’est pas désemparé lorsque leurs prophéties faites de « nOOOOOon ! C’est mal joué !» se finissent en action de but, bien au contraire....  Et bien évidemment, ils n’hésitent pas à prendre parti pour une équipe quand il s’agit de l’aider pour revenir au score. Pas par manque de déontologie journalistique, plutôt par souci du spectacle.

Le public savoure et affiche de larges sourires, quand ce ne sont pas des éclats de rires généraux. Un mélange des genres qui sublime le match et garantit de passer une bonne après-midi, quel que soit le niveau de jeu sur le terrain. Car on ne va pas se mentir, jouer sur un stabilisé couvert de billes de caoutchouc sous plus de 40° n’est pas une mince affaire, surtout pour des enfants…

Mais alors d’où vient cette idée inédite et surprenante?

Tout est parti de Charlie N’Djekaoussem, un passionné de football comme vous et moi qui rêve de devenir journaliste. Son manque de moyens l’empêchant de pouvoir suivre une formation, il fait partie de cette bande d’audacieux qui pensent que le terrain reste la meilleure des formations.

C’est donc armé de sa voie et de sa détermination qu’il s’est mis à commenter les matchs pour le public du championnat universitaire dans sa ville de Moundou, au Sud du Pays. Considéré comme un fou par l’ensemble de ses voisins de tribune, il persévère et se nourri des critiques  pour améliorer ses prestations.

Rapidement, il s’équipe d’un mégaphone pour pouvoir atteindre encore plus de monde. Il finit par s’imposer dans la tribune de Moundou, au point de séduire un dirigeant de la ligue de football de N’Djamena en déplacement là-bas. Charlie se laisse alors convaincre pour rejoindre la capitale et son élite du football, laissant orphelin de ses commentaires une tribune qui s’était habituée à ses animations se rendant bien compte qu’il était bien plus qu’un déséquilibré.

Il obtient une carte de journaliste et devient un habitué des matchs de la ligue de N’Djamena, puis du championnat national l’année dernière, au point que pratiquement aucun match ne se passe sans sa présence. Malgré la promotion, il continue d’œuvrer avec ses moyens dérisoires, animé par une volonté et une passion sans failles.

Pour les derbys, les finales de tournoi, et même les matchs des SAO, il profite des équipements mis à disposition par les organisateurs (enceintes, micros, etc…) pour faire le show, tantôt tout seul, parfois en duo, voir même en trio comme c’est le cas aujourd’hui.

S’il préfère le sérieux, Charlie est conscient que le public réagit d’avantages quand la moquerie du comédien est associée à ses commentaires. Mais convaincu qu’il a tout pour devenir un journaliste, Charlie n’est pas à un sacrifice prêt, et est convaincu que le travail finira par payer. Comment le contredire…

S’il n’est pas encore arrivé à réaliser son rêve, il restera à l’origine d’une tendance qui s’impose petit à petit dans le panorama du football tchadien. Une tendance qui mériterait même de s’exporter au-delà du Chari et des frontières du pays. Car ce format apporte une énergie supplémentaire au match, surtout dans les stades où les tribunes ne sont pas animées par des groupes de supporteurs Ultras ou autres… un autre moyen d’instaurer le spectacle dans les tribunes.

Je vous laisse imaginer la perspective d’un classique de l’ennui en ligue 1, pourquoi pas un Bordeaux - Rennes, commenté aux spectateurs par des animateurs passionnés inspirés… cela n’aiderait-il pas à aider au remplissage des tribunes ?

 

Pierre-Marie GOSSELIN à N’Djamena pour Lucarne Opposée

Pierre-Marie Gosselin
Pierre-Marie Gosselin
Amoureux du football et de ses tribunes, supporter inconditionnel des Girondins de Bordeaux et de ses ultramarines, je me suis pris d’une affection toute particulière pour le football africain. Là-bas le foot a pris le nom de « sport roi », et c’est un euphémisme tant il étend son royaume au-delà des ethnies, des classes sociales, des générations et des genres.