Un public fidèle, un stade populaire, une ville attractive, un buteur en feu, un entraîneur tendance et...une relégation. Pour ce quatrième épisode de nos bilans, retour sur la saison d’un club, Sukhothai FC, qui visait les sommets et qui a finalement terminé plus bas que terre.

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Il y a des matchs qu’il ne faut pas manquer, ceux dont l’enjeu dépasse le cadre du football, ceux dont le futur et la vie d’un club dépendent. Le 28 mars dernier, Suphanburi FC, quatorzième et relégable, reçoit Sukhothai FC, treizième, à un point de la zone rouge, pour le compte de la dernière journée de championnat. Le contexte est terrible. Pourtant en haut de tableau en novembre, les deux équipes sont proches de descendre en seconde division, à la suite d’une interminable chute au classement. Un destin similaire en somme qui promet une rencontre tendue. Le gagnant est maintenu, le perdant disparaît de la Toyota Thai League.

Comme prévu, le match est âpre, les joueurs font preuve d’une inhibition terrible et chaque action proche de la surface sent le soufre. But refusé, décisions arbitrales douteuses et fautes grossières, toutes les ficelles du scénario d’un film dramatique sont réunies dans cette rencontre. Alors que l’on se dirige vers un match nul qui permettrait à Sukhothai FC de se maintenir, un homme décide de changer le cours de l’histoire. Nous sommes à la 79e minute, le milieu sud-coréen de Suphanburi FC, Bae Shin-young, déborde sur le côté droit et adresse un centre qui trouve la tête de l’avant-centre brésilien Assumpcão. Ce dernier, dont la réputation de finisseur fait l'unanimité en Thaïlande, envoie le ballon au fond des filets et scelle définitivement le sort du match et de l’adversaire. Fin de la rencontre, un but à zéro, les joueurs de Suphanburi exultent de joie, ceux de Sukhothai sont à terre, en larmes, conscients du désastre dont ils ont été les acteurs lors des cinq derniers mois.

Une ville, un club de football, un projet

Comment un club qui flirtait avec le podium en novembre peut se retrouver relégué au mois de mai suivant ? Nombreux sont les observateurs locaux à s'être posé la question. Ces derniers sont unanimes pour dire que la direction prise par le club cette saison a des allures de catastrophe industrielle. Pour comprendre ce terrible constat, il faut se pencher sur ce que Sukhothai représente.

Avant d'être un club (supposé) important, Sukhothai est avant tout un endroit qui compte en Thaïlande. Située à quatre-cent kilomètres au nord de Bangkok, cette ville est parmi les plus touristiques du pays. Hôte de ruines historiques, emblèmes de la grandeur de la ville qui fut ancienne capitale du royaume de Siam, Sukhothai est composée de temples et autres monuments classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. Au milieu de cette richesse culturelle, se trouve un des stades de football les plus agréables du pays, le Thalay Luang stadium. Entouré de paysages magnifiques, l’enceinte de 9500 places a la particularité d'être aux normes imposées par la confédération asiatique de football pour accueillir les matchs de ligue des champions. Cette adaptation du stade aux standards continentaux est le symbole de ce que le club voulait et devait être, un grand de Thaïlande, à l’image de la ville, et le futur représentant national dans la compétition continentale asiatique majeure.

Pour développer cette stratégie, le club a su se doter de personnes compétentes dans les postes essentiels.  La première d’entre elles, c’est l'entraîneur Surapong Kongthep. Ancien milieu de terrain de haut niveau, ce jeune technicien fait partie de la nouvelle vague de coachs thaïs promis à un avenir radieux. Surapong Kongthep est un adepte du jeu intense fait de pressing et autres courses incessantes. C’est à partir de ce fait que s’explique la chute libre de Sukhothai au classement.

Un entraîneur trop ambitieux

Dans le haut de tableau en novembre, le club de la ville historique impressionne par la qualité de jeu proposée. Volonté d’aller vers l’avant, pressing tout terrain, engagement à chaque minute du match, Sukhothai fait peur et beaucoup pensent que cette équipe a la gueule de l'invité surprise sur le podium final. Seulement voilà, la réalité revient comme un boomerang dans les ambitions du club. Composée de beaucoup de joueurs flirtant voire dépassant la trentaine, l'équipe entame une chute vertigineuse au classement à partir du mois de janvier. Fatigue, usure ou encore lassitude, nombreux sont les termes qui peuvent expliquer cette descente aux enfers. Cette deuxième partie de saison symbolise en fait les ambitions disproportionnées d’un entraîneur qui ne réalise pas que ses joueurs sont trop vieux pour accomplir sur le terrain ce qu’il demande au tableau noir. Les idées sont belles, romantiques, mais ne sont surement pas applicables sur la durée au vu d’un groupe dont la moyenne d'âge est trente ans. C’est ainsi que le groupe commence à lâcher, enchaînant prestations calamiteuses et résultats défavorables. Au milieu de ce marasme, un seul joueur fait illusion : John Martial Baggio. Avant-centre international malgache, John Baggio est une oasis au milieu de ce désert footballistique. Auteur de seize buts cette saison, il est, pour la majorité des observateurs locaux, l’arbre qui a longtemps caché la forêt. Une forêt remplie de joueurs au bout du rouleau et d’un entraîneur peut-être trop intelligent par rapport au reste des personnes du club.

Un futur à reconstruire

Désormais en deuxième division, Sukhothai doit se reconstruire et tout mettre en œuvre pour revenir dans l'élite. John Baggio transféré au Port FC et Surapong Kongthep parti à Chiang Mai United, le club a fait appel à un bâtisseur, l’allemand Denis Amato. Ce dernier est une figure de plus en plus importante dans le milieu footballistique thaï. Ancienne tête pensante de l'académie du Bayern Munich en Thaïlande, Sport Thai Bavaria, Denis Amato s’est fait un nom grâce au bon travail qu’il a réalisé à Chainat, puis à Chiang Mai United.

Il a désormais la lourde tâche de réveiller une bête assommée par une saison cataclysmique, et pour cela, il devra avoir sous la main un effectif capable et de comprendre et de réaliser sur le terrain, ce qu’il demande au tableau noir.

Jonathan Branger
Jonathan Branger
Rédacteur et correspondant foot Thaï pour LO