Pour ce troisième épisode de nos bilans, focus sur le meilleur passeur de la saison en Thaïlande, entre accélération, équipe nationale et rêves d’ailleurs. 

bandeaubielsa

Le football est fait d’injustices. La plus grande d’entre elles est la propension à ne valoriser que le buteur. Dans ce sport collectif qui tend de plus en plus à mettre en lumière l’homme qui finit une action collective, peu de place médiatique est laissée au passeur décisif. C’est également le cas en Thaïlande. Auteur de vingt-quatre buts cette saison, Barros Tardeli a attiré tous les regards. Si cela semble amplement mérité au vu de ses prestations, il y a un autre joueur qu’il est essentiel de mettre en avant. Cet homme c’est Jaroensak Wonggorn.

On dit de Jaroensak qu’il sera le joueur majeur de l'équipe nationale de Thaïlande d’ici peu de temps. Milieu droit, vif et explosif, le joueur de Samut Prakan City FC s’est illustré de la plus belle des manières d’un point de vue statistique cette saison. Avec quatorze passes décisives en trente matchs, le natif de Kanchanaburi a confirmé toutes les promesses dont il fait l’objet.

Un parcours corporatiste

Talent précoce, Jaroensak Wonggorn commence sa carrière professionnelle en deux-mille seize sous les couleurs du défunt club d’Air Force United FC. Alors en Thai League Division 1 (ancêtre de la Toyota Thai League actuelle), l’ex-club de la ville de Pathum thani est alors en pleine déliquescence et s’enfonce dans une crise qui cause sa disparition totale trois ans plus tard. Au milieu de ce marasme, un jeunot attire les regards. Vif, explosif, véloce et doté de capacités d'accélération hallucinantes, Jaroensak Wonggorn impressionne rapidement. Si ses statistiques n’ont pas de quoi réveiller les morts, le joueur enchaîne cependant les prestations convaincantes au point d’attirer un nouveau riche du championnat, Pattaya United FC.

Club de la sulfureuse station balnéaire du même nom, Pattaya United FC est alors en plein développement et cherche à se faire un nom parmi les clubs phares du pays. C’est dans ce contexte que débarque Jaroensak Wonggorn. Ce transfert marque un tournant dans la carrière du jeune prodige. Si, encore une fois, ses statistiques ne sont pas éblouissantes, il joue toutefois un rôle important dans l'équipe dirigée par l'entraîneur Surapong Kongthep. Ce dernier, considéré comme l’un des entraîneurs les plus talentueux en Thaïlande, voit en Jaroensak, le potentiel d’un futur grand. Pour ne pas précipiter les choses, il le fait jouer un match sur deux sur l’ensemble de la saison et le gamin contribue à l’honorable huitième place de Pattaya United cette saison-là.

Cette saison correcte est cependant suivi du néant. En effet, le football thaï étant un puits sans fond d’histoires politico-sportives à dormir debout, les nouveaux propriétaires du club, décident de dissoudre le club et de le faire renaître à une centaine de kilomètres, dans la ville de Samut Prakan. Nouvelle ville, nouveau logo et nouvelles installations, le club se prend une vague de critiques sans précédent dans l’histoire du football thaï. En effet, passer d’une station balnéaire célèbre pour sa vie nocturne, à une ville industrielle et modeste, dont les paysages sont bouchés par une succession d’usines, cela passe mal chez beaucoup de personnes. Jaroensak Wonggorn, lui, s'en moque. Corporatiste et désireux de ne pas cracher dans la soupe préparée par ceux qui lui ont permis de se faire un nom, il déménage avec l'entité (la franchise?) dans la banlieue de Bangkok pour y vivre cette nouvelle aventure.

S'ensuit une saison pendant laquelle Jaroensak devient le cauchemar des latéraux gauches des clubs de la Toyota Thai League. Son talent se décuple et atteint son apogée lors de la saison 2020-21. Jusqu'à présent spectaculaire dans le jeu mais sans que cela suive d’un point de vue statistique, le véloce milieu droit fait désormais trembler les chiffres en délivrant quatorze passes décisives. Sous la houlette du coach nippon Masatada Ishii, dont la pierre angulaire de sa tactique est le jeu sur les ailes, Jaroensak impressionne chaque semaine qui passe, au point de se demander si le natif de Kanchanaburi ne serait la future star de la sélection nationale.

Futur pilier de la sélection ?

Passer de vedette d’un club à pilier de la sélection nationale n’est guère chose aisée. Si Jaroensak a tendance à être cité comme étant le futur des Changsuek (surnom de la sélection thaï), c’est parce que ce dernier a déjà fait des siennes dans les équipes nationales de jeunes. Nous sommes en janvier 2020, la Coupe d’Asie des Nations U23 se déroule alors sur le sol thaïlandais. Dans un groupe très relevé comprenant l’Australie, l’Irak et le Bahreïn, la Thaïlande a pour objectif de faire bonne figure en se qualifiant pour le tour suivant. Jaroensak est le premier à comprendre le message et inscrit trois buts en deux rencontres, ce qui permet à son équipe de finir deuxième derrière les Australiens et de s’extirper de la poule. Mission réussie, et malgré une élimination en quarts face à l'Arabie saoudite, la sélection fait belle figure et Jaroensak Wonggorn termine co-meilleur buteur de la compétition.

La question est désormais de savoir si le talentueux ailier sera capable de reproduire avec l'équipe première, ce qu’il a réalisé avec les équipes de jeunes. Appelé récemment en sélection par l'entraîneur Akira Nishino pour les futurs matchs de qualification de la Coupe du Monde 2022, Jaroensak sera en première ligne et devra aider son pays à rattraper le retard sur le Vietnam, aujourd’hui premier du groupe.

Au loin...l’étranger 

Si le joueur est d’ores et déjà le chouchou du public de Samut Prakan et des supporters de l'équipe nationale, il n’en reste pas moins qu’il doit désormais devenir un patron sur et en dehors du terrain. En somme, passer de ce statut d'élève studieux mais discret au chef de classe. Une évolution sportive et comportementale qui pourrait se développer en allant voir ailleurs si l’herbe est plus verte. L’Europe étant une galaxie, pour le moment inatteignable, l'idée de voir le joueur dans des championnats asiatiques plus importants tels que la Corée, la Chine ou le Japon semble séduisante, et pourrait permettre à Jaroensak de faire trembler les arrières gauches aux quatre coins de l’Asie.

Jonathan Branger
Jonathan Branger
Rédacteur et correspondant foot Thaï pour LO