Dimanche soir à Belo Horizonte, se jouait l’hégémonie de l’une des plus grosses rivalités du Brésil, celle qui oppose l’Atlético Mineiro au Cruzeiro. Aujourd’hui, Lucarne Opposée vous raconte : le Clássico Mineiro.
Pour bien comprendre ce duel à couteaux tirés qui oppose la poule au renard depuis 1921, il faut, comme chez Sergio Leone, poser le décor, palper l’ambiance, il faut imaginer les virevoltants qui traversent les avenues de Belo Horizonte les jours où elle se scinde en deux, 90 minutes durant.
D’abords, il y a le Minas Gerais, un Etat de la taille de la France, qui enrichie le Brésil depuis ses balbutiements, d’or, de café, de lait. Un Etat qui vit fièrement de la noblesse de sa paysannerie, car chez ces gens-là chers amis, on compte mais on travaille, aussi. Et puis il y a Belo Horizonte, la plus grande des paysannes, capitale désignée, successeuse des « étincelances » vieillissantes d’Ouro Preto l’aurifère. Belô, troisième cité du pays, habitée par 5 millions d’âmes, qui s’unissent pour porter haut leurs valeurs rurales, est une ville qui veut rester village, car il faut bien vous dire chers amis, que chez ces gens-là, on vit simplement mais on vit bien, aussi. Enfin, il y a ces deux clubs qui se chahutent 365 jours l’an, qui se disputent pour savoir lequel d’entre eux est « O Time do Povo », l’équipe du peuple : le Coq fou de l’Atlético Mineiro, noir et blanc comme les trottoirs de BH, et le Renard rusé de Cruzeiro, bleu intense comme le ciel sans nuage des campagnes mineiras. Alors chers amis, lâchez donc cette carte postale carioca toute jaunie, et pensez auvergne. Voilà le Minas Gerais c’est l’Auvergne du Brésil, parce que chez ces gens-là, c’est la campagne et la montagne, aussi.
Aujourd’hui nous sommes dimanche et comme – presque – tous les dimanches, Belô s’est réveillé sous un soleil radieux qui sèche l’air frais de l’hiver australe. Cet après-midi, c’est le Galo qui reçoit, alors il est de bon ton d’éviter toute touche azurée sur soi, car ce sont les tuniques striées des atléticanos qui animeront les ruelles « do Horto », le quartier qui abrite l’Estadio Raimundo Sampaio. Mais à deux heures du coup d’envoi, les abords de l’Independencia sonnent bien creux. Fichtre, oú sont-ils donc tous passés ? Dans les bars pardi ! Pour la Galoucura, la torcida organizada la plus importante de l’Atlético, les bars « do Gordo » ou « da Tia Morena » de la rue Pitangui, qui longent la tribune nord du stade, servent de lieu de chauffe avant de s’embraser pour de bon. Chez les torcedores plus calmes, l’on préfère la place Estevão Lunardi, à quelques centaines de mètres, où l’ « Arena do Espeto » distribue les brochettes en nuées fumantes et fait couler la Brahma à flux-tendu. Analyses tactiques, debrief de la semaine de boulot, blagues de plus ou moins bon goût, tous les sujets sont abordés mais, plus l’heure fatidique approche, plus les chants se font fréquents et tonitruants. Vous vous en doutez, dans un jour comme celui-ci, Cruzeiro en prend sacrément pour son grade. Enfin, un peu plus que d’habitude, quoi.
Pour le peuple céruléen justement, lors d’un événement comme celui-ci, il est convenu que le supporter lambda n’est pas convié, seule la Mafia Azul l’est. La légendaire organizada cruzeirense, bien encadrée par la police militaire du Minas Gerais reconnue pour sa droiture et sa sévérité, a pris place sur la partie haute de la latérale sud de l’Independencia, juste au-dessus des journalistes et des caméras. Impossible donc, pour la palanquée de caméras, de gratte-papiers et de postillonneurs radiophoniques, d’apercevoir ne serait-ce qu’un bout de la queue des renards, tout ce qu’ils verront de bleu aujourd’hui sera le ciel et les tuniques de l’équipe visiteuse. À défaut de pouvoir se montrer, la Mafia Azul profite que le poulailler soit encore vide pour se faire entendre, et donne de la voix à une heure du coup d’envoi. Des grappes d’alvinegros répondent bien entendu avec la véhémence qu’on leur connait, par un bouquet assorti de sifflets, de gestes équivoques et d’insultes. La rengaine la plus connue à propos des cruzeirenses, est de transformer le « Mafia » en « Maria », taillant ainsi en pièce la virilité du rival et soulignant un penchant pour la tribaderie. Aussi les invite-t-on à aller faire une partie de volley, sport dans lequel excelle également Cruzeiro qui est, vous l’avez compris, omnisport. Pourquoi le volley ? Tout simplement parce qu’au Brésil, il est de fait établi qu’il s’agit d’un sport de gonzesse, et qu’il ne convient pas, pour tout bon mâle qui se respecte, de le pratiquer. Ces gens n’ont donc probablement jamais pu constater la carrure d’un volleyeur ou d’une volleyeuse. On leur déconseille de tester un smash facial.
Au fur et à mesure que le soleil plonge vers la nuit, derrière le kop de la Galoucura, l’enceinte se remplit et Victor, le légendaire portier atléticano, s’échauffe au son des guitares hurlantes de Sepultura, le groupe de métal originaire de Belô. La mascotte du Galo vient haranguer les siens, provoquer les autres tandis que continue de tonner la playlist hard rock, courant musical identitaire de la capitale du Minas. Seuls les joueurs de la Raposa sont entrés s’échauffer sur la pelouse, les alvinegros restant dans le ventre du stade pour se concentrer. Puis, le Galo se met enfin à chanter, couvrant les jappements du renard. La lumière de fin du jour se fait rasante, teintant d’orange les montagnes du Minas qui s’offrent à nous comme dans un tableau, grâce à l’absence de tribune à l’orient.
Le crépuscule approche, les rues sont vides, les frères ennemis se font face et le shérif s’apprête à donner son premier coup de sifflet. Tout est en place : Le duel peut commencer.
C’est parti ! Les premiers échanges se font entre cruzeirenses qui parviennent rapidement à balancer un long ballon dans la surface. C’est le grand Leonardo Silva, capitaine historique de l’Atlético qui gagne son duel sans peine, sortant proprement le ballon de la tête, mais crac ! Dès la fin de sa réception, Léo se tient la cuisse, puis s’allonge dans l’herbe, le bras barrant son visage. Murmure dans les travées du Raimundo Sampaio, où l’on sait le capitão de 38 ans sujet aux blessures depuis un moment. La sentence est confirmée : le numéro 3 laisse son brassard à Victor et sort acclamé, remplacé par le jeune Bremer, de presque 20 ans son cadet. Ce n’est pas fini : dans la minute qui suit ce coup du sort, Alisson déborde sur le flanc gauche, transmet dans l’axe pour Thiago Neves oublié là par... Bremer, et le meneur de jeu des bleus fait mouche. Double peine, l’Atlético est sonné, le public est douché.
Hagards, maladroits sur chacune de leurs passes, les noirs et blancs titubent pendant une demi-heure avant de se remettre la tête à l’endroit, ne devant leur salut qu’à leur charnière classe biberon. Gabriel et Bremer donc, 22 automnes et 20 étés respectivement, parviennent durant tout ce temps à tenir Cruzeiro en respect, se voyant récompensés sur chaque tacle rageur par les grands hourras poussés par la foule, qui n’a pas cessé de chanter malgré l’épreuve. La hardiesse des deux gamins finit par inspirer leurs coéquipiers, qui parviennent enfin à ne pas perdre le ballon trop vite et à s’installer de plus en plus en territoire azuréen. Les joueurs du Cruzeiro sentent que la domination leur échappe, la tension monte et, inévitablement, une échauffourée finit par éclater au milieu du terrain. Les vieux briscards comme Fábio et Victor, les derniers remparts, ou Fred que l’on ne présente plus, calment bien vite les émotions de chacun et le jeu peut reprendre. Mais le fait est : Cruzeiro perd du terrain et, le Galo est à une ou deux maladresses d’égaliser. 45e minute, Cazares obtient un bon coup-franc aux 25 mètres légèrement sur la gauche de la surface. Le virevoltant équatorien prend son élan, brosse sa frappe au-dessus du mur et expédie la gonfle sur la droite de Fábio.
Le stade explose de joie mais n’a même pas le temps de reprendre son souffle, qu’Alex Silva prend son couloir droit, réalise le une-deux avec Yago, résiste à Diogo Barbosa et centre à ras de terre au second poteau pour ce bon vieux Fred qui, libre de tout marquage, n’a plus qu’à pousser le ballon au fond des filets. Alors que le soleil brûle ses dernières flammes du week-end, l’Atlético renverse la vapeur en deux minutes et incendie, cette fois-ci totalement, l’Independencia. C’est-du-dé-lire ! Les clameurs sont assourdissantes, les « GAAALOOOO » pleuvent des tribunes, et même les journalistes, jusqu’ici d’un professionnalisme de circonstance, ne peuvent plus se contenir, laissant éclater leur joie sans réserve. D’autres sont muets, tout comme la Mafia Azul au-dessus de leur tête. Pour le coup on ne les voit plus ET on les entend définitivement plus non plus. L’excitation procurée par cette fin de première période est trop forte, les travées ne désemplissent pas et les chants atléticanos perdurent pendant la pause. La mi-temps parait durer quelques minutes seulement.
Sobís et ses tuniques bleues sont les premiers à revenir sur le pré, avec la ferme envie d’en découdre, on le sent. Et leurs bonnes intentions prennent forme dès les premières minutes de jeu, par des frappes lointaines de Thiago Neves ou de Robinho. Le joueur blanc des bleus, pas le noir des noirs et blancs, vous suivez ? Malheureusement pour les troupes Mano Menezes, ces tentatives sont sans réel danger, et l’Atlético, débordant de sérénité, contrôle le match avec brio. Si bien qu’à la 79e, Cazares, encore lui, élimine Diogo Barbosa, décidément, puis centre en cloche au second poteau. Caicedo est aux fraises, il n’en faut pas plus à Fred pour ajuster Fábio de la tête et s’offrir un doublé. Le renard est dépecé, le coq chante à tue-tête.
La fête bat son plein, l’adversaire est ridiculisé à chaque couplet entonné par les atléticanos quand, à quelques minutes du coup de sifflet final, l’Independencia est plongé dans la nuit : Les plombs ont sautés. Complètement. A l’aide de leurs téléphones portables, les torcedores illuminent les arquibancadas du Raimundo Sampaio de milles lumières. Le spectacle est total, Cruzeiro boit le calice jusqu’à la lie. Le courant finit par revenir et l’on termine la rencontre tranquillement, au rythme des cris de liesse qui dégoulinent de chaque briques du stade. C’est fini, la foule exulte. Taquins, les atléticanos lèvent le nez au-dessus de la tribune de presse pour railler la Mafia Azul, qui attend dépitée l’autorisation des forces de l’ordre pour quitter les lieux. D’ailleurs certains journalistes participent aux festivités en adressant des signes de victoire aux supporters qu’ils surplombent. Les autres rangent leur matériel, l’air bas, sans broncher.
La nuit est tombée sur les beaux horizons du Minas Gérais, la fraicheur hivernale également. Le peuple atléticano, lui, est encore chaud bouillant et compte bien le rester, avec une savoureuse brochette et une bonne Brahma sur la place Estevão Lunardi par exemple.
Devant l’Arena do Espeto ce dimanche soir, on chante, on mange, on boit, on rit, beaucoup. Car dans le Minas mes chers amis, le football comme la vie et la bonne chair, y est simple mais bon aussi.
Par Simon Balacheff à Belo Horizonte pour Lucarne Opposée


