Après une période réflexion, Juan Carlos Osorio a décidé de ne pas continuer à la tête d’El Tri, malgré un pont d’or et les clés de la sélection. Le Colombien aura dirigé l’équipe trois ans, pour un bilan mitigé mais dont on peut tirer de nombreux enseignements. Car le mandat d’Osorio aura été véritablement différent de celui des autres sélectionneurs du Mexique.

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El Profe Osorio a donc dit non. L’ère Osorio un temps évoquée au lendemain d’une historique victoire du Tri face au champion du monde en titre a déjà pris fin, le Mexique devra construire sans son sélectionneur colombien.

Juan Carlos Osorio laisse donc une sélection et surtout une Fédération mexicaine (Femexfut) en proie au doute, alors que celle-ci lui laissait les clés du football mexicain, en lui proposant de gérer également les sélections de jeunes sur le modèle uruguayen d’Oscar Tabárez. Outre les résultats sur le plan sportif - la fameuse « quinto partido » en Coupe du Monde -, la volonté de la Femexfut était en effet de faire souffler un vent nouveau sur le Tri, et surtout d’insuffler de nouvelles méthodes, après l’échec de Miguel Herrera (2013-2015).

Étude et adaptation

Nombreux ont été les portraits de Juan Carlos Osorio dans la presse suite à l’exploit mexicain face à l’Allemagne. De son apprentissage en Angleterre, entre espionnage à Liverpool et étude à Manchester City, jusqu’à sa quête d’information constante en passant par les analyses tactiques, rien n’a été oublié.

Il est désormais connu que Juan Carlos Osorio est avant tout un coach méticuleux, presque scientifique, avec des principes clairs : les fameuses rotations, pour maintenir l’intégralité d’un groupe concerné, les exercices atypiques à l’entraînement, une proximité avec les joueurs teintés de paternalisme, et d’autres concepts, comme sa volonté de placer des défenseurs centraux en position de latéraux. Mais au-delà des simples aspects tactiques, le style Osorio s’articule autour de deux points : apprentissage permanent et adaptation aux événements.

De ses passages en Angleterre, en MLS et même au Mexique, du côté de Puebla, el Profe en a gardé des expériences, a construit son style attendant de trouver l’occasion idéale de bâtir sur la durée, chose faite du côté de l’Atlético Nacional. Entre 2012 et 2015, Osorio va construire une machine de guerre, capable de livrer de véritables parties d’échec avec un milieu renforcé comme face à São Paulo en Sudamericana 2013 (élimination en quart de finale) ou d’exploiter les failles défensives d’un Newell’s en choisissant une attaque à trois lors d’un match décisif à l’extérieur pour la qualification en phase de groupe de la Libertadores 2014. Au cours des quatre années passées à la tête des Verdolagas, el Profe Osorio décroche six titres nationaux et termine sur une moyenne de plus de 60% de victoires. Mais au-delà des simples résultats statistiques ou en termes de palmarès, il impose une méthode qui repose sur deux éléments clés, empruntés à Marcelo Bielsa et Pep Guardiola, sources d’inspirations : entraînement collectif, périodisation tactique et entraînement individuel dénommé entraînement fonctionnel qui a pour objectif d’améliorer la capacité de production individuelle mais aussi la régulation des mouvements avec et sans ballon de chaque joueur, avec toujours comme objectif d’optimiser les coûts énergétiques.

La méthode Osorio, c’est ce sens du détail, de construction d’un groupe capable de s’adapter à toute situation. « Lorsqu’il fait un changement tactique, c’est pour une bonne raison », « en entrant sur le terrain, nous savions que faire, nous savions ce qui pourrait se produire », « chaque changement, chaque mouvement était prévu », rappelleront ainsi respectivement Jonathan Dos Santos, Miguel Layún et Edson Álvarez après la victoire face à l’Allemagne. Sur le terrain, cela se traduit ainsi de manière générale par de constantes rotations tactiques match après match en fonction de l’adversaire et de manière plus directe par une efficacité poussée dans le jeu de transition, l’arme absolue des formations dirigées par Juan Carlos Osorio.

Elle passe donc par un groupe parfaitement construit, à l’écoute, capable et désireux d’apprendre lors de séances faites parfois de répétitions : « Il est obsédé par l’entraînement. Ses sources d’apprentissages ont des liens avec d’autres sports collectifs comme le volley, le basket, le hand. Il est un professeur car il aime enseigner, il ne dit pas à un joueur « tu dois faire cela », il lui explique que faire et pourquoi le faire. Il a une grande capacité à convaincre », dit ainsi de lui le journaliste Jorge Andrés Bermúdez, avec qui Osorio avait écrit « La Libreta de Osorio » en 2015. Une méthode qui venait donc bousculer les habitudes mexicaines, mais qui a connu bien des critiques.

La haine m’a tuer

Car l’histoire a failli tourner court dès la première année avec la défaite 7-0 face au Chili lors de la Copa América Centenario 2016 (la première défaite de l’ère Osorio après neuf victoires et un nul). « Je me permets de dire que personne n’a souffert comme moi. Personne ne l’a vécu comme moi, ni n’a arrêté de dormir 30 jours et pleurer sur cette défaite », déclarait-il un an après l’humiliation. Une expérience « très enrichissante » et qui lui a permis « d’apprendre beaucoup ».

Les critiques avaient pourtant commencé plus tôt avec Osorio. Elles émanaient principalement des médias, comme André Marín de Fox, mais aussi d’anciens grands joueurs, comme la légende Hugo Sánchez, ou d’anciens sélectionneurs comme Miguel Herrera. « Je ne sais pas pourquoi ils voulaient absolument un étranger », disait Gerardo Velázquez de León suite à la nomination du Profe. Une situation quelque peu comparable à la celle de la presse et des entraîneurs français lorsqu’un étranger arrivait au pays « avec des idées venues d’ailleurs », pour citer René Girard à propos de Marcelo Bielsa, il y a quelques années. Un bon vieux corporatisme à la sauce mexicaine, bien plus piquant que le nôtre.

En soulignant les limites du football et des footballeurs mexicains, en appelant ces derniers à migrer vers de meilleurs clubs européens, Osorio a aussi contraint le Mexique à regarder son football dans un miroir, quitte à ne pas apprécier l’image que celui-ci renvoyait. Il a aussi demandé à celui-ci de s’ouvrir sur l’extérieur. Mais dès que l’occasion se présentait, la presse, « parfois brutale et irrespectueuse », comme l’explique Paco Jémez, passé par Cruz Azul, rappelait la « colombianité » d’Osorio. Et certains événements ne manquaient pas de donner des arguments aux détracteurs.

Comme lorsque le Mexique a perdu 4-1 face à l’Allemagne B en quarts de finale de la Coupe des ConFédérations, en juin 2017, la troisième défaite d’Osorio avec le Tri en 28 matchs (20 victoires et 5 nuls alors). Ce jour-là, le Mexique était mené 2-0 dès la huitième minute et Osorio semblait ne rien pouvoir faire lors des matches couperets de sa sélection. Jamais les critiques ne se sont tues, quand bien même Osorio réussissait quelques exploits à la tête du Tri (nous allons y revenir). Au point qu’à l’Azteca, au moment de quitter le pays pour la Russie, les sifflets et cris lançant « Osorio dehors ! » se faisaient entendre. Cette pression sociale et médiatique aura fini par user l’intéressé. On est loin d’un « Deschamps bashing » à la française, mais sur quelque chose de plus profond et plus dur humainement. Au point de refuser une offre aussi importante que celle de la Femexfut après le Mondial.

Quel héritage, quel héritier ?

Au cours de son séjour à la tête du Tri, El Profe n’aura donc pas remporté de trophée, puisque son équipe B a aussi perdu en Gold Cup, une compétition dirigée par l’un de ses adjoints (mais une victoire dans cette compétition est rarement mise en avant lors des bilans des différents sélectionneurs). Reste que du strict point de vue des résultats, Osorio quitte le Mexique sur un bilan de 33 victoires, 9 nuls et 10 défaites en 52 matchs disputés. Un total qui en fait l’homme au meilleur ratio de points par match dans l’histoire des sélectionneurs ayant dirigé au minimum 20 matchs (voir tableau).statsosorio

Il est aussi, comme le souligne la Fédération mexicaine dans son communiqué annonçant son départ, l’homme des moments historiques : Le Mexique d’Osorio a mis fin à 53 ans sans victoires du côté de San Pedro Sula, au Honduras, il s’est imposé au Canada pour la première fois depuis 23 ans, à Trinidad y Tobago pour la première fois depuis 13 ans. Mais surtout, quelques jours après l’élection de Donald Trump, el Tri a remporté un match d’éliminatoires sur le sol américain, une première depuis 1972, soit 44 ans avant. Puis le triomphe sur l’Allemagne, certes malade, mais champion du monde en titre, en ouverture de son Mondial, une première face aux Teutons en compétition officielle.

 « La défaite possède une dignité que la victoire bruyante ne mérite pas », a écrit Jorge Luis Borges, qu’Osorio aime à citer. Sa plus belle victoire ne réside donc pas dans les résultats, mais dans la façon dont la Fédération conçoit désormais la sélection. C’est ici que se situe son plus grand héritage. El Profe a martelé le fait que le Mexique devait arrêter de jouer des amicaux face à des sélections amoindries dans des stades américains, même s’ils sont plus rentables pour la Fédération qu’un amical face à la Belgique à Bruxelles. Pour lui, les progrès résidaient aussi dans le fait de jouer ce type de matchs relevés, qui n’ont plus rien d'amical.

Sa propension à travailler sur le long terme, aussi le vœu de la Fédération, tranche également avec l’habitude que la sélection avait de changer régulièrement d’entraîneur (13 sélectionneurs en 10 ans). Le souhait de la Femexfut d’en faire son Oscar Tabárez montre que le message est passé : place au travail sur la durée. Reste désormais à trouver celui qui en assurera l’héritage.

Le grand favori reste Matías Almeyda, venu construire un projet au Chivas et qui a toujours affirmé avoir besoin de projet sur le long terme. L’Argentin a prouvé sa capacité à lancer les jeunes, l’un des défis du Tri étant désormais aussi de renouveler ses cadres. D’autres noms sont cités, comme Tuca Ferretti (Tigres), déjà venu faire une pige à la tête du Tri, et capable également de bâtir sur le long terme. Deux étrangers donc, signe qu’Osorio a ouvert les mentalités à la Femexfut.

« J’ai confiance en la qualité et le talent des joueurs mais pas en ce staff, déclarait Hugo Sánchez dans Fútbol Picante en juin 2017. Il n’y a pas de style défini, les footballeurs ne jouent pas dans les positions dans lesquelles ils évoluent en club. Ces idées peuvent être modernes et rénovatrices, mais qu’il les fasse avec la Colombie et non avec le Mexique ». Un an plus tard, alors que bien des suiveurs pleurent le départ d’Osorio, le Mexique doit tout reconstruire alors que son Profe n’a jamais été aussi proche de suivre les conseils d’Hugol. Pas certain que le Tri en sorte grand vainqueur.

 

Par Diego-Tonatiuh Calmard et Nicolas Cougot

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.