La FIFA a voulu relancer le débat sur les quatre étoiles de l’Uruguay en demandant à l’équipementier d’enlever deux étoiles sur le maillot de la Celeste, sans même avertir la fédération. Évidemment, l’Uruguay est vent debout contre cette mesure inique. Au-delà des arguments factuels, il serait bon de s’interroger en France sur ce Championnat du Monde de la FIFA oublié et effacé, dans un pays dont on dit qu’il n’aimerait pas le football.

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L’Uruguay est champion du monde de la FIFA en 1924 à tous les niveaux, que ce soit dans les faits de l’organisation ou dans le moment que représentait 1924 pour le football mondial. L’Uruguay est champion du monde en 1928 pour les mêmes raisons. Mais laissons 1928 aux Néerlandais et interrogeons-nous sur 1924. Les arguments pour justifier que l’Uruguay a gagné les premiers championnats du monde de football sont implacables, ils ont été développés à merveille par Pierre Arrighi, dans un livre intitulé « 1924, Primer Mundial de fútbol de la Historia ». La compétition est organisée par la Fédération Française de Football et par la FIFA, qui reconnait alors selon son règlement la compétition comme un championnat du monde. C’est le cas pour 1924 et 1928 mais pas pour 1920, malheureusement pour nos amis belges, car ce tournoi n’est pas organisé sous l’égide de la FIFA (au-delà du fait que le tournoi ne regroupait que les pays Européens). Comme l’indique bien Pierre Arrighi, au congrès de Lausanne en 1921, le CIO transfère les pouvoirs d’admission et de réclamations à la FIFA. C’est donc la FIFA qui gère le tournoi olympique par l’intermédiaire sur place de la Fédération Française de Football.

La FIFA a un temps avancé l’idée de Championnat du Monde amateur. Cette idée est aussi fausse, car « en 1924, la charte ne mentionne aucune définition de l’amateur, les sportifs devant seulement se conformer à la réglementation de leur fédération internationale » selon Florence Carpentier dans son article intitulé « Le conflit entre le CIO et la FIFA dans l’entre-deux-guerres ». Dans les faits, la majorité des participants voit déjà dans le football son activité professionnelle. On pourrait ajouter à tout cela le fait que des pays de presque tous les continents participent ensemble pour la première fois et que la presse française, suisse ou uruguayenne est unanime : « Le onze de l’Uruguay est Champion du Monde ! », comme le titre l’Auto le 10 juin 1924.

L’Uruguay a donc les arguments pour faire valoir son titre, ses titres, et il le fera avec véhémence à n’en pas douter. De tout cela, il reste une question qui a son importance au-delà de la position uruguayenne de défense de ses titres : la France a organisé les premiers Championnats du Monde de l’histoire, il y a bientôt cent ans et tout le monde semble l’ignorer. La compétition est notamment organisée au stade de Colombes, qui peut accueillir jusqu’à 40 000 personnes, au stade de Paris à Saint Ouen, aujourd’hui Bauer, ainsi qu’aux stades disparus depuis de Pershing et Bergeyre. À l’époque, l’impact est immense. « Jamais encore à Paris une foule aussi considérable ne s’était déplacée pour assister à une épreuve athlétique », écrit Lucien Gamblin qui ajoute : « les gens les plus réfractaires sont attirés autour des grounds, de la balle ronde, et s’aperçoivent que le football est un sport incomparable qui, lorsqu’il est pratiqué par des joueurs et des équipes de grande classe, est captivant au possible […] J’ai vu dans les yeux de ceux qui applaudissaient les prouesses des Uruguayens, par exemple, le contentement et la joie d’assister à cette débauche superbe d’exploits individuels et collectifs ». Après la finale, Louis-Gautier Chaumet écrit « le 9 juin 1924 marquera une date dans l’histoire sportive de notre pays ». Il ne le sait pas encore, mais les tribulations politiques et le conflit avec le CIO vont faire que ce championnat va être oublié par l’Histoire. En conflit avec le CIO sur l’amateurisme mais aussi et surtout sur les bénéfices tirés des compétitions, La FIFA détache dès 1930 ses championnats du monde des JO, ce sera la Coupe du Monde organisée en Uruguay en 1930. Depuis, de la main de la FIFA, de la main des Anglais qui semblent regretter leur renoncement aux premières compétitions, de la main d’historiens peu renseignés sur l’Histoire, la compétition de 1924 a été reléguée à un simple tournoi olympique organisé par le CIO, une sorte de vulgaire tournoi sans réelle valeur entre quelques pays.

Le football aux Jeux Olympiques, histoire d'une longue rivalité

Mais les différentes tentatives ne pourront pas effacer la vérité, la vérité d’un pays qui s’éprend de football, qui remplit les stades, qui fait battre tous les records de billetterie en France. Ces championnats du monde ont des grandes conséquences dans le développement des tournois internationaux, des tournées de club (tournée de Nacional par exemple en 1925, dont on vous parle dans le Lucarne Opposée magazine n°9) et surtout dans la diffusion du football dans la presse, à une période où le sport dominant était plutôt le cyclisme. Ce tournoi est une pierre angulaire du football français à une époque où il fleurit, où l’on commence à avoir apparaître la possibilité d’un championnat de France. Des quatre stades, deux sont toujours situés au même endroit, même si passablement modifiés depuis. Colombes s’appelle désormais stade Yves du Manoir. Il est en piteux état. Le stade de Paris, qui avait été remodelé pour la compétition, s’est depuis développé et est devenu le stade Bauer. C’est encore un monument du football français, où y joue un autre monument, le Red Star. Ces stades, comme le Maracanã ou l’Azteca, sont des monuments du football mondial. Il convient d’en prendre soin et de les mettre en avant. Le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas le cas à l’heure actuelle. Colombes (Yves du Manoir) va être transformé en vue des JO de 2024 pour accueillir le hockey sur gazon et sa fédération. Concernant Bauer, les rénovations ont enfin commencé, le stade devrait avoir fait peau-neuve d’ici… 2024. Le stade pourra accueillir jusqu’à 10 000 spectateurs et recevoir des rencontres en première ou deuxième division.

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Photo : imago/United Archives International

On entend souvent que la France n’est pas un pays de football. C’est en soit une affirmation contestable, mais cela peut se comprendre si le football français tourne le dos à son histoire, une histoire qu’il ne faut pas avoir peur de mettre en avant. La France a joué un rôle fondamental dans le développement du football mondial en étant pionnier dans l’organisation de compétitions internationales, de la main de Jules Rimet et de Henri Delaunay. Ces compétitions ont eu un effet phénoménal en France, mais partout sur terre. Le jeune Deng Xiaoping, simple ouvrier, est assis dans les tribunes de Colombes durant la compétition et il gardera toujours un amour pour le football qu’il contribuera à importer en Chine quand il sera premier secrétaire du parti !

Tout cela, ces stades, ces participants, ces organisateurs, tout cela n’a pas de prix. Ce n’est pas qu’une étoile sur le maillot de l’Uruguay, c’est globalement une aventure formidable, une aventure vécue à Paris. Il faut donc réétudier en profondeur cette période, la documenter et la promouvoir. Et surtout, plutôt que d’attendre 1930 pour fêter un hypothétique centenaire de la Coupe du Monde de la FIFA en Uruguay, fêtons dès 2024 le centenaire des premiers championnats du monde de football !

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba